François postule pour écrire dans un modeste journal local en Suisse Romande. Il se retrouve propulsé malgré lui critique de cinéma, n’y connaît rien mais s’improvise cinéphile avec une relative détermination. Pour sa première pige, François doit chroniquer Last Days de Gus van Sant et ne sait pas trop comment s’y prendre. Il décide alors de recopier à la virgule près la revue cinéphile Travelling (l’équivalent Suisse des Cahiers du cinéma) en même temps que son rapport nouveau au cinéma fait de lui un homme neuf...
Ils sont nombreux les journalistes cinéphiles à avoir franchit le miroir et à s’être tourné vers la réalisation. Il est même à se demander si la critique - le jardin des artistes ratés parait-il - n’est pas un tremplin pour ceux qui veulent faire du cinéma, ou prouver qu’eux aussi savent en faire. Les films qui évoquent très directement le métier de critique cinéma sont en revanche assez rare. Et celui-ci est délicieux.
La critique est un exercice journalistique particulier et à la portée de beaucoup de monde comment le suggère la prolifération des blogs. Dans le fond, il suffit de savoir a peu près écrire et de se donner la peine d’argumenter un minimum sa réflexion sur les films, et l’illusion s’entretient facilement.
C’est là le point de départ du film. François n’y connaît rien mais sa production ampoulée - bien que recopiée ailleurs - le fait passer pour un critique avisé. Pour peu que l’on aime le cinéma d’auteur et que l’on connaisse ou devine les défauts de la critique professionnelles, Un autre homme fait largement sourire. D’abord, François tatonne puis il finit par se conformer à l’avis des autres. Son aveu selon lequel il n’a de goût pour rien est assez touchant et a quelque chose de jubilatoire quand il est suivi immédiatement par le même aveu d’une critique prestigieuse. Il y aussi cette scène exquise ou cette même journaliste explique la sois-disante règle du milieu pour critiquer un film de Claude Chabrol. Pour les mauvaises langues qui fustigent en permanence les goûts de tel ou tel journal un peu pointu, Un autre homme va donner du grain à moudre.
La critique cinéma n’est néanmoins pas le sujet réel du film. François évolue parce qu’il s’éprend de fascination pour Rosa Rouge, une journaliste qui fait référence, une fille à papa qui est aussi une séductrice, une dévoreuse d’homme. A cause d’elle, François glisse doucement. Il est dans la vie comme devant les films, les yeux écarquiller à ne pas trop savoir ou il va et quoi penser. Ce motif là, la quête de soi doublée par la notion d’imposture, est maintenant récurrent dans le cinéma de Lionel Baier. Le cinéaste s’était fait remarquer avec Garçon stupide et Comme des voleurs (à l’est). On retrouve là un même esprit, une même légèreté teintée de cynisme et une évolution subtile de héros égarés qui se cherchent. Estampillé cinéaste gay avec ses deux premiers films, Lionel Baier évacue cette identité sexuelle là même si dans sa façon de filmer le corps nu de son héros, il y a une délicatesse, une tension, qui ne trompe pas.
Pour la première fois, Lionel Baier ne se met pas en scène dans son
propre film. Robin Harsh est un double parfait. Cela semble dénoter une
certaine maturité, un narcissisme qui se délie un peu. Un Autre homme
est son meilleur film pour ça, pour sa sensibilité, son ironie, sa
légèreté alors même que le cinéaste ne se renie pas et que son travail
est mieux structuré. Les thèmes sont les mêmes, les moyens sont
toujours modestes et on le sent, mais Lionel Baier trouve cette fois
l’équilibre et une certaine justesse jamais érodée.
Enfin, il va bien falloir que Natacha Koutchoumov s’évade enfin du
cinéma de Lionel Baier. Egérie du cinéaste puisqu’elle est jusqu’à
présent dans chacun de ses films, elle affirme à chaque fois une
présence et une authenticité dont les autres réalisateurs auraient
tords de se priver. Elle incarne en tout cas parfaitement le cinéma de
Lionel Baier, un cinéma spontané et sensible, souvent drôle et qui
affiche avec Un Autre homme une maîtrise complète et nouvelle tout à fait savoureuse.
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