J’ai posé le pied pour la première fois au Japon en juin 2003, pour 12 heures. J’étais en transit pour la Nouvelle-Zélande. Je ne m’étais jamais intéressé au Japon auparavant. J’ai erré dans les rues, un peu comme dans Lost in Translation, paumé, se sachant pas bien où aller. J’avais écrit, à l’époque, sur un petit carnet de voyage :
“Une organisation impressionnante ! Beaucoup de végétation, contrairement à ce que je pensais. Des constructions gigantesques, des autoroutes suspendues. On dirait un jeu vidéo, Sim City 2000. Les rues grouillent d’activité, les gens on l’air gentils, dans le métro, c’est la cohue. Ils ont tous l’air de travailler très dur. Tout est très propre, nickel, pas de tags. Les lycéennes ont toutes le même uniforme et le même téléphone portable. On entend beaucoup de voix sortant de robots et autres machines dans les rues. Il y a des petits casinos étriqués un peu partout. Tokyo a l’air immense.”
Je ne me doutais pas une seconde que j’allais y revenir 2 à 3 fois par an à partir de l’année suivante ! Mon premier véritable voyage là-bas a duré 1 mois, en septembre 2004, pour rendre visite à mes parents fraichement installés. J’ai découvert Tokyo, Kyoto, Nikko, Hiroshima, la péninsule d’Izu et même l’île de Hokkaido. J’ai bien aimé le pays mais ne l’ai pas apprécié à sa juste valeur. Il m’a semblé un peu distant, je n’en ai pas perçu toutes les facettes.
J’y suis retourné en décembre 2004. J’ai continué à découvrir Tokyo, avec plus de plaisir. J’ai aussi été faire du ski à Hokkaido, dans une station très bien pensée, très appréciable, Rusutsu. Un an plus tard, en décembre 2005, j’ai fait à peu près le même voyage, avec un grand plaisir. Quelques mois plus tard, en mars 2006, j’y suis allé 3 semaines, avec Laure, pile au moment des cerisiers en fleurs. Et je crois que c’est à partir de ce voyage que je suis réellement tombé amoureux de ce pays. Depuis, j’y suis retourné 3 fois, toujours avec une grande hâte et j’ai toujours été agréablement surpris à nouveau.
J’ai appris à voir le beau au Japon. Car le beau n’est pas frappant, surtout à Tokyo, pour un Européen. Notre définition du beau n’a pas cours là-bas. Prenez un magnifique paysage côtier. Chez nous, il est préservé. Au Japon, ils ont plutôt tendance à bétonner le plus bel endroit, en construisant un hôtel assez moche ou une usine. Mais ce n’est pas grave. A Tokyo, les 3/4 des bâtiments sont affreux, gris, informes, tristes. Mais ce n’est pas grave.
Oubliez les vieilles pierres, les grandes vues dégagées, oubliez votre idée du confort et du luxe. Il faut aller au Japon l’esprit libre et, comme le dit parfaitement bien Pierre Barouh, “il faut passer de l’autre côté de la scène”. Il faut parler avec des Japonais bien sûr, mais aussi se glisser tant que possible dans leur mode de pensée et de vie. Là, vous découvrirez un “ailleurs” introuvable sur la planète. Vous verrez le beau dans un objet artisanal abouti, dans un immense building de verre et d’acier, vous apprécierez des boissons et des nourritures qui vous semblaient inintéressants jusque là.
Le Japon est le seul pays moderne et développé qui ne soit pas occidental (il y a peut-être aussi Singapour, mais ça n’a rien à voir). Le Japon est le pays où l’on vit le plus vieux. Le Japon est, proportionnellement, la première puissance économique mondiale, la deuxième si l’on ne tient pas compte de sa différence de population avec les États-Unis.
Et le fait est qu’il se dégage de ce pays et de cette ville un incroyable sentiment de bien-être, peut-être pas forcément perceptible lors du premier voyage. Tokyo est la zone urbaine la plus peuplée du monde, avec 35 millions d’habitants, plus de la moitié de la France. Paradoxe, elle est construite sur le pire endroit que l’on puisse imaginer pour la bâtir : au point d’intersection de 3 immenses plaques tectoniques, dont le chevauchement la menace en permanence. Paradoxe, la plupart de ses quartiers sont calmes, verdoyants, agréables à vivre. Paradoxe, il n’y a aucune délinquance. Paradoxe, tout fonctionne parfaitement bien et tout est d’une propreté impeccable.
Tous ces mystères nous intriguent, nous autres Européens et nous questionnent. C’est une ville et un pays fascinants. Mais ce n’est pas pour tout le monde. Ce n’est pas une destination facile. D’abord, c’est loin, ensuite ce n’est pas classique. Puis, les Japonais ne parlent pas Anglais ou très peu. Mais si vous franchissez ces barrières, le Japon vous émerveillera. Par son perfectionnisme, par sa modernité, par sa culture, par sa différence et par son unité. Et Tokyo vous envoûtera par sa créativité, son cycle perpétuel, son organisation, son esthétique chaotique si particulière.
La photo qui illustre ce billet est représentative du Japon, selon moi. C’est un paysage calme, plutôt petit, avec l’eau qui coule inexorablement, quelques rochers très solides, une végatation diverse et touffue et de la vapeur mystérieuse qui s’échappe de la scène, en haut. Les jardins japonais, de manière générale, sont un parfait concentré du pays (c’est d’ailleurs plus ou moins l’idée de base des jardins japonais).
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