Concert mercredi 10 juin à l'Eglise des Blanc-Manteaux dans le cadre des Grands Concerts Sacrés produits par Philippe Maillard. Philippe Herreweghe, à la direction du Collegium Vocale de Gand nous fait découvrir des motets et la Missa "De Beata Virgine" de Cristobal de Morales.
Ce compositeur espagnol, qui a séjourné lors des premières années de sa vie à Rome, notamment comme chanteur à la Chapelle Papale, a ensuite, de retour en Espagne (Malaga), connu une réelle consécration en Europe. Il fut certainement le premier des compositeurs de musique polyphonique sacrée à bénéficier d'une très rapide notoriété de son vivant notamment grâce aux développements de l'imprimerie, contribuant à largement diffuser ses créations, d'ailleurs assez prolifiques (plus de 200 pièces répertoriées dont 23 messes).
Cristobal de Morales a tiré son inspiration musicale des grands maîtres franco-flamands, surtout Josquin Desprez mais aussi Jean Mouton ou Nicolas Gombert.
J'avais déjà mentionné la Missa De Beata Virgine dans le note du10 mars 2007, à propos de son interprétation par l'ensemble Jachet de Mantoue.
Philippe Herreweghe nous fait découvrir le Salve Regina et quatre autres motets en plus de la messe pour nous permettre d'appréhender les différentes facettes des compositions de Cristobal de Morales. Par rapport à un Roland de Lassus ou, bien entendu, un Josquin Desprez qui ont marqué de leur forte personnalité les œuvres qu'ils ont composées, Cristobal de Morales ne fait pas vraiment sortir de spécificités qui permettraient de qualifier clairement son style. On parle de touche espagnole, avec une certaine gravité ou austérité. Ceci est perceptible par moment mais non systématique. Le ténébrisme du superbe "Lamentabatur Jacob" fait certes inévitablement penser aux couleurs sombres, à la noirceur typiques du style dit "hispanique". Le plus marquant chez Cristobal de Morales, et qui rappelle bien ses filiations avec, par exemple un Nicolas Gombert, est indéniablement la texture resserrée de ses harmonies.
Il ne s'écarte que très rarement de la ligne principale, à savoir les accords de voix qui se succèdent et se recouvrent par imitation et on le sent plus à la recherche d'une certaine densité, que d'une inventivité harmonique ou rythmique, contrairement à un génie comme de Lassus, capable de toutes les audaces. Les motets de Cristobal de Morales sont indéniablement d'une haute tenue, ce dernier ayant parfaitement assimilé la rhétorique de la polyphonie franco-flamande. Toutefois, ils sont invariablement prévisibles. L'émotion passera plus par un certain lyrisme, les choix d'accentuation de certains phrasés, cette densité des sonorités que par le croisement savant des lignes.Philippe Herreweghe fait le choix extrêmement judicieux d'imprimer une tension permanente mais parfaitement dosée, de rechercher un certain relief sur le phrasé, la prosodie latine. L'ensemble de ces motets se révèle de façon assez homogène. Comme toujours chez ce grand chef, l'interprétation est particulièrement aérienne, inspirée avec une belle souplesse dans l'inflexion des différentes voix. Il nous prodigue à nouveau une leçon magistrale où il associe avec subtilité tension de la ligne et plasticité des voix.
Comme toujours, le Collegium Vocale de Gand est d'un niveau technique inouï et nous transporte dans sa capacité à rendre les innombrables nuances que révèlent ces compositions sacrées.
J'ai eu le grand plaisir (et honneur) de rencontrer Philippe Herreweghe au lendemain de ce très beau concert et vous ferai partager très prochainement la chronique que j'ai rédigée à la suite de cette interview. Avec notre discussion passionnante et le temps qu'il a eu la gentillesse de me consacrer, on dispose d'un bel éclairage sur les problématiques liées à l'interprétation de ce répertoire.
Bravo encore à Philippe Maillard Production et à la Fondation Orange de nous permettre d'écouter des concerts d'une si haute tenue.
NB : pour vous faire une impression des compositions de Cristobal de Morales, vous pouvez entendre sur Spotify l'intégralité de la Missa Mille Regretz qu'il a composée à partir de la même messe de Josquin Desprez et interprétée par l'ensemble britannique Hillard Ensemble.