Il arrive naturellement de douter de sa pensée, mais il est fréquent d’éprouver aussi un sentiment de certitude, de posséder l’« intime conviction » de quelque chose. De fait, il est possible d’être sûr d’avoir raison, d’en être persuadé, assuré. Quelles sont alors les conditions qui favorisent cette situation ? Comment comprendre qu’on puisse être certain tout en ayant tort ? Pourtant, n’y a-t-il pas aussi des conditions permettant d’être certain légitimement, à bon droit ? Une méthode garantissant la validité de la pensée est-elle possible ? Mais enfin, est-il légitime de chercher à être sûr d’avoir raison ? La recherche de la certitude est-elle toujours compatible avec la recherche de la vérité ? Faut-il être sûr d’avoir raison ?
Comment expliquer tout d’abord le sentiment subjectif de certitude ? Qu’est-ce qui généralement le rend possible ? D’où vient que, même sans avoir longtemps réfléchi, ou sans avoir de connaissance précise sur une question, nous soyons certains d’avoir raison ? Descartes rappelle ironiquement, au début du Discours de la méthode, la prétention ordinaire des hommes au sujet de leur raison : chacun pense en être si bien pourvu, que personne n’a coutume d’en désirer plus qu’il n’en a. La confiance spontanée en notre raison est la raison de nos évidences. On pouvait invoquer également la force des passions : celles-ci troublent le jugement et lui font croire ce qu’elles veulent mais qui n’est pas : Spinoza explique par exemple l’origine de la croyance illusoire en la liberté par la conscience. Nos sentiments envahissent à ce point notre conscience qu’ils l’empêchent de voir qu’elle est déterminée.
N’y a-t-il pas toutefois des conditions permettant une certitude justifiée ? Pour être sûr d’avoir raison, ne suffit-il pas de vérifier son discours, de l’examiner et de le justifier ? Descartes proposait d’établir ce qu’il appelait la « mathématique universelle », qui consiste à étendre la certitude des mathématiques aux autres savoirs, en les soumettant tous à l’exigence minimale du raisonnement. La condition pour être sûr d’avoir raison est de raisonner. Mais n’y a-t-il pas des raisonnements maladroits, voire faux ? N’y a-t-il pas même des vérités non déductives, comme le cogito par exemple ? On pouvait alors s’appuyer sur la redéfinition cartésienne de l’évidence : prenons pour règle de ne jamais rien affirmer définitivement qui ne soit clair et distinct, exempt de préjugé et de précipitation.
Une autre difficulté pouvait alors être abordée : dès lors qu’on est sûr d’avoir raison, ne court-on pas le risque d’avoir tort ? Le plus sûr moyen de se tromper n’est-il pas de ne pas se remettre en cause ? La certitude n’est-elle pas alors l’ennemie de la raison ? On pouvait distinguer la recherche de la certitude comme mise à l’épreuve de sa pensée et la possession de la certitude comme obstacle à la vérité. Lorsque la certitude est première, la condition pour avoir raison est le doute : on pouvait encore s’appuyer sur Descartes et son doute méthodique, et sur Platon qui fait du dialogue et de l’interrogation la condition de la véritable pensée.