J’aimerais pouvoir m'abandonner à la rêverie en regardant par la fenêtre. C'est ce que je me disais l’autre jour dans le bus qui me menait en ville. Un immense autocollant publicitaire collé sur la vitre me barrait la vue. Je me trouvais emprisonné derrière un treillis marketing. On me fera remarquer qu'un bus n’est qu’un caisson destiné à me transporter d’un point A à un point B. Il n'est pas nécessaire, en plus, que je puisse regarder par la fenêtre. Et c'est un luxe qu'on ne peut plus se permettre because la crise - tout because la crise ces temps. Une vitre, c’est un espace pub comme un autre. Je me demande d'ailleurs pourquoi on ne colle pas également une affiche sur la vitre avant. Il n’y a pas de surface qui ne puisse servir à promulguer le Message. En y mettant un peu du sien, le conducteur devrait plus ou moins distinguer la route. De toute manière, avec les horaires qu’il doit tenir – même la relativité d’Einstein ne saurait pas les expliquer – il n’a pas le temps de contempler le paysage. Pourquoi ne pas également faire payer un supplément pour une place avec vue. Place coûteuse entre toutes, car elle ne sert à rien. On ferait appel à un généreux mécène pour sponsoriser ce vide publicitaire. A l’extérieur de la vitre transparente, il serait indiqué : « Avec le généreux soutien de la vitrerie Raymond ».
Et puis foin de rêvasserie ! Pour cueillir celui qui tenterait de s’échapper, on a collé des téléviseurs à l’intérieur même du bus. Au cas où nous serions tentés d’avoir la tête ailleurs et que nous ne penserions pas au Message. Car tout le monde doit voir le Message. Il s’agit de ne pas oublier de lui faire offrande de l’argent gagné par notre travail. L’oreille collée au portable et l’œil rivé sur l’écran, après une journée de travail : voilà de quoi s’assurer que le citoyen ne devienne pas trop songeur. Il pourrait se mettre à fomenter des rêves contraires au Message – ce qui ne serait pas une bonne nouvelle.
Et c’est ainsi qu’aux heures de pointe, on peut voir circuler de longues ficelles recouvertes d’une logorrhée de mots et d’images enveloppant comme un paquet cadeau, pauvre simulacre de bonheur sur fond de pin up, de laxatifs et de forfaits pour téléphones portables, les passagers dont on distingue parfois les silhouettes ou les visages. Des visages marqués par la fatigue d’une journée de labeur. Pas des têtes de pub en tous cas. Juste des femmes et des hommes, qui n’ont rien avec le baratin raconté par le Message.
Les gens censés, les gens qui ont les pieds sur terre comme on dit, c’est-à-dire la tête dans les livres de comptes et qui mandatent des publicitaires pour rêver à leur place, m’expliqueront que sans les retombées financières encaissées grâce au Message, je devrais me déplacer à pied. Et que, somme toute, avoir autant d’hommes sandwichs à disposition, qui payent de surcroît pour promouvoir le Message, quelle bonne affaire!
Alors circulez, il n’y a rien à voir!
- Un pas de plus - La bouteille de lait, chroniques merlines.
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