Interview de Pierre Volle, Professeur des Universités, responsable du Master Distribution & Relation client de l’Université Paris-Dauphine
Comment la grande distribution s’est-elle adaptée aux comportements des consