MotsAndCo.com : Bonjour Frédéric. Dans un récent article, tu mettais en exergue le fait que le contenant prenait trop souvent le pas sur le contenu. Pourquoi selon toi ? Les webmasters devraient ils se former à la rédaction web ?
J'aimerais illustrer cette question par un constat que j'avais fait durant mes études de littérature à Genève. Nos professeurs de philologie romane (l'étude du français médiéval) mettaient un soin tout particulier à la traduction des textes, pistaient les dialectes, les astuces grammaticales, veillaient à ce que chaque mot soit pris dans son sens le plus précis. Nous passions ainsi de longues heures - parfois très très longues - à étudier toutes les questions syntaxiques. Puis, lorsque ceci était fait, le semestre était achevé, et nous avions fini. Fini? Loin de là! Ce texte que nous avions traduit, que nous disait-il? Quel était son sens? Que signifiait l'histoire que nous racontait son auteur? Je restais toujours sur ma faim, car j'avais l'impression que c'était maintenant que le travail d'interprétation pouvait commencer. Mais de cela, pas un mot. Comme si, ayant épuisé avec virtuosité tous les aspects techniques d'un texte, nous lui avions fait rendre gorge et qu'il n'avait plus rien à nous dire.
C'est exactement la même impression que j'ai, bien souvent, lors que je lis le contenu de certains sites. La technologie est rutilante, le surf hawaïen... Diamant ne saurait trouver plus bel écrin. Mais malheureusement, le texte est illisible, pauvre de sens, n'apporte rien.. Parfois, il faut même un certain nombre de relectures pour comprendre ce que l'on cherche à nous dire.
Et pourtant que de ressources mobilisées, humaines, techniques, financières! Que d'heures de réunions passées à discuter pour élaborer une vision du site, lui assigner la plus haute mission: rapporter des sous ou informer. Mais lorsqu'on en arrive à l'écriture des textes ou aux choix ergonomiques, le travail s'affaiblit. La pointe de l'iceberg est effritée. Comme si, l'élaboration technique du site avait épuisé les énergies et qu'au moment de faire les derniers mètres, on abdique. Ce qui est en soi bien dommage, car l'internaute ne lira que le travail fait dans ces derniers mètres. Le message qui le concerne se trouve au sommet. Ce qui porte le message (et sans lequel le message n'existe pas bien sûr) ne l'intéresse pas. Sauf pour ceux qui le construisent.
Je pense que la communication, la rédaction et l'ergonomie sont cruciales pour réussir un site. Penser un message, le calibrer en fonction de son public cible, le rédiger de sorte à être compris: c'est un métier. Un métier souvent négligé par les techniciens du web qui ont tendance à oublier que les gens qui les lisent ne sont pas des techniciens, ne leur ressemblent pas et ne les comprennent pas. Mais être un webmaster hors pair n'est pas une fatalité. On peut tout de même réussir à écrire des textes très valables. Pour autant qu'on veuille bien prendre le temps de s'intéresser aux implications de l'écriture web. En revanche, je pense que lorsque le projet se complique, il est bon de faire appel à un chargé de communication ou à un rédacteur web. Ces derniers ont été confrontés à des dizaines, voire des centaines de cas. Ils ont écrit des centaines de textes (en fait, ils écrivent tous les jours et parfois toute la journée, parfois même toute la nuit). Ils ont donc quelques gammes d'avance, au vu du temps qu'ils consacrent à cette activité.
Ceci n'empêche pas chacun de pouvoir devenir rapidement capable d'écrire de bons textes. A condition, nous ne le dirons jamais assez, de s'intéresser à certains constats que d'autres ont pu faire et expérimenter. Je n'aime pas parler de règles, car ce mot est policier, normatif, et donne à l'écriture une rigidité qui est malvenue. Non, écrire pour le web, c'est une fabuleuse ouverture sur la vie, sur l'imaginaire. Un bon site conte son activité, nous implique dans son projet, nous convie à une petite entreprise humaine. Cette dimension est importante, car elle rend compte de la foi que nous avons en ce que nous faisons.
MotsAndCo.com : Ton papier insistait sur le fait qu'avant de rédiger un contenu, tout rédacteur web devait commencer par se demander ce qu'il allait apportait au lecteur. Quelles sont les grandes questions qu'un blogueur pro doit se poser avant même de toucher au clavier selon toi ?
