Interview du programmateur Kem
Jul : Les Eurockéennes ont vingt ans cette année : comment expliquez-vous un tel succès ?
Kem Lalot : Après vingt ans c’est une belle preuve de fidélité des festivaliers, on est aidés aussi par une programmation très éclectique entre des artistes très connus et des groupes qui se lancent. Le public vient pour un site magnifique, c’est un public en or et avec un esprit très bon enfant.
Jul : Comment a évolué le public ?
K. L. : Le public a évolué selon la programmation : au début on accueillait des artistes en vogue, Santana par exemple, maintenant on peut proposer à la fois des nouveaux groupes et des têtes d’affiche à un public dont la moyenne d’âge est de 15-30 ans.
Jul : "Eurockéennes", on pourrait penser que vous cherchez un point commun entre tout ce qui se fait aux quatre coins de l’Europe (et parfois au-delà). Qu’y a-t-il de commun entre NTM, Laurent Garnier, Pete Doherty, Crookers, Sophie Hunger, Peter Bjorn and John et Glasvegas ?
K. L. : Rien de vraiment commun, comme je vous disais, on présente les artistes qu’on aime, on veut être très éclectique. On est à la croisée de trois pays, l’Allemagne, la Suisse, la France, d’où notre jeu de mots sur l’Europe, et on pense surtout à inviter des artistes qui nous semblent intéressants, qui tiennent la scène, des bêtes de scènes comme Laurent Garnier, qui est plus live que DJing avec son nouvel album ("Tales of a Kleptomaniac")
Jul : Arrivez-vous à trouver l’équilibre entre les têtes connues et celles qui le seront demain ?
K. L. : On fait souvent des paris sur les artistes qui seront connus demain, ça a très bien marché avec Franz Ferdinand, Arctic Monkeys, Amy Winehouse ; ils n’étaient pas très connus à l’époque et ils ont explosé après les Eurocks. Ou alors on invite des artistes qui ne deviendront pas forcément hyper connus mais qui feront un bon spectacle au festival. On suit les échos du public …
Jul : Quels sont les pays qui ont le plus à offrir niveau talents musicaux actuellement ?
K. L. : Il y a toujours la prédominance des Etats-Unis et de l’Angleterre, on met aussi l’accent sur la France, naturellement. On essaie de se tenir au courant un peu partout ! En ce moment ça bouge pas mal du côté de l’Australie, on a fait un focus sur le Canada récemment, puis il y a l’Afrique où il se passe beaucoup de choses, et la Scandinavie.
Jul : Comment découvrez-vous ces talents ?
K. L. : Beaucoup sur MySpace, les concerts, les évènements spéciaux, nos agents situés dans des villes comme Berlin ou Londres, on lit énormément les magazines, on écoute la radio.
Jul : A l’inverse, que pensez-vous des grands groupes qui font leur come-back, Blur par exemple ?
K. L. : Je suis pour, après est-ce que ça tiendra la route c’est une autre histoire ! Il faut déjà voir s’ils le font pour reproduire leurs vieux succès, ou pour l’argent, parce la carrière solo ne marchait plus. On y va avec parcimonie, ça ne marche qu’une fois sur deux ce genre de retrouvailles …
Jul : En ces temps difficiles, vous arrivez à trouver un équilibre financier avec le festival ? Comment vous trouvez vos sponsors ?
K. L. : C’est un gros combat tous les ans, à 70% on s’auto-suffit, les 30% restants viennent du public et des sponsors. On doit accueillir entre 75000 et 80000 visiteurs pour rentrer dans nos frais. Et en plus on a de moins en moins d’aides publiques, depuis quelques années on se tourne de plus en plus vers le mécénat privé. Mais on ne fait pas de la pub à tort et à travers pour autant !
Jul : Racontez-nous des anecdotes et des ratages des Eurockéennes que vous n’êtes pas prêts d’oublier !
K. L. : Des ratages … C’est arrivé plusieurs fois qu’on soit obligés d’annuler un concert au dernier moment, parce qu’un artiste ne pouvait plus assurer, et là c’est très difficile pour le remplacer. Des bons souvenirs, on en a quelques-uns, justement on parlait de Blur tout à l’heure, en 1995 ils voulaient absolument un saladier sur scène, mais qui devait contenir uniquement des M&M’s verts. On s’est bien amusés à tout trier, c’était assez rigolo ! En 1996 Sepultura ne voulait pas s’abriter sous la tente de presse et on les a donc suivis au bord de l’étang. Deux types essayaient de passer par l’étang pour ne pas payer le billet d’entrée, quand ils sont finalement arrivés, le groupe estomaqué leur a donné des tickets gratuits !
Jul : Question plus personnelle : quelles sont vos préférences musicales de l’année ?
K. L. : On est tous très satisfaits des artistes qu’on a programmés cette année. Personnellement j’aime beaucoup The Kills, c’est un groupe anglais de rock, Naïve New Beaters, un groupe français qui mélange l’électro et la pop, qui déconne sans arrêt, un petit groupe pas encore très connu mais très sympa ! Puis, comme ça, Peter Doherty, il est magnifique sur scène, son album solo était vraiment super ; il y a Temper Trap, de l’Australie, là c’est un mélange de U2 et TV on the Radio ; The Pains of being pure at heart, groupe US influencé par la musique de My Bloody Valentine entre autres, leur album est d’enfer et c’est un excellent groupe sur scène ; les Congolais de Staff Benda Bilili, un groupe handicapé qui traitant de la polio dans leur chansons, c’est très pop.
Jul : Et pour finir en beauté : comment voyez-vous l’avenir du festival et de la musique en général ?
K. M. : Le téléchargement, je suis pour, les maisons de disques auraient dû s’y intéresser depuis bien longtemps. Après qu’on pille comme ça les œuvres des artistes, je ne suis pas d’accord évidemment ! Les CD et autres produits musicaux devraient coûter moins cher, il y a eu beaucoup de disques sans qualité ces dernières années, et ce n’est pas normal de payer 25 euro pour un disque où il n’y quasiment rien dedans. Les Eurockéennes, elles ont encore de beaux jours devant elles, écouter un disque c’est génial mais voir les artistes sur scène c’est totalement autre chose ! Avec la multiplication des festivals, je ne suis pas très inquiet à ce niveau-là …
Merci à Emma pour m'avoir offert ma 1re interview professionnelle.