Au cœur de la médecine vit cette tension entre le singulier et le multiple. Et la reconnaître, c’est devenir observateur de lentes collisions programmées. Entre le singulier et le multiple, l’assurance a clairement choisi sa position. Liberté de contracter, pointage du doigt sur les médecins qui 'sortent du lot' et maintenant paiement des hôpitaux par forfaits diagnostiques, tout cela vise à payer la médecine sur la base de sa part de prévisible, et aura sans doute pour effet de rendre les prises en charge plus uniformes. Pour le financement de notre système la part de foule dans la médecine est seule à compter. Et pourquoi pas ? Soigner une population permet de se doter de règles claires, de montrer que l’on suit les conclusions des grandes études, de 'lâcher le leste' inutile des coûts de la santé en uniformisant les procédures, de rendre les soins plus systématiques et donc moins risqués.
Tout cela est vrai, au moins en partie.
Où est donc le problème ?
Le hic est là: on rend les règles plus strictes, on serre les valences ; soigner, c’est de plus en plus être jugé sur la similarité des décisions prises dans tous les cas 'semblables'. C’est être jugé sur la foule. On grignote la place du singulier. Et cette place n’est pourtant pas un luxe. Le regard que l’on pose sur la multitude gomme les variations pertinentes, celles qui devraient faire changer une décision clinique. Être vu et respecté comme un individu est encore plus important lorsque notre identité physique, psychologique et sociale est atteinte par une maladie.
Justement, la marge de liberté du médecin face à son patient, à ne pas nécessairement faire comme d'habitude, sert entre autres à diminuer ces risques. Il s’agit de ne pas l’oublier. C’est le complément indispensable des données collectives, une soupape de sécurité, le contrepoids qui sauve à la fois la médecine et l’assurance, donc les patients, donc nous, des dangers liés à une généralisation trop 'chimiquement pure'...