Le Musée Bodmer, à Genève, réunit des manuscrits exemplaires du monde entier et de toutes les époques comme autant de traces écrites lumineuses des génies de l’esprit, le visiteur évolue au milieu des textes de Galilée, Newton ou Einstein qui côtoient Dante, Shakespeare, Goethe ou … Ramuz. De quoi se sentir visité. Sa vocation n’est pas de montrer de beaux livres ou de belles pages – bien qu’ils soient souvent sublimes–mais de donner à voir des monuments de l’esprit, des moments clés de notre civilisation et de les faire entrer en résonance, de tisser d’heureuses conjonctions entre eux. Martin Bodmer, le fondateur, formulait en ces termes les principes qui l’ont guidé dans la formation de sa bibliothèque connue aussi sous le nom de Bodmeriana: « […] il suffisait de s’en tenir aux tout grands, aux esprits et aux œuvres qui avaient conquis leur place dans l’histoire – plus, qui avaient formé l’histoire ! Ainsi, l’idée directrice se cristallisait peu à peu dans la formule suivante : montrer le développement de l’esprit humain grâce à un ensemble de documents, qui seraient ou bien des originaux, ou qui s’en rapprocheraient le plus possible. C’est dire que la pièce contemporaine, le manuscrit, l’autographe, l’édition princeps y jouent un rôle prépondérant. »
Il fallait un écrin à la mesure de la collection pour exposer quelques-unes des 150'000 pièces que compte la Bodmeriana.La tâche fut confiée à Mario Botta. Charles Méla, directeur de la Fondation Bodmer, décrit le projet ainsi : « La description technique que Mario Botta a donné du musée est révélatrice des défis qu’il rencontrait : excavation complète entre bâtiments existants, au nu de leur façade, construction à l’envers des habitudes (du haut vers le bas, de l’extérieur à l’intérieur), jeu de perspective en fonction du paysage, puits de lumière pour un espace de pénombre, contrastes rythmés entre matériaux utilisés, envol aérien d’objets qui semblent en apesanteur et que des détecteurs de présence offrent et dérobent tour à tour aux regards ».
Pour conclure, rappelons brièvement que, durant la Deuxième Guerre mondiale, Martin Bodmer dirigea les « secours intellectuels » de la Croix-Rouge qui étaient chargés de procurer de la lecture aux prisonniers de guerre. C’est ainsi un million et demi de livres qui furent distribués. Des milliers de détenus en captivité purent poursuivre leurs études. Cette action s’inscrit dans la droite ligne du projet du collectionneur : le livre fut le véhicule privilégié de la culture et peut-être aussi d’espoir et de confiance au cœur de la tourmente. S’en souvenir, au moment de visiter le musée, c’est permettre à la rumeur des siècles de venir frapper comme des vagues sur les vitrines des œuvres suspendues en majesté, hors du temps. Et ne pas oublier que chacune d’entre elles a été conçue dans le tourbillon d’une époque et… d’un esprit.
- Sources -
Toutes les citations sont tirées du magnifique ouvrage de Charles Méla, La Légende des siècles – Parcours d’une collection mythique aux éditions Cercle d’Art.
Le site de la Fondation Bodmer.
Image: ©Fondation Bodmer.