Rapatrié par l'image
Publié le 20 juin 2009 par Menear
Cyclocomsia 2, paru la semaine dernière, lu entre deux (trois, quatre ?) rames. J'ai corné plusieurs pages, deux plus que les autres. L'une critique, l'autre fiction. La première décortique l'analogie chez Lezama Lima, la seconde élabore le
crurriculum vitae de Michel Crubisco,
star de la faim de son état. Pour lire les quelques deux cents autres pages, c'est
par là que ça se passe.
Avant de parler de comparaison et de métaphore, revenons aux fondamentaux : définie par Aristote, l'analogie (analogon) est une figure double. A la différence de la comparaison qui associe de façon simplifiée un « comparé » et un « comparant », l'analogie comporte quatre termes qui correspondent deux à deux. Le schéma de base se construit sur le type : « A est à B ce que C est à D » et permet ensuite des permutations. Ainsi l'énoncé « le glaive est à Arès ce que la coupe est à Dionysos » devient-il par exemple « la coupe d'Arès est le glaive de Dionysos ». Pour en arriver à la métaphore, on procède à l'élision d'un ou de plusieurs termes. Or, dans Paradiso, c'est précisément l'analogie qui scelle le destin poétique de Cemi : au sixième chapitre, le Colonel montre à son fils deux gravures en vis-à-vis dans les pages d'un livre, la première représentant un rémouleur et la seconde un bachelier. Mais dans sa précipitation, le jeune Cemi pose son index sur l'image du rémouleur lorsque son père désigne nommément le bachelier, créant ainsi un quiproquo dans la tête de l'enfant. Deux noms et deux images : nous avons bien quatre termes qui vont permuter pour donner naissance à une métaphore. Lorsque le Colonel demande à son fils s'il sait ce que c'est qu'un bachelier, Cemi répond : « Un bachelier, c'est une roue qui lance des étincelles et, à mesure que la roue va plus vite, les étincelles se multiplient au point d'éclairer la nuit. » (Paradiso, p.197). Nous avons ici un nouvel exemple de « faute heureuse » rédimée en poésie par le pouvoir de la métaphore. Malgré le rapprochement arbitraire des deux termes, la métaphore sonne juste, elle ne paraît pas gratuite comme dans certains poèmes surréalistes. Le terium comparationis, bien que lointain, a été rapatrié par l'image.
Julien Frantz, Hétérogenèse de l'image : absence, distance et différence dans la poétique de Lezama Lima in Cyclocosmia 2, P.100.
Des clous des vis des écrous de tout diamètre certes. Des bottins téléphoniques et des appareils en bakélite aussi. Des dizaines et des dizaines d'outils de toutes sortes, des centaines de verres et de bouteilles polymorphes, des kilomètres de fils électriques et de tuyaux plus ou moins flexibles, des hectolitres d'essences de produits ménagers de détergents et de trichloréthylène, de l'arsenic même ! Et puis 33 Encyclopédies Larousse 27 téléviseurs 15 lave-linges 15 machines à écrire 8 ou 9 caddies de supermarché 7 bicyclettes 2 lits en fer 1 Fiat 500 1 Peugeot 404/break 1 zodiac de la gendarmerie et même un car Berliet GRL de la Compagnie Républicaine de Sécurité ayant fait mai 68 (?). Incroyable mais véridique, ce listing non exhaustif de mangeaisons crubrisquiennes – ce crurriculum vitae – est dûment attesté par les archives de Maître Pignon, notaire à Hauterives, département de la Drôme. Qui pourrait, chez nos contempteurs contemporains, se targuer d'un semblable palmarès ?
Alain Giorgetti, Apologie d'une star de la faim in Cyclocosmia 2, P.46-47.