Il semble y avoir des questions qui ne sont pas du ressort de la science, que l’on dit existentielles, religieuses, éthiques, métaphysiques. Sur tous ces sujets pourtant une science a quelque chose à dire. Sur l’origine de l’univers et de l’homme, l’astronomie et la biologie ont des éléments de réponse ; sur l’âme et la pensée, qui préoccupent tant la métaphysique, les sciences du cerveau ont leur mot à dire ; y a-t-il enfin une seule question intime qui ne reçoive un éclairage de la médecine ? Sur tout sujet la science apporte donc des réponses. Le problème est de savoir si ses réponses sont complètes, si elles sont définitives et absolues, ou provisoires et approchées. Ses méthodes ont-elles réponse à tout ? Ses vérités sont-elles le modèle de toute vérité ?
La méthode expérimentale consiste à forcer la nature à répondre aux questions de la raison : la question étant une hypothèse à tester, la réponse tenant dans l’observation du dispositif expérimental. Si donc une question porte sur un objet qui ne peut être donné, directement ou par ses effets, dans aucune expérience, alors aucune réponse scientifique n’est concevable. En ce sens, les questions métaphysiques sur Dieu, l’âme et la liberté, objets de pensée qui par définition ne peuvent se rencontrer dans l’expérience, ne relèvent pas de la science. De même, si l’on définit la méthode scientifique par la mise en évidence des mécanismes et de la causalité (le comment), les problèmes relatifs à la finalité et au sens (le pourquoi) échappent à sa juridiction. Enfin les questions scientifiques se distinguent des cas de conscience : c’est une chose d’énoncer les lois de ce qui arrive, afin de le prévoir, c’en est une autre de découvrir les principes qu’il faut suivre pour bien agir.
Cependant les sciences humaines telles que la sociologie et la psychologie ne se contentent pas d’expliquer, mais prétendent dans certains cas comprendre les conduites et les événements, en se servant des concepts d’intention et de finalité. La méthode historique recherche aussi les motifs et les intentions des acteurs de l’Histoire. Même la morale n’échappe pas à toute investigation scientifique, soit à travers l’étude sociologique ou ethnologique des mœurs, soit par l’étude naturaliste des normes comme résidus de quelque sélection vitale. Et même si l’on s’en tient à la science de la nature, le fait qu’elle n’apporte pas de réponse positive (expérimentale) ne signifie pas qu’elle soit réduite au silence. Ainsi aux questions métaphysiques, il arrive qu’elle réponde par le matérialisme et le déterminisme, c’est-à-dire par la négative : point de Dieu, point d’âme, point de liberté. Ou encore par l’expectative : nous ne savons pas encore, mais…
On reconnaît là le scientisme, qui n’admet d’autre vérité et méthode de connaissance que scientifiques. On pouvait alors réfléchir sur les présupposés de la démarche scientifique. La simple question, philosophique, des limites de la science, prenant celle-ci pour objet de pensée, suppose de pouvoir en sortir. C’est pourquoi Platon plaçait la dialectique au-dessus des mathématiques et des sciences qui en dérivent. La question des fondements se pose ainsi en amont de la science. Celle de l’application se pose en aval : certaines questions requièrent non du savoir, mais du discernement, non de connaître des règles générales ou des lois universelles, mais d’apercevoir sous quelle règle se range tel cas singulier. Ainsi la biologie, science du corps humain, est-elle nécessaire au médecin, mais ne suffit-elle pas au diagnostic, qui porte sur un patient chaque fois unique. Kant a montré que s’il est une capacité qui ne s’enseigne pas, et qui en ce sens n’est du ressort d’aucune science, c’est le jugement, qui peut seulement s’exercer, à la manière du savoir-faire.
Corrigé du bac philo 2009 : série S