Avant de se ruer sur un outil d'édition (souvent très bien fait, mais pas encore magique), il serait bon de s'arrêter un instant, lâcher le clavier mitraillette, prendre un bout de crayon et un papier et se demander: "qu'est-ce que je veux dire?"; "qui sont les gens qui vont me lire?"; qu'est-ce que je souhaite que mes lecteurs fassent après avoir lu mon message?". Une fois que ceci est très clairement posé, on peut commencer à l'écrire. La clarté du message est fonction de notre capacité à l'énoncer clairement. "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément" (Boileau). Mais l'intention et la fougue ne suffisent pas. Encore doit-on affûter son verbe afin que la flèche soit transperçante et vienne se ficher au coeur du cerveau de votre lecteur. C'est là qu'une bonne plume peut vous être utile.
Je soulignerai également qu'écrire, c'est aussi respecter son lecteur. Il y a des sites qui ont du style, un ton, une manière de vous accueillir qui est hautement appréciable. De même il y a des blogs qui donnent l'impression d'être de véritables déversoirs. Ou qui sont beaucoup trop personnels pour être ouverts au grand public. Quand ils ne virent pas carrément au pathologique (le web ayant également ses zones d'ombres et de déviances). Tentons de ne pas perdre de vue qu'on écrit pour être lu (sinon c'est un journal personnel), et qu'on va être lu par des internautes qui vont nous consacrer un peu de temps. Essayons de faire en sorte que nos textes soient une table bien mise, alors que mijotent au fourneau des propos des plus alléchants. "Saveur" et "savoir" sont deux mots qui ont la même racine latine et qui vont de paire.
Une dernière question pertinente à se poser avant de disséminer des mots sur la toile: "Est-ce que ce que je vais écrire est utile, nécessaire, partageable?". Si la réponse devait être négative, n'écrivons pas. Nous participerons ainsi à une pause et un peu de silence dans ce monde si foisonnant d'informations bien souvent absolument inutiles mais néanmoins sollicitantes.
MotsAndCo.com : D'une façon générale, comment lit-on en ligne ? Qu'apprend t'on de l'étude des mécanismes de lecture en ligne ?
On remarque très clairement que l'internaute, paradoxalement, vient sur votre site pour y trouver quelque chose qu'il ne veut pas chercher... Oui, l'internaute ne veut pas vous lire, il veut uniquement trouver l'information dont il a besoin. Le reste ne l'intéresse pas. Il ne tient pas à faire un quelconque effort de compréhension. Ce qui explique les malentendus récurrents entre l'auteur d'un site, d'un article, etc, qui se donne la peine d'en dire le maximum à un lecteur qui veut en lire un minimum.
D'où la nécessité d'attendre son lecteur au tournant, de lui tendre un piège textuel afin que, dans la course de son regard, quelque chose retienne clairement son attention. Ce quelque chose, ce sont les titres par exemple.
L'écriture sur le web se doit d'être une écriture "du court". La formule brève permet de croiser le fer avec le regard en délire d'un lecteur. Il faut apprendre à le capter et à le cadrer.
Cette réaction hostile du lecteur est tout à fait compréhensible: il est soûlé d'informations à longueur de web, il en a marre, il est ivre de liens. Qui de nous n'en a pas fait l'expérience?
MotsAndCo.com : Quels sont les principaux piéges qu'un bon blogueur pro se doit d'éviter ?
Oublier son lectorat. Autant le romancier se doit d'oublier son public afin de se concentrer son imaginaire sans se censurer, autant le blogueur se doit de ne pas perdre de vue qu'il écrit pour quelqu'un. L'étymologie du mot "lire" est très jolie. "Legere", en latin, signifie "rassembler, recueillir". Je m'imagine toujours que mes lecteurs sont des abeilles qui viennent faire leur miel. Ils butinent de fleur en fleur pour recueillir le précieux nectar. Sur nos blogs, le pollen, c'est le sens.. Puisse-t-il être riche et savoureux.
De manière générale, je suis assez optimiste quant à l'avenir de la rédaction sur le web. Je constate qu'une prise de conscience se fait. La rédaction et l'ergonomie, deux mots forts connus des sites réussis, commence à avoir ses lettres de...je n'ose pas dire "de noblesse". La royale technologie consent à accepter dans ses rangs (encore ceux des jongleurs), ces énergumènes qui prétendent savoir écrire. Car, somme toute, si on y réfléchit bien, tout le monde parle et écrit. Alors qu'apportent-ils de plus, ces rédacteurs que nous ne sachions faire? N'est-ce pas un peu du vent tout ceci à côté du "vrai" travail: le codage?... Je laisse à chacun le soin de répondre.
Quant à moi, ma devise est choisie (je l'ai forgée à l'usage): "Le point de vue de l'utilisateur tu favoriseras".