Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE ont manifesté sans surprise leur soutien à la reconduction de José Manuel Barroso pour un nouveau mandat de cinq ans. Mais soutien ne vaut pas désignation au plus grand dam de l’intéressé. Le nouveau Parlementeuropéen doit avaliser ce choix. Emmenés par le trublion Cohn-Bendit les eurodéputés entendent bien saisir l’occasion pour sinon renverser le président de la Commission, au moins le faire vaciller.
Barroso incarne bien l’actuelle UE. Insaisissable, sans conviction, satisfaite d’elle même. Et bien sûr, libérale. Jean Quatremer le correspondant permanent de Libération à Bruxelles retient de son bilan cinq reproches essentiels.
Être l’homme du laisser-faire. Refuser toute réglementation nouvelle et défaire celle existante. Héraut de la dérégulation, le portugais prône l’autorégulation et l’intervention minimale de la puissance publique. Jusque dans la sphère financière. A ce titre sa gestion de la crise actuelle a été indigente, n’ayant rien vu venir et une fois la tourmente arrivée n’ayant rien proposé. Plus qu’un simple retard à l’allumage, une erreur flagrante d’analyse ne voyant dans le séisme économique qu’une crise américaine. Première mollesse.
Deuxième mollesse avérée, ne pas incarner et défendre comme président de la commission l’esprit européen. Au contraire l’ancien premier ministre portugais est accusé d’être le laquais des Etats. L’Europe pour Barroso se réduit à un espace commun géré de façon intergouvernementale.
Comme le relève Jean Quatremer , “Durant le règne de Barroso, la Commission, moteur de l’intégration communautaire, a connu un affaiblissement sans précédent. Considérant qu’il était au service des États, comme il le répète sans cesse, Barroso a fait de l’exécutif communautaire un simple secrétariat du Conseil des ministres (l’organe où siègent les États membres) et du Conseil européen. Autrement dit, il n’agit que lorsque les gouvernements le lui ordonnent et s’empresse d’enterrer tout texte qui pourrait déplaire“.
La peur de déplaire aux puissants, son refus de s’opposer aux États pour préserver sa propre situation constitue son troisième défaut. Absence de courage politique mais alignement idéologique sur le monde anglo-saxon le quatrième. Enfin, le dernier reproche n’est pas des moindres. C’est celui d’avoir fait du président de la commission un simple scribe et non une boîte à idées pour faire avancer la construction européenne.
Un bilan sévère comparé avec l’héritage qu’avait laissé Jacques Delors d’autant qu’à l’inverse de son prédécesseur, il restera comme le président des référendums perdus et d’une abstention hors normes qui laisse perplexe sur l’assise démocratique de l’UE. Tous ces reproches expliquent l’absence d’entrain chez les parlementaires européens pour sa reconduction y compris dans son propre camp, celui des conservateurs.
Ce flottement fait naturellement le jeu de Daniel Cohn-Bendit qui tente de constituer un front anti-Barroso.Selon le chef de file des Verts au Parlement européen, le “problème” de Nicolas Sarkozy et de la chancelière Angela Merkel, dit-il, c’est qu’”ils veulent Barroso et en même temps ils ne le veulent pas“.
Le jeu serait donc plus ouvert qu’il n’y parait. Reçu jeudi par le président de la République, à quelques heures du Conseil européen, à Bruxelles les 18 et 19 juin Daniel Cohn-Bendit, a plaidé le report de l’élection du président de la Commission européenne, arguant que José Manuel Barroso, seul candidat en lice, n’était “pas l’homme” qu’il fallait en temps de crise. “M. Barroso est quelqu’un qui n’est pas fort, qui ne contrôle pas ses commissaires. Dès qu’il y a un conflit, il est aux abonnés absents. Pour nous ce n’est pas l’homme juste au poste juste à ce moment historique”.
“J’ai expliqué que pour l’instant, d’après tout ce que je comprends de ce qui se passe au Parlement européen, il n’y a pas de majorité pour confirmer le président de la Commission, M. Barroso, en juillet”, a résumé devant la presse le chef de file d’Europe-Ecologie.
A contrario, c’est justement son côté ectoplasmique qui pourrait sauver le soldat Barroso. Ce que résume parfaitement Bruno Dive dans Sud-Ouest : “Barroso ne dérange personne, il joue parfaitement le rôle que l’on attend de lui, dans une Europe essoufflée après tant d’échecs et boursouflée par un élargissement trop hâtif : celui du plus petit dénominateur commun. D’ailleurs, il a parfaitement respecté son contrat : en faire le moins possible (…)”
Fin tacticien, Cohn-Bendit veut jouer la montre et anticiper sur le rôle accru que le traité de Lisbonne conférera au parlement européen. Face à l’absence de majorité absolue en faveur de Barroso il défend un calendrier dans lequel les eurodéputés se prononceraient cet automne ce qui laisserait le temps à une candidature concurrente d’émerger. A droite évidemment, compte tenu de la large domination des conservateurs et des libéraux au parlement.