19 juin 2009
Claude Gilliot remet les pendules à l'heure. Sur le travail de Luxenberg
Claude Gilliot remet les pendules à l'heure
Dans un article consacré à l'embarras de l'exégèse musulmane classique face à la sourate Ses propres travaux, soutient-il, tendent à confirmer la thèse de Luxenberg selon laquelle " à l'origine du texte de certains versets ou de certaines sourates, il y a une écriture syro-araméenne " (p. 16). Tout en défendant l'idée que l'interprétation syro-araméenne de cette sourate est infiniment plus adéquate que les contradictions et les non-sens des commentateurs traditionnels, il s'insurge contre la déformation des idées de Luxenberg par François de Blois et Angelika Neuwirth : Gilliot s'interroge également sur la revue où sont publiées ces recensions, Al Kawthar, Claude Gilliot, un islamologue français, professeur à l'université de Provence, élève de Mohamed Arkoun, revient sur l'accueil réservé à l'œuvre de Luxenberg. Il convient de rappeler que ce chercheur avait publié deux études concernant les caractéristiques et les difficultés que présente la langue du Coran, intitulées respectivement " Langue et Coran " et (avec Pierre Larcher) " Language and Style of The Qur'an ".
Ce connaisseur en exégèse traditionnelle du Coran, qui a déjà à son compte une copieuse étude sur Tabari chez Vrin, pense que le livre de Luxenberg est une " étude révolutionnaire ", avec " une méthode toute de rigueur " ! (p. 17)
Quant à la critique d'Angelika Neuwirth, que le site Islamic Awareness a publiée, Gilliot relève la formule religieuse qui paraphe l'extrait de l'article où elle figure et observe à propos des tendances idéologiques de ce site : " Quelle bonne aubaine pour ceux qui ont besoin d'être rassuré par une caution " orientaliste ", alors qu'habituellement l'orientaliste est l'ennemi par excellence ! " (p. 18).
" Luxenberg n'a jamais écrit, ni même voulu démontrer, que la langue du Coran est " une langue mixte araméo-arabe ( an aramaïc-arabic mixed language) [De Blois] ou " un mélange linguistique arabo-syriaque " ( an arabic-syriac linguistic blend) [Neuwirth] " (p. 18). Il ajoute sur De Blois :
Outre le fait que ce compte rendu déforme souvent la pensée de Luxenberg, il contient des allégations sur l'origine ethnico-religieuse de l'auteur qui sont à la limite du supportable (p. 96-7) et pour lequel le proverbe vaut qui dit : " si tu veux tuer ton chien, dis qu'il a la gale ! " " (Gilliot, p. 18)
Journal of Islamic Studies, et se demande d'où viennent ces dispositions malveillantes à l'égard de Luxenberg. Réponse : cela " ne manquera pas d'être vu par certains comme un gage que cette revue donne à l'Arabie Séoudite (comprenne qui pourra !) " (p. 22, note 130)
Le chercheur finit par livrer sa propre lecture du travail du philologue allemand et les perspectives qu'il ouvre sur l'étude du Coran.
" Sans que Ch. Luxenberg l'ait exprimé dans les termes qui vont suivre, son étude se situe dans la tradition des variae lectionis ( qira'at) du Coran " (p. 22)
Il s'agit donc vraiment, au sens propre, d'une lecture du Coran. Mais au lieu de se fonder sur des commentaires tardifs qui ignorent la nature de la langue coranique, au lieu d'évoquer une poésie dite pré-islamique (mais que tout invite à suspecter comme postérieure), Luxenberg change de référence et appelle à le rescousse le syriaque ! C'est ce que les puristes de la langue coranique (supposée contre toute évidence 100 % arabe) ont eu du mal à lui pardonner...
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Bibliographie :
- Claude Gilliot, 2004, "L'embarras d'un exégète musulman face à un palimpseste. Māturīdī et la sourate de l'Abondance (al-Kawthar, sourate 108), avec une note savante sur le commentaire coranique d'Ibn al-Naqīb (m. 698/1298)", - Cf. aussi, ici même, le compte rendu de Gilliot sur le livre de Luxenberg.