La quasi totalité des expositions décrites dans les quatre précédents billets sont le fait des pays et non le choix du commissaire de la Biennale, Daniel Birnbaum. Or ce dernier semble être l’objet d’une cabale, confondant volontairement les espaces dont il est directement responsable (essentiellement la moitié de l’Arsenal et le plutôt rétrospectif pavillon international) et la totalité de la Biennale. Le comble de la mauvaise foi est cet article de quelqu’un qui, semble-t-il, n’a même pas visité la Biennale (et en tout cas ne mentionne pas une seule oeuvre exposée) et construit toute son argumentation anti-Birnbaum sur le choix du titre de la Biennale Fare Mondi / Making Worlds, qui justement ne se traduit pas par ‘Construire des mondes’ (Building Worlds), mais plutôt par ‘Faire des mondes’ (l’auteur n’est sans doute pas anglophone). In cauda venenum : Birnbaum sacrifierait l’art au tourisme, crime imprescriptible aux yeux de l’éditorialiste de ce site toujours aussi ‘progressiste’.
Plus loin Goshka Macuga (dont j’avais récemment aimé le Guernica) a construit un arc de triomphe dérisoire, tapis entourant deux colonnes comme le S sinue autour des barres dans le signe $. Sur la bannière impériale, des portraits de chefs d’état (pas le nôtre, apparemment). Il faut passer sous l’arche, faire allégeance au dollar et au pouvoir pour poursuivre plus avant, plus ultra.
Une des plus belles installations de l’Arsenal est celle du Camerounais Pascale Marthine Thayou,
grand village simplement nommé Human Being, où on va de hutte en bâtisse, écoutant les bruits des artisans, le marteau des forgerons, le bavardage des couturières, le chant des ouvriers. On s’immerge dans les visions et les bruits de ce petit monde au travail, même les odeurs sont là; puis on regarde attentivement les vidéos projetées sur des écrans de fortune et le monde entier est présent, scènes d’Asie, d’Italie se mêlant à celles d’Afrique. Le monde entier est convoqué à l’échelle du village africain. Au delà de son charme immédiat, c’est une oeuvre qui nous parle de mondialisation et de crise bien plus efficacement que l’auteur ci-dessus.La vidéo de Paul Chan en ombres chinoises (Sade for Sade’s sake) évoque les vases grecs à figures noires, avec ses personnages impliqués dans des activités sexuelles et religieuses (ou les deux à la fois). Ulla von Brandeburg a reconstitué son dispositif théâtral de rideaux qui débouche ici sur un film tourné à la Villa Savoye dans la froideur corbusiérienne où quelques personnages tentent vainement d’apporter un peu de vie sur une très belle musique de Lieder (Singspiel) : une belle poursuite de sa réflexion sur le théâtre et l’espace. Tout aussi théâtrale est l’installation Pling pling de Cildo Meireles qui nous fait passer de pièce en pièce par tout le spectre des couleurs : six salles en chicane, chacune absolument englobante, monochrome des murs et de l’écran. Meireles combine magistralement ici son travail conceptuel et sa capacité à rendre magiques des installations toutes simples. Dans le reste de l’Arsenal, les politiquement corrects trouveront même un artiste tibétain, les amateurs d’effet conceptuel aimeront les vitraux de Spencer Finch (Moonlight), les amoureux facétieux iront habiter les sculptures de Miranda July, les explorateurs s’aventureront dans le marais de Lara Favaretto et les sportifs feront des anneaux chez Bill Forsythe. Citons encore les cordes de cheveux de Sheela Gowda, les mains de Bouddha géantes de Huang Yong Ping et les bouts d’asphalte parsemés ici et là de Renata Lucas.
Voilà tout ce qu’on peut voir à l’Arsenal du travail de Daniel Birnbaum quand on ouvre les yeux au lieu de s’en tenir à des préjugés éculés. Allez voir (jusqu’au 22 novembre) !
Photos 2, 4, 5, 6 et 7 de l’auteur; photo 1 D.R.; photo 3 courtoisie du service de presse de la Biennale.