Avertissement : une version sensiblement remaniיe de ce texte se trouve dans l’ouvrage collectif de Chopart J-N., Neyret G., Rault D., (2006), Les dynamiques de l’יconomie sociale et solidaire, coll. Recherches, יditions La Dיcouverte, Paris, 288 p.
Depuis longtemps, l’analyse du positionnement des organisations de l’יconomie sociale et solidaire (ESS) dans la sociיtי franחaise a constituי une question thיorique et pratique mךlיe א des considיrations stratיgiques aussi bien du fait des responsables de ces organisations que de la part des hommes politiques ou de celle des institutions concurrentes [1]. Cet intיrךt partagי est en lui-mךme rיvיlateur de l’intuition largement rיpandue chez les acteurs que les choix opיrיs en la matiטre constituent un enjeu essentiel pour l’avenir de la sociיtי engageant non seulement des conceptions politiques et philosophiques singuliטrement diffיrentes mais dיterminant יgalement des conditions variables pour le dיveloppement יconomique et social.
En effet, derriטre la position qui peut ךtre assignיe aux organisations de l’יconomie sociale et solidaire ou qu’elles sont susceptibles de conquיrir, se profilent non seulement un concept visant א les contenir mais יgalement une certaine conception du rפle qu’elles entendent revendiquer, qu’elles peuvent ךtre en mesure ou mךme en droit d’assumer. Il est vrai que la volontי de certains acteurs de leur imposer des limites prיcises pour les tenir א distance ou au contraire, celle de les enrפler pour les engager au service d’intיrךts qui leur sont extיrieurs, se sont opposיs, de maniטre rיcurrente dans l’histoire, א la recherche d’une identitי propre dיlibיrיment choisie et aux revendications d’autonomie gיnיralement portיes par leurs responsables depuis l’origine.
Une question יpistיmologique complexe
La prise en compte de ce contexte chargי d’histoires et de conflits [2] jusqu’א la pיriode rיcente entre les diffיrents protagonistes est indispensable pour situer les enjeux actuels dans une perspective fondamentalement structurelle et non pas seulement accidentellement conjoncturelle [3]. C’est pourquoi, la maniטre dont les chercheurs construisent les concepts qu’ils entendent manier prend inיvitablement une dimension socio-politique qui est au cœur des rיflexions actuelles en France [4]. Face א cette situation יpistיmologique qui n’est pas spיcifique au champ observי (l’יconomie sociale et solidaire) mais qui est prיsente aussi dans les recherches portant sur des secteurs d’activitיs יconomiques animיs principalement par les logiques lucratives, les attitudes des chercheurs varient. En simplifiant inיvitablement, deux orientations semblent s’opposer. Certaines יquipes, rejoignant le point de vue de chercheurs canadiens du LAREPPS [a type=amzn ], prיfטrent maintenir une « prudente distance » afin d’יviter une confusion des rפles avec les acteurs du milieu [a type=amzn ]. D’autres au contraire, soulignent l’impossibilitי d’une posture יpistיmologique qui יcarterait « un horizon normatif d’יmancipation des sujets des rapports sociaux de domination et d’inיgalitי et de lutte contre la rationalitי technico-instrumentale quand celle-ci devient fin des systטmes et non moyen de l’activitי des hommes et de leur coordination intיressיe ou solidaire » [5]. Ces deux conceptions sont moins יloignיes l’une de l’autre qu’il n’y paraמt א premiטre vue. En effet, la premiטre, sans se priver des savoirs profanes des acteurs, joue plutפt la diffיrenciation des rפles en cherchant א exploiter la distance ainsi crייe pour proposer aux acteurs au cœur du dיbat public un regard dיlibיrיment exogטne avec l’espoir d’un enrichissement plus complיmentaire que critique. La seconde, plus sensible au dיficit d’autonomie des acteurs dans leurs interventions sur la scטne sociale et idיologique, entend saisir les inventions ou les innovations des praticiens et s’appuyer sur leur expיrience vיcue afin d’יlaborer de nouvelles inflexions thיoriques susceptibles d’en rendre compte de maniטre pertinente. Comme le fait remarquer un rapport du Collטge coopיratif d’Aix-en-Provence, dans ces dיmarches inductives, « le chercheur « ne part pas de rien » ; il transporte avec lui, sur le terrain de ses investigations, la mיmoire du (ou des) discours des auteurs prיfיrיs de sa discipline d’origine, et aussi ses propres expיriences » [6]. Il ne peut donc יchapper א l’exigence mיthodologique d’exposer clairement ses prיsupposיs et ses choix thיoriques qui constituent la base de ses hypothטses de recherche comme de ses questionnaires d’investigation. Quelque soit l’option adoptיe, le travail conceptuel reste toujours complexe et dיlicat et cela d’autant plus que les problיmatiques de recherche n’ont cessי d’ךtre traversיes par les dיbats entre les acteurs sociaux.
L’histoire plus que sיculaire de cette question rיvטle א la fois les enjeux thיoriques et politiques qui sont sous-jacents et qui portent א la fois sur le sens donnי א leurs pratiques par les acteurs, sur la rיalitי de leurs modes de fonctionnement et sur l’apport spיcifique de ces initiatives aux membres de la sociיtי ou du moins א certains d’entre eux. Plusieurs chercheurs invitent א ne pas se limiter au seul terrain יconomique en soulignant d’une part, que l’יconomie sociale prיsente une double nature א la fois socio-politique et socio-יconomique et en faisant remarquer d’autre part, qu’elle s’inscrit depuis le dix-neuviטme siטcle « dans un large mouvement de transformation sociale et de contestation » gיnיrant ainsi un « espace d’intיgration sociale et de participation dיmocratique » [7]. Ces dיbats ayant יtי rיactivיs il y a un peu plus de trente annיes, on se limitera ici א cette derniטre pיriode.
Comme le rappelle le rapport de l’יquipe de l’ESEAC, une premiטre initiative de responsables nationaux des organisations du secteur (Groupement National de la Coopיration (GNC), Fיdיration Nationale de la Mutualitי Franחaise (FNMF), Union Interfיdיrale des Œuvres Privיes Sanitaires et Sociales (UNIOPSS), Comitי de Coordination des œuvres mutualistes et coopיratives de l’Education Nationale (CCOMCEN)) se dיveloppe en 1970 et aboutit א la naissance du Comitי National de Liaison des Activitיs Mutualistes, Coopיratives et Associatives (CNLAMCA) [8].
Du Tiers-Secteur א l’יconomie sociale
Simultanיment, parmi les reprיsentations issues de la sphטre politique et accיdant א une certaine visibilitי dans le dיbat public, surgit l’idיe d’un Troisiטme Secteur qui trouverait place entre Etat et Marchי au cœur du projet de “Nouvelle Sociיtי” proposי alors par Jacques CHABAN-DELMAS et thיorisי notamment par Jacques DELORS [9]. Derriטre l’idיe de « Tiers Secteur », vocable יvocateur en France d’un profond mouvement de transformation politique par ses rיsonances historiques [10], apparaמt un nouveau modטle ternaire de reprיsentation du systטme יconomique et social qui se substitue progressivement א celui caractיrisי jusqu’alors par une opposition majeure entre secteur public et secteur marchand. Conחu d’emblיe et de faחon prיmonitoire comme « une rיponse partielle » א la crise de l’emploi qui commence א atteindre les יconomies dיveloppיes, le concept de « Tiers Secteur » prיsente dטs cette יpoque un contour flou qui fait certainement obstacle א sa reconnaissance et א son adoption tant au niveau politique que sur le terrain scientifique. Conscients de cette ambiguןtי, les animateurs du CNLAMCA, suivant ainsi les conseils d’Henri DESROCHE, vont prיfיrer en 1977 une rיfיrence א l’יconomie sociale de Charles GIDE [11]. Cependant, א la diffיrence de l’idיe de Tiers secteur qui portait aussi bien les dimensions socio-politiques que socio-יconomiques de l’activitי des organisations ainsi regroupיes [12], la notion d’יconomie sociale semble plutפt privilיgier l’aspect gestionnaire au risque d’occulter la dיmarche civique qui accompagne souvent aussi les projets des organisations concernיes.
Le relais sur le terrain politique des initiatives des acteurs de l’יconomie sociale sera pris au dיbut des annיes quatre-vingts par Michel ROCARD, Ministre du Plan et de l’Amיnagement du territoire notamment avec la crיation d’une dיlיgation interministיrielle א l’יconomie sociale (DIES). Cette nouvelle יtape et le projet implicite de fיdיration des acteurs qu’elle sous-tend introduisent dans l’espace administratif une catיgorie juridique voulue plus opיratoire. Pourtant, elle va surprendre au dיpart les juristes. En effet, l’idיe d’יconomie sociale n’est alors plus reconnue comme un concept scientifique (malgrי son origine un siטcle auparavant dans la tradition universitaire franחaise !). Cet enracinement de l’expression « יconomie sociale », reflet d’une spיcificitי historique franחaise, explique sans doute la difficultי rencontrיe pour trouver un יquivalent tout א fait satisfaisant dans les langues de tradition anglo-saxonne. Dans un autre contexte culturel, les catיgories juridiques utilisיes pour dיcrire l’existence d’un espace d’action יconomique et sociale א cפtי de la sphטre des organismes publics et de celle des organisations א but lucratif sont diffיrentes. Le nom qui semble le plus proche dans la littיrature scientifique est celui de “nonprofit organizations”, parfois concurrencי par celui de “voluntary sector”. Les rיalitיs visיes sont souvent trטs proches mais la conception sous-tendue par l’organisation de projets יconomiques א vocation sociale ouvre des perspectives autrement plus larges et dynamiques que la simple abstention א l’יgard de la recherche de profits ou l’appui exclusif sur des ressources bיnיvoles.
Un investissement thיorique encore insuffisant
Cette relative indיpendance terminologique franחaise ne s’est pas accompagnיe, du moins jusqu’א ces quinze derniטres annיes [13], d’un investissement thיorique suffisamment consיquent pour en confirmer l’intיrךt et en consolider vraiment la place dans les dיbats scientifiques comme sur la scטne politique internationale. Ainsi, le positionnement conceptuel de l’יconomie sociale est restי comme un « entre deux » en יtant finalement dיfini comme le secteur du non-profit ou le Tiers secteur l’avaient יtי auparavant : c’est א dire en terme relatif par rapport aux autres secteurs et le plus souvent de faחon nיgative par rapport א ce qu’il n’est pas. Cette maniטre de concevoir la « troisiטme sphטre » n’est יvidemment nullement neutre puisqu’elle dיtermine les frontiטres de son espace lיgitime. Les constructions thיoriques les plus emblיmatiques, publiיes dans la littיrature anglo-saxonne ces derniטres dיcennies, vont contribuer א accrיditer une telle dיfinition. Elles expliquent en effet, l’existence des organisations sans but lucratif essentiellement par les dיfaillances des deux autres secteurs dיvoilant ainsi des anfractuositיs oש de telles initiatives pourraient se glisser. WEISBROD [14] souligne par exemple, le caractטre complיmentaire du secteur volontaire non lucratif dans la production de biens publics irrיmיdiablement sous optimale quand elle est le fruit de la seule dיcision des pouvoirs publics [15]. De son cפtי, HANSMANN [16] met en יvidence « l’יchec contractuel » du marchי dans certaines situations oש l’asymיtrie d’information entre les co-יchangistes est trop forte. Des avantages comparatifs subsistent donc pour des organisations sans but lucratif dans certaines activitיs comme les services relationnels ou encore pour des activitיs dont la rentabilitי marchande est trop faible ou beaucoup trop incertaine.
Ainsi, en raison de ces reprיsentations dominantes, l’יconomie sociale se trouve gיnיralement (et de lא, bientפt gיnיriquement) enfermיe dans les fonctions que les deux autres secteurs ne sont pas en mesure d’assurer correctement. L’Etat, obligי de lיgifיrer de faחon gיnיrale, est souvent mal א l’aise quand il faut des interventions plus personnalisיes. Manquant de souplesse, il reste peu performant s’il n’a pas de relais pour pיnיtrer dans tous les recoins du champ social et ses interventions deviennent vite co�teuses sans les ressorts de l’engagement bיnיvole. De mךme, le marchי concurrentiel prיsente aussi des limites. Privilיgiant la rentabilitי א court terme, il tend א oublier les besoins non solvables et א privilיgier des mיcanismes de sיlection sur le marchי du travail, source de prיcaritי voire d’exclusion. Le repיrage de ces dיfaillances avיrיes dיtermine donc ce que doit ךtre la vocation de l’יconomie sociale : investir et se risquer dans ces domaines laissיs en friche ou encore mal couverts par les autres acteurs ou encore tenter de rיparer les effets d’exclusion, sans pour autant lui reconnaמtre une vיritable capacitי autonome d’intervention. Bref, l’יconomie sociale est envisagיe comme un secteur rיsiduel dont l’activitי יconomique n’est qu’א peine reconnue ; son rפle se limitant א mettre en œuvre de faחon subsidiaire ce qui ne s’accomplirait pas ou ce qui se rיaliserait mal dans les deux autres sphטres. La place ainsi attribuיe א l’יconomie sociale et solidaire est davantage concיdיe qu’acquise et ne saurait en rien constituer un espace d’action collective vיritablement autonome.
L’יconomie sociale comme secteur rיsiduel
Cette conception dominante dans la dיfinition thיorique de l’espace lיgitime d’intervention des organisations de l’יconomie sociale s’appuie principalement sur des raisonnements d’ordre microיconomique (imperfections des marchיs, impuissance des acteurs publics). Elle est consolidיe par les analyses א caractטre plus macroיconomique dיveloppיes par des spיcialistes de la science politique. Ainsi, certains d’entre eux voient dans le dיveloppement accיlיrי des organisations de l’יconomie sociale et solidaire, observי ces trente derniטres annיes, l’une des procיdures “post-keynיsiennes” de rיgulation de la sortie de crise des יconomies dיveloppיes [17]. Ils considטrent aussi qu’en l’absence d’une rיelle inscription dans des mouvements plus profonds de transformation sociale, l’יmancipation rךvיe par les promoteurs de l’יconomie sociale n’est qu’une illusion.
Les annיes quatre-vingt-dix sont marquיes par un renouvellement de ces approches. Dans la logique d’une reprיsentation schיmatique du systטme יconomique et social, le modטle א trois sphטres est א son tour discutי. Dans un contexte de rיcession יconomique, le dיbat porte alors essentiellement sur les conditions d’exercice des solidaritיs. La « crise de l’Etat providence » devient un thטme rיcurrent dont les acteurs ont quelques difficultיs א prendre toute la mesure [18]. Sans doute faut-il faire la part du mythe qui gמt au sein de l’idיe de “welfare state” et reconnaמtre les ambiguןtיs d’une telle reprיsentation. On se demande en effet, s’il a jamais existי un Etat א l’יcoute des plaintes souvent א peine murmurיes par les personnes les plus fragiles, et surtout attentif א rיpondre rapidement et efficacement aux besoins exprimיs ou cachיs. L’analyse historique de la mise en œuvre des diffיrentes politiques publiques en matiטre sociale donne plutפt l’image d’un Etat sourd et donc lent א percevoir les besoins, mךme les plus urgents, et souvent celle d’un acteur peu capable d’y rיpondre de maniטre satisfaisante du fait d’une certaine lourdeur bureaucratique ou simplement de la complexitי de la dיcision collective [19].
L’יconomie sociale comme יlיment d’une יconomie mixte
Avec la rיcession יconomique, les limites de l’intervention publique dans le domaine de la protection sociale devenant plus יvidentes du fait des resserrements budgיtaires, la perception des rפles respectifs des acteurs en matiטre de solidaritי s’est trouvיe singuliטrement modifiיe. La reconnaissance obligיe de l’existence d’autres sources de la solidaritי a progressי et conduit א substituer א l’idיe d’Etat providence celle d’יconomie mixte du social (“welfare pluralism”). La rיaffirmation de la responsabilitי individuelle (“self-help”) d’une part, le renforcement de la prioritי absolue donnיe aux « solidaritיs familiales » dans la construction de rיponses aux nouveaux besoins d’autre part, permettent de fortifier le caractטre subsidiaire des interventions publiques ouvrant ainsi une brטche au reflux de la solidaritי collective. Cette redיcouverte de formes de solidaritי, jamais vraiment disparues, remet au devant de la scטne sociale le domaine de la vie personnelle et celui de la cellule familiale, c’est-א-dire la sphטre privיe (celle de la “privacy” dans la terminologie anglo-saxonne).
En cherchant א comparer dans des contextes nationaux diffיrents les poids respectifs de ces solidaritיs et surtout la variation de leurs modes d’articulation, le politiste ESPING-ANDERSEN [20] est conduit א redיfinir un nouveau schיma ternaire oש la sphטre privיe apparaמt dיsormais א cפtי des sphטres du secteur public et du secteur des entreprises selon des configurations variables d’un pays א l’autre en fonction de leur histoire ou de la culture dominante.
En dיfinitive, c’est, semble-t-il, א Adalbert EVERS [21] que l’on doit le modטle quaternaire dיsormais largement utilisי [22]. Ce modטle ajoute aux trois sphטres dיcrites prיcיdemment celle oש se situent les organismes d’יconomie sociale [23].
Schיma n° 1 Les quatre sphטres du systטme יconomique et social. Cette reprיsentation schיmatique (Voir Schיma n°1), dיsormais bien connue dans la littיrature portant sur ces questions, mיrite quelques commentaires. En effet, en projetant sur un mךme plan les institutions hיtיrogטnes oש s’יlaborent les solidaritיs dans la sociיtי elles sont ramenיes א une mךme dimension fonctionnelle. On cherche ainsi א mettre en יvidence que la protection des personnes face aux risques de la vie rיsulte de la combinaison des actions dיveloppיes dans les quatre sphטres : celle du marchי oש domine l’יchange marchand contractuel et l’intיrךt, celle de l’Etat oש s’exerce une redistribution imposיe, celle des solidaritיs familiales dont les configurations varient fortement selon les contextes culturels nationaux ou mךme rיgionaux et enfin, celle des solidaritיs volontaires oש se conjuguent l’action d’hommes et de femmes associיs et qui constitue le cœur de l’יconomie sociale et solidaire. Dans l’observation de cette projection sur un mךme plan, la prudence s’impose pour les chercheurs. En effet, comme le souligne Michel MESSU, « il n’y a pas, א proprement parler, de continuitי entre ces instances » [24]. Notamment, en matiטre de solidaritי le concept change de nature et pas seulement de forme lorsque l’on passe de la sphטre publique א la sphטre privיe. En outre, cette image sous la forme gיomיtrique particuliטre qui lui est donnיe ici peut prיsenter des aspects trompeurs. On ne s’attardera pas sur l’illusion de poids respectifs יquivalents favorisיe par l’adoption d’une figure « magique » dיcomposable en triangles יquilatיraux de surface יgale. Il paraמt plus important de s’interroger sur le dיcoupage de l’espace qui peut laisser entendre que des secteurs יtanches coexistent. Conscients de cette apparence trompeuse, les auteurs de cette conception font remarquer qu’il n’existe pas « une nette ligne de dיmarcation entre, d’une part, les territoires du marchי, de la sphטre publique ou du domaine communautaire, et, d’autre part, le tiers secteur » [25]. Ainsi, il faut bien reconnaמtre que l’action collective produite au cœur de la sociיtי civile grגce א la libertי de s’associer est une forme particuliטre qui ne se dיtache pas toujours clairement des autres sphטres d’action.
Nombre d’associations, crייes א l’instigation des pouvoirs publics ou du moins avec leur parrainage actif ou complaisant constituent en rיalitי de “faux-nez” de l’administration, de l’Etat comme des collectivitיs territoriales [26].
Une monographie dיtaillיe prיsentיe par l’יquipe du Centre de recherches coopיratives de l’universitי de Rennes 2 est instructive sur la genטse de ce type d’organisation. A une demande de famille cherchant une solution locale pour la prise en charge d’un enfant handicapי, l’assistante sociale de la Mutualitי Sociale Agricole rיpond en impulsant avec son institution une analyse de besoins et en favorisant un large partenariat. Le cadre associatif est alors le moyen commode et efficace de mobilisation des collectivitיs publiques et des organismes sociaux concernיs en y associant directement des usagers, des personnes qualifiיes et un peu plus tardivement, des reprיsentants des salariיs [27]. Si la souplesse offerte par le statut juridique de l’association permet d’une part, de rassembler plus facilement l’ensemble des acteurs concernיs et d’autre part, d’assurer ainsi grגce א cette coopיration des fonctions conformes א l’intיrךt gיnיral au moindre co�t, la mיfiance des Chambres Rיgionales de la Cour des Comptes est lא aussi pour rappeler les risques d’un mיlange des genres en matiטre d’exercice des responsabilitיs publiques. De mךme, l’association peut devenir le vיhicule de la dיfense ou de l’illustration d’intיrךts marchands non dיguisיs (par exemple, l’Association Franחaise des Entreprises Privיes, ou l’Association Franחaise des Banques, etc.) ou s’inscrire dans un processus de consolidation de certaines activitיs יconomiques notamment du secteur artisanal [28]. Si les acteurs du secteur lucratif pיnטtrent dans le champ de l’יconomie sociale quand cela prיsente pour eux un intיrךt, le mouvement inverse peut aussi exister de la part des entreprises de l’ESS de maniטre volontaire ou sous la contrainte plus ou moins forte de la recherche d’un יquilibre budgיtaire compromis. En effet, beaucoup d’associations, encouragיes souvent par les pouvoirs publics dont les capacitיs de financement s’יpuisent, sont amenיes א se dיplacer vers le secteur marchand en vendant des services ou des biens avec, יventuellement, des tarifs plus ou moins modulיs. Quant au mouvement coopיratif, s’il promeut des valeurs diffיrentes, depuis toujours il n’hיsite pas א affirmer, sans la moindre ambiguןtי, sa vocation א s’engager dans la compיtition יconomique. Les points de contact (et parfois de friction) entre les diverses formes d’יconomie sont donc inיvitablement nombreux dans une יconomie de marchי dיveloppיe.
Enfin, certaines organisations de l’ESS sont fortement imbriquיes avec la sphטre privיe domestique. Ceci doit ךtre entendu dans plusieurs sens. D’abord, dans la vie associative ou mutualiste perdurent parfois des relations familiales ou du moins conviviales qui peuvent mךme donner une forte empreinte א l’organisation collective [29]. Ensuite, les mouvements associatifs familiaux, bien placיs pour repיrer les problטmes rencontrיs par les familles, ont œuvrי א la mise en place de services facilitant leur vie quotidienne ou contribuant א la prise en charge de leurs enfants notamment s’ils sont handicapיs. Enfin, certaines formes de repli communautaire ou mךme de phיnomטnes sectaires voire « maffieux » que le statut associatif abrite parfois peuvent ךtre regardיes comme une extension de la sphטre privיe au delא des groupes familiaux naturels ou comme une alternative א leur endroit.
La reconnaissance d’un certain flou dans les limites entre les sphטres reprיsentיes s’accompagne aussi d’une interrogation sur l’unitי mךme de la sphטre de l’יconomie sociale notamment dans sa partie la plus nombreuse, celle des associations. En effet, la flexibilitי du statut associatif, au nom mךme des libertיs qu’il entend favoriser, est la source d’une extrךme diversitי de modes d’emploi qui rendent inיvitablement difficiles א la fois toute procיdure simple d’agrיgation conceptuelle et toute dיmarche d’alliance א visיe fיdיrative ou opיrationnelle. Cette hיtיrogיnיitי de la sphטre de l’יconomie sociale n’est d’ailleurs pas spיcifique. Elle se retrouve au sein de la sphטre publique entre les diffיrents niveaux d’administration territoriale. Elle existe יgalement au sein de la sphטre rapidement qualifiיe de « marchי » et qu’il serait prיfיrable de prיsenter autrement. Peut ךtre mךme faudrait-il suivre la voie proposיe par les chercheurs de l’ESEAC qui, s’inspirant et actualisant le schיma proposי, dטs 1983, par Henri DESROCHE [30], prיfטrent distinguer l’יconomie artisanale et l’יconomie lucrative manifestant par lא l’hיtיrogיnיitי du secteur productif marchand entre la sociיtי capitaliste יventuellement multinationale et l’entreprise individuelle א caractטre artisanal ou libיral (cf. Schיma 2).
Schיma n° 2 Les cinq formes d’יconomie
A la lecture des יtudes monographiques rיcentes se dessine un tableau gיnיral complexe au sein duquel trois constats majeurs peuvent ךtre dיgagיs : d’abord, celui de l’existence d’une grande diversitי des champs d’intervention et des configurations de l’entrepreneuriat collectif au sein de l’יconomie sociale ; ensuite, celui d’une forte porositי entre ce qu’il est convenu d’appeler le marchי, l’יtat et le secteur associatif ; enfin, celui de la rיalitי d’un continuum entre toutes les formes d’exercice de la libertי d’entreprendre (individuelle ou collective, avec ou sans but lucratif, orientי vers l’intיrךt gיnיral ou seulement au service d’intיrךts particuliers). A partir de ces observations, il apparaמt clairement qu’il est impossible de superposer au schיma rassemblant les quatre sphטres d’action celui de statuts juridiques clairement diffיrenciיs. Rיsumant cette idיe, Robert LAFORE note que les formes juridiques sont soumises א une forte logique instrumentale qui conduit les acteurs א mettre en œuvre une grande variיtי de bricolages visant א « maximiser les rapports de congruence entre leur action et les ressources/contraintes du cadre [juridique] adoptי. » [31]. Un tel pragmatisme ne manque certainement pas de vertus mais en brouillant les distinctions il oblige l’analyste א un effort de clarification en mךme temps il incite les acteurs de l’ESS א prיciser les יlיments essentiels de leur spיcificitי. L’יconomie sociale comme un secteur spיcifique S’il est clair que les coopיratives et les sociיtיs mutualistes sont conחues d’emblיe pour entrer dans le champ de la production יconomique entendu largement, il n’en va pas de mךme pour toutes les associations. Leur assimilation א une entreprise ne peut donc ךtre systיmatique. En effet, beaucoup d’associations ne deviennent jamais une vיritable entreprise c’est א dire « une unitי יconomique, composיe d’un ensemble de biens et de personnes, affectיs א un but commun de production de biens ou de services, et dotיe d’une instance autonome de dיcision et d’organisation » [32]. Pour qu’elles le deviennent, il faut qu’elles « entrent en יconomie » [33]. Bien s�r, א l’instar de toute organisation, les associations ne vivent pas en autarcie. Elles baignent dans la sphטre יconomique par exemple, pour se loger, pour transmettre des messages voire pour embaucher des permanents afin d’ךtre en mesure de dיvelopper leur projet. Elles se comportent alors comme des consommateurs et elles se diffיrencient assez peu de « mיnages יlargis ». De mךme, quelques associations assurent de simples missions de redistribution. Cependant, une grande partie des associations vont se mettre א produire, entrant ainsi en יconomie soit parce que la poursuite de leur projet les conduit א s’engager dans cette voie pour en assurer la rיalisation concrטte soit parce qu’elles recherchent des ressources complיmentaires dans un domaine sans rapport direct pour dיgager les moyens nיcessaires א leur projet.
La spיcificitי de « l’entreprise associative » va nous permettre de prיciser les caractטres qui pourraient diffיrencier l’ESS de l’יconomie lucrative. En effet, l’entreprise lucrative sert implicitement ou explicitement de rיfיrence que ce soit comme modטle conceptuel ou comme standard que l’on peut imiter ou dont il convient au contraire de se dיmarquer.
Le schיma n°3 montre qu’une entreprise lucrative est constituיe de quatre pפles [34]. Celui de la gouvernance correspond aux instances dirigeantes de l’entreprise. Il veille א l’organisation de l’activitי productive oש se dיploient les diverses fonctions techniques opיrationnelles nיcessaires א la rיalisation du bien ou du service ; c’est le pפle de la production. Le bien ou le service produit est ensuite destinי א ךtre achetי par un consommateur qui souhaite l’utiliser ; c’est le troisiטme pפle de l’utilisation des services.
Inspirי de Michel ADAM Schיma n° 3 : L’entreprise lucrative L’ensemble de l’organisation reste sous le contrפle des personnes qui ont engagי leur capital dans l’affaire et qui en attendent la rentabilitי la plus grande possible א plus ou moins long terme ; voilא le quatriטme pפle. Evidemment, selon que le capital appartient א une seule personne (entreprise individuelle, par exemple artisanale [35]) ou qu’il mobilise une grande quantitי de capital apportיe par un grand nombre d’actionnaires, les conditions et les modalitיs du contrפle sont variables. Tantפt le propriיtaire du capital assure lui-mךme la gouvernance, tantפt il dיlטgue א une direction le soin d’exיcuter cette fonction [36]. Nיanmoins, dans tous les cas le capital financier immobilisי dans l’entreprise fait subir un co�t d’opportunitי א son dיtenteur יgal א ce qu’il aurait pu lui rapporter dans d’autres affectations (correspondant par exemple au taux de l’intיrךt ou au taux de rentabilitי du capital moyen).
La logique lucrative oriente de maniטre dיterminante le fonctionnement d’une telle entreprise et, quand celle-ci est soumise א la pression de marchיs concurrentiels efficaces (du cפtי du capital comme du cפtי des biens et services dיlivrיs [37]), elle tend א favoriser l’adoption des solutions efficientes c’est א dire offrant le meilleur rapport qualitי/prix. Bien s�r, cette « unitי » du projet lucratif est un facteur de cohיrence fort pour l’organisation. Nיanmoins, cette orientation est aussi un facteur limitatif parce qu’elle risque de ne mettre en valeur qu’une partie du potentiel des ressources qu’elle mobilise, parce qu’elle peut engendrer des rapports conflictuels et qu’elle conduit rיguliטrement א des segmentations du marchי peu favorables א une cohיsion sociale forte de la population.
L’יmancipation de l’ESS par rapport א la logique lucrative En l’absence d’un but lucratif, ce sont inיvitablement d’autres objectifs, fondיs sur des valeurs diffיrentes, qui ont structurי les activitיs construites progressivement au sein de l’ESS et qui ont ainsi contribuי א orienter l’organisation de leur production. Le projet de l’association, de la mutuelle est le recueil de ces valeurs et de ces orientations.
Le schיma n°4 montre qu’entreprises et organisations de l’ESS sont susceptibles de rassembler יgalement trois pפles identiques. Ce constat fonctionnel יclaire une des raisons de la proximitי entre ces organisations de l’ESS et les entreprises du mךme secteur. Si l’on ajoute que ces organisations font en gיnיral face א des contraintes en partie analogues, certains יconomistes, frappיs par ces ressemblances, se sont interrogיs sur la possibilitי d’un phיnomטne « d’isomorphisme institutionnel » suggיrant l’existence d’une forte tendance parmi les organisations d’un secteur א se ressembler. Toutefois, cette question reste discutיe et certains auteurs notent plutפt l’existence d’interactions complexes entre les secteurs lucratif et non lucratif [38].
Inspirי de Michel ADAM Schיma n° 4 : L’entreprise de l’יconomie sociale et solidaire Le changement fondamental rיside donc dans la prיsence de membres associיs et militants se substituant aux propriיtaires du capital financier de l’entreprise classique. L’absence d’un droit de propriיtי individualisable entre ces acteurs et le patrimoine collectif ne fait pas disparaמtre un fort investissement des personnes dans le devenir du projet. Certes, cet investissement est de nature diffיrente (affectif, symbolique, relationnel par exemple) mais il ne faut pas sous-estimer « la force de ces liens faibles » [39]. Fondי sur une dיmarche volontaire et partenariale, cet engagement de personnes constitue, sous la forme d’un capital humain, la vיritable richesse de l’organisation de l’ESS. L’expיrience associative, notamment quand elle entre sur le terrain de la production יconomique, se prיsente donc comme une forme particuliטre d’entreprise collective.
Ainsi, le profit ne servant plus de boussole et de guide, est ouverte la possibilitי d’entreprendre autrement. L’absence de la recherche du profit semble laisser plutפt un vide relativement א l’entreprise lucrative classique quant א l’orientation politique de l’association. Le projet associatif qui יnonce les finalitיs poursuivies et les valeurs qui les fondent est normalement ce qui structure le fonctionnement de l’association. On aura compris que lא oש l’entreprise fait apparaמtre un objectif unifiant יclairant les choix א effectuer et peu remis en cause en pratique, l’organisation de l’ESS rיvטle de la complexitי par le caractטre pluriel des orientations possibles et donc par la dיlibיration nיcessaire sur les choix א effectuer. Affirmer la complexitי associative [40] est un constat qui invite א l’approfondissement de la rיflexion.
Inspirי de Michel ADAM et de KOUZES et MICO Schיma n° 5 : Les quatre logiques dans l’entreprise de l’ESS Une premiטre יtape dans cet approfondissement de l’analyse est proposיe par le schיma n°5. Celui-ci fait apparaמtre la prיsence de quatre logiques dans le fonctionnement associatif. Trois d’entre elles existent יgalement au sein des entreprises classiques : la logique politique qui oriente l’activitי gיnיrale de l’association, la logique managיriale qui organise l’activitי de production et la logique de service qui prend en compte les besoins et les attentes des utilisateurs des services.
Mais dans l’entreprise de l’ESS, une quatriטme logique, que l’on propose d’appeler la logique de responsabilitי est יgalement prיsente. Lא, rיside donc la pierre de touche qui constitue une originalitי et une spיcificitי de ces organisations. Elle consiste dans le fait que les utilisateurs du service sont invitיs expressיment א aller plus loin en apportant, s’ils le veulent, au-delא de leur participation par le biais d’une cotisation, leurs compיtences, leurs idיes et leur temps א la vie de l’association et indirectement א prendre une part active dans la construction d’avenirs partagיs.
La reconnaissance de cet aspect spיcifique est importante car elle souligne l’originalitי des entreprises de l’ESS et l’impossibilitי de leur rיduction א une simple entreprise. En rיalitי, les germes de l’innovation יconomique, sociale, organisationnelle souvent associיe aux pratiques se dיveloppant dans le cadre de l’ESS dיcoulent de ces caractיristiques. Pour autant, certaines observations de terrain montrent que cette spיcificitי mise en יvidence par l’analyse ne va pas forcיment de soi concrטtement. Ainsi, en interne au sein de la communautי de travail, de production et de vie de l’organisation de l’ESS les rapports existants sont parfois des copies conformes de ceux vיcus au sein de l’יconomie classique. En externe יgalement, les partenaires ont gיnיralement tendance א nier cette spיcificitי et l’autonomie qui en dיcoule logiquement. Il s’agit donc d’un enjeu pour les entreprises de l’ESS que de pouvoir conserver leur double nature indissociable : socio-יconomique d’une part, dans leur capacitי d’organisation d’une activitי de production יconomique (א sa maniטre originale), socio-politique d’autre part, dans leur aptitude א constituer un espace commun et public d’יchanges et de communication visant א participer activement aux dיbats, aux actions et aux luttes qui animent habituellement la construction d’une sociיtי dיmocratique. C’est l’articulation de ces deux aspects, rendue possible grגce א l’יmancipation de la recherche exclusive du profit, qui peut ךtre considיrיe comme la vיritable originalitי des organisations de l’ESS. Ces deux derniטres dיcennies ont יtי l’occasion de le redיcouvrir. Economie solidaire : une renaissance de l’יconomie sociale ? Sur cette toile de fond oש dominent la permיabilitי et les chevauchements des diffיrentes sphטres יconomiques, le dיbat s’est trouvי rיcemment renouvelי aussi bien sur le terrain par les pratiques des acteurs qu’au niveau de la problיmatique thיorique qui peut ךtre envisagיe. En effet, sur le terrain le contexte d’une יconomie de rיcession et d’un chפmage massif et durable a favorisי l’יmergence d’initiatives entreprenantes (associations intermיdiaires, entreprises d’insertion, rיgies de quartier, systטmes d’יchanges locaux, etc.) qui ont conduit des organisations א vocation originelle plutפt sociale et parfois des collectivitיs locales א s’engager plus avant dans le champ des activitיs יconomiques. Ces organisations ont des histoires particuliטres diffיrentes. Certaines d’entre elles sont apparues au sein de collectifs qui se sont regroupיs א cette fin mais beaucoup d’autres ont יtי parrainיes par des organisations de l’יconomie sociale existantes [41] ou ont יtי impulsיes grגce au concours actif d’יlus locaux. Plus rיcemment encore, quelques initiatives s’inscrivant dans le cadre des Sociיtיs Coopיratives d’Intיrךt Collectif (SCIC) ont bיnיficiי du soutien du rיseau des Sociיtיs Coopיratives Ouvriטres de Production (SCOP). Ces organisations ont d� se positionner dans l’espace institutionnel. Lא aussi, les perspectives retenues sont variables. Entendant bien prיserver leur spיcificitי toute jeune, certaines initiatives prיfטrent se retrouver uniquement dans un rיseau sectoriel. D’autres affirment dיjא leur appartenance א l’יconomie sociale et s’y engagent dיlibיrיment. D’autres enfin, se reconnaissent plus volontiers dans l’orientation portיe par les animateurs du projet de l’יconomie solidaire.
Ces nouvelles initiatives relancent le dיbat scientifique. Le concept d’יconomie solidaire, dיveloppי par les sociologues et politologues du CRIDA en collaboration avec des chercheurs יtrangers, traduit cette dynamique de la sociיtי civile « moins comme un secteur additif que comme une forme originale d’articulation entre les diffיrents pפles de l’יconomie » [42].
L’hybridation des logiques d’action propres aux diffיrentes sphטres devient alors un atout relativement spיcifique que les organismes de l’יconomie solidaire (comme ceux de l’יconomie sociale) sont en mesure de mettre en œuvre et qui est implicitement mis en valeur par la position centrale (mais ce qui ne veut pas dire dominante) de l’יconomie sociale et solidaire dans le schיma n°1. Pour autant, l’hיtיrogיnיitי des logiques d’action et des formes de solidaritי combinיes au sein de ces organisations suppose une certaine prudence יpistיmologique [43] notamment dans des analyses quantitatives en termes d’יquivalence d’agrיgation ou de substitution de ressources יconomiques.
Elיments de conclusion
La prיsence des organisations de l’יconomie sociale dans l’espace public franחais est dיsormais plus visible mais l’analyse de leur fonction dans la dynamique du systטme social reste une question thיorique et politique encore largement ouverte malgrי son anciennetי [44]. Des interprיtations antagonistes semblent avoir traversי les deux derniers siטcles sans beaucoup de variations. Entre ceux qui y voient un moyen d’יmancipation des personnes, ceux qui perחoivent surtout son rפle d’intיgrateur dans la sociיtי et ceux qui lui reconnaissent des vertus utilitaires le dיbat se poursuit. D’une certaine maniטre, cette persistance des clivages est une confirmation indirecte de l’enjeu qui dיcoule des choix des acteurs de l’ESS ou des stratיgies des dיcideurs politiques cherchant א les encadrer et א dיfinir leur espace lיgitime d’action. La typologie proposיe par Cyria EMELIANOFF reprend א sa maniטre ces oppositions [45]. Ainsi, elle distingue trois modטles d’organisations qui se diffיrencient en fonction de l’analyse portיe sur les problטmes א rיsoudre et sur les solutions א mettre en œuvre : le modטle revendicatif qui suppose que la transformation sociale repose principalement sur la capacitי de la sociיtי civile א faire pression sur les pouvoirs יconomiques et politiques. Les initiatives prises dans cette perspective ont un caractטre alternatif souvent affirmי favorisant la construction de nouveaux modes de production, de consommation, d’יchange et de nouveaux styles de vie. Elles alimentent et construisent le dיbat public, assurant ainsi une veille de la sociיtי civile mais simultanיment alimentent le flux des innovations sociales susceptibles de renouveler les modes de rיgulation sociale.
Le modטle supplיtif qui constate les insuffisances du marchי et de l’action publique et conduit les organisations de l’ESS א participer א la reconnaissance des nouveaux problטmes, א entreprendre pour expיrimenter des rיponses, א faire יvoluer les politiques publiques, א remplir des missions de service public et א se substituer au marchי en crיant des emplois.
Le modטle caritatif qui souligne le rפle des individus et des sociיtיs locales dans la mise en œuvre de la solidaritי, amטne les organisations de l’ESS א porter assistance aux personnes connaissant des difficultיs dans une dיmarche centrיe sur la personne humaine et le sens de la communautי.
Cette typologie ne permet pas toujours de classer facilement toutes les organisations de l’ESS dans la mesure oש les monographies montrent plutפt que la mךme organisation en fonction de son histoire ou selon les circonstances est capable de manifester des prioritיs et des formes d’action variables qui la rapproche de catיgories diffיrentes. Elle reste cependant intיressante car elle met clairement en יvidence diffיrentes postures dans lesquelles est susceptible de s’inscrire l’action des organisations de l’יconomie sociale et solidaire.