Magazine Moyen Orient

Iran : le journal d'un manifestant.

Publié le 18 juin 2009 par Delphineminoui1974

Interdite de manifestation, la presse étrangère dispose, aujourd'hui, de moyens de plus en plus limités à Téhéran. A la demande des autorités, nous devons officiellement rester chez nous ou dans notre hôtel et suivre les événements à la télévision. Mais, nouvelles technologies obligent, il sommeille un journaliste en herbe en chaque Iranien... Téléphone portable à bout de bras, les manifestants sont devenus à la fois acteurs et témoins de la contestation iranienne. Ils défilent, ils filment, ils prennent des photos, ils racontent...


Je vous invite à lire, ci-dessous, le récit de l'un d'entre eux, dont j'ai recueilli, à Téhéran, le témoignage. Il s'appelle Nasser. Il a 30 ans, l'âge de la République islamique. Il nous raconte, en images et paroles, sa journée d'hier.


17h : Je saute dans un taxi collectif, direction la place Haft-é Tir. C'est là que tout le monde s'est donné rendez-vous. Les textos ne marchent plus depuis cinq jours, et la plupart des sites Internet sont filtrés. Les téléphones portables fonctionnent par intermittence. A chaque rassemblement, on fait donc marcher le bouche-à-oreille. On écrit l'adresse du lendemain sur des pancartes. Sur la banquette arrière de la Peugeot, deux filles sont en train de discuter. Elles se rendent, elles aussi à la manifestation. On se met à discuter. On en arrive à la même conclusion : pas question de renoncer à notre mobilisation. Tant qu'Ahmadinejad restera au pouvoir, on se battra. Au nom de la vérité.

 

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17h30 : La place Haft-é Tir est noire de monde. Les boutiques sont fermées. Personne ne parle. Sur les pancartes, on peut lire : « Où est mon vote ? » - un slogan en référence à la contestation des résultats du scrutin de vendredi dernier. La plupart des slogans sont calligraphiés en langue persane : « Silence », « La liberté mène à la vérité », « Je me bats ! Je meurs ! Je récupère mon vote »...  Dans la foule, on croise des Iraniens de tous les genres : des étudiants, des femmes au foyer, des ouvriers, des directeurs de banque, des professeurs... Il y a même des enfants, qui tiennent des ballons verts. C'est comme si on se connaissait tous depuis toujours. Un vrai sentiment de fraternité et de solidarité ! C'est la première fois que je ressens ça. A l'époque des émeutes de 99, le mouvement était essentiellement cantonné aux étudiants. Mais là, ce sont tous les Iraniens qui sont concernés.

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17h45 : Les manifestants se dirigent vers l'université de Téhéran. Le pont Karimkhan est plein à craquer. J'emprunte un détour par l'avenue qui passe en dessous. J'admire toutes ces filles qui ont le courage de descendre dans la rue. Elles portent des foulards et des chaussures de tennis. Certaines arborent des manteaux verts. D'autres se sont même vernis les ongles en « sabz » (vert), la couleur de Mir Hossein Moussavi. Elles ont leurs raisons d'être furieuses. Ahmadinejad ne leur a pas fait de cadeau pendant son premier mandat. La chasse aux « mal voilées » s'est renforcée, avec la création d'une nouvelle police des mœurs - qu'on appelle, ici, « gachté ershad ». De nombreuses militantes féministes se sont faites arrêtées. Leur crime : avoir milité pour la parité entre hommes et femmes. La police garde un œil sur la foule, mais il semble que l'ordre a été donné d'éviter les accrochages.
18h15 : Un homme brandit le poster de Mir Hossein Moussavi, notre nouveau « héro ». Son bras est enroulé dans un bandage blanc. Peut-être a-t-il été blessé lors des accrochages qui ont opposé, ces derniers jours, les manifestants aux bassijis - les miliciens islamistes -... On dit que des centaines de personnes ont été arrêtés. D'autres sont mortes sous les balles. Mais pas question de baisser les bras. Nous voulons résister aux côtés de Moussavi.  J'ai voté pour lui, dans l'espoir d'un changement. Ahmadinejad a isolé notre pays. Il a détruit notre économie. Avec Moussavi, on rêvait d'une vie meilleure. Nous, les jeunes, ne le connaissons pas bien. Ca fait vingt ans qu'il ne fait pas de politique. Mais on dit qu'il a fait du bon boulot quand il était premier Ministre dans les années 80. C'est un homme ouvert. Pendant sa campagne électorale, on l'a souvent vu avec sa femme, Zahra Rahnavard, l'ancienne doyenne de l'université féminines de Al Zahra. C'est une personne cultivée, qui comprend les problèmes de la nouvelle génération.
19h : Une jeune femme est habillée de noir, des pieds à la tête. Sur sa pancarte, il est écrit : « Qui a tué mon frère ? ». On raconte qu'au moins sept personnes seraient mortes lors de la grande manifestation de lundi. Pendant le week-end, des étudiants ont également été tués au dortoir. On dit que les miliciens ont fait irruption dans leurs chambres et les ont poignardés. Ca me fait mal au cœur. Pourquoi tant de violence ? En guise de protestation, les professeurs multiplient les « sit-in », et une partie du personnel hospitalier est en grève. 
20h : L'espoir est pourtant toujours là. Je lève la tête. Aux balcons des immeubles, les habitants agitent leur main, en signe de solidarité. Avec mon portable, je ne peux résister à saisir la photo de cet instant magique : perchée sur le toit d'un immeuble, une jeune fille drapée de vert est en train de danser (la danse est illicite en Iran). Elle ondule ses mains, tout en faisant le « V » de la victoire. Ses bras sont à l'air libre. A côté de moi, un policier sourit. Je suis fier d'être iranien.
20h30 : Il se fait tard. Le soleil commence à disparaître. Certains manifestants se mettent à allumer des bougies dans le calme. Sur une pancarte, je lis : « Silence. Avant que la nuit tombe, rentrez chez vous pour éviter les problèmes ». Quelqu'un chuchote à mon oreille : rendez-vous demain, à 14h, devant les Nations-Unies, puis à 16, place Imam Hossein. On dit également que Moussavi appelle tous ses partisans à s'habiller, demain, en noir, et à se rassembler aux alentours des mosquées.  Une journée de deuil nationale en hommage aux « martyrs » des dernières manifestations.
21h30 : Je suis de retour à la maison. J'ai mal aux pieds à force d'avoir marché. J'entends mes voisins monter sur leur toit et crier « Allah Akbar !», « A mort le dictateur ! ». Un rituel, en signe de protestation, qui se répète tous les soirs depuis quelques jours. Je me mets à crier à mon tour : « Allah Akbar ! ». Les cris font écho dans la nuit. Au loin, des klaxons de voiture se mettent à résonner. J'appelle mes copains à Mashad et à Bandar Abbas pour leur raconter ma journée. Ils me disent que c'est plutôt calme du côté de chez eux. Avant de me coucher, je vais leur envoyer les photos que j'ai prises. Demain, une longue journée s'annonce.


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