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«Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées» (Arthur Rimbaud)
- «Mais enfin, que mets-tu dans toutes ces poches?»
Oui, en effet, que pouvait-il bien y mettre?
Sans lui répondre, il commença tout d'abord à sortir de longs cigares dans de beaux tubes en aluminium sur lesquels il était écrit Roméo et Juliette. Il aimait la lenteur avec laquelle ils se consument, les épaisses volutes de fumée qui lui donnaient l'impression de traverser ses méditations confortablement installé sur le pont d'un paquebot, sous un ciel étoilé. Puis il déposa une belle boîte d'allumettes, petits lampions de soufre.
Il portait un de ces shorts aux multiples poches, parfaitement adaptés pour le baladeur-flâneur. Il pouvait emporter avec lui tout son nécessaire de balade et recueillir des objets trouvés en chemin. Tout ce matériau collecté constituait le patchwork de son univers intérieur. Ces petits objets servaient de supports à une image, un échange, une atmosphère qu'il conviendrait de développer plus tard, mais qu'il était impérieux de saisir sur-le-champ, vivants, pendant que le pouls de l'émotion bat encore. Ecrire, comme photographier, peindre ou aimer est un art de l'attention, de la plus grande attention. D'où les innombrables billets de cinéma, de théâtre, des tickets de tram ou de train qui remplissaient ses poches et au dos desquels étaient griffonnés à la hâte, dans une écriture hiéroglyphique, une phrase, quelques mots à partir desquels se constitueraient les textes à venir. Mais ces substrats pouvaient tout aussi bien prendre la forme d'une plume, d'un gland ou d'un coquillage. Il s'agissait toujours de conserver un repère, le tintement d'un instant où quelque chose avait surgi.
Et cette grosse boursouflure à gauche, qu'était-ce? Un livre.
- «Mais enfin, tu es impossible! Comment fais-tu pour stocker autant de choses?»
Tandis qu'en souriant, il continuait à sortir un épi de blé, un carnet, une toupie.
- «Tu es un vrai gosse!»
Et lui, de lui répondre:
- «Ce ne sont que quelques fragments de textes, de tout petits lopins d'imaginaire. Si tu fermes les yeux, tu verras tout au fond de mes poches une poignée d'étoiles filantes, le chant du merle, l'aube, une cour d'école retentissante du rire des enfants à la récréation, un tramway jaune, une petite fille qui mange sagement à la table de ses grands-parents. Alors, tu sais, quelques coquilles d'escargots désertées que j'ai choisi d'habiter encore quelque temps, ce n'est pas grand-chose.»
On aurait pu aisément reconstituer son portrait à la manière d'Arcimboldo à partir de ce bric-à-brac. C'était un adulte troglodyte qui avait les poches pleines d'enfances.
© Arcimboldo vu par Laurence Thurion.