Monsieur Vincent a été souvent défiguré par son succès. Voltaire qu'il impressionnait n'avait retenu, on peut le craindre, que l'homme d'œuvre, ce qui n'est pas rien, mais le portrait n'est pas suffisamment fidèle.Henri Brémond est plus exact lorsqu'il écrit :
« Ce n'est pas l'amour des hommes qui l'a conduit à la sainteté ; c'est plutôt la sainteté qui l'a rendu vraiment et efficacement charitable ; ce ne sont pas les pauvres qui l'ont donné à Dieu, mais Dieu, au contraire, qui l'a donné aux pauvres. Qui ne le voit pas avant tout mystique, se représente un Vincent de Paul qui ne fut jamais. (L'Ecole française, 1921 p. 246). »
Son origine paysanne landaise et sa conversion vers 1610 lorsqu'il était déjà ordonné prêtre depuis 1600, à 19 ans, puis les charges considérables qu'il va occuper donnent beaucoup d'originalité à cette personnalité très secrète, qui paraît si simple et presque bonhomme. En lui confiant Jeanne de Chantal, François de Sales avait montré l'estime qu'il lui portait. En réalité, Monsieur Vincent, authentique icône de bonté, a autant d'esprit que de cœur. Sa grande sensibilité va de paire avec une sorte de majesté qui frappait ses contemporains, et toutes ces qualités merveilleuses étaient tenues ensemble par une rare humilité que sa connaissance des hommes et des choses confortait constamment.
Sa délicatesse explique son rayonnement auprès des nombreuses femmes qu'il conseillait comme l'avait fait Monsieur de Genève dans un style un peu différent. Henri Brémond insiste beaucoup sur l'influence qu'a eue Bérulle sur lui, mais il semble bien que Monsieur Vincent ait pris une certaine distance avec le maître de l'Ecole française. La convivialité à l'égard des pauvres qui le caractérisait, était puisée directement à un amour du Christ qu'il ne cessait de contempler dans l'Evangile et la prière. Son génie pratique a été admirablement décrit par son premier biographe, Abelly :
« M. Vincent était lent et tardif dans les affaires, et par nature, et par maxime de vertu : par nature, à cause que son grand entendement lui fournissait diverses lumières sur un même sujet, qui le tenaient quelque temps en suspens et comme irrésolu ; par maxime de vertu, d'autant qu'il ne voulait pas, pour user de son motordinaire en cette matière, enjamber sur la conduite de la Providence divine. (ibidem p.256). »
La personne humaine reste un mystère, mais lorsqu'il s'agit des saints on perd bientôt pied en voyant ces univers spirituels se déployer à perte de vue en harmonisant des traits qui semblaient contradictoires et qui chez eux engendrent une beauté singulière pleine d'originalité et cependant à la ressemblance de l'unique Modèle. Monsieur Vincent fut moins le héros de la charité, plein de bon sens, de l'imagerie populaire qu'un authentique mystique unissant le charme de son origine paysanne landaise à la haute figure d'un meneur d'hommes. Il faut lire ses instructions et ses lettres pour reconnaître en lui un des grands auteurs de l'âge classique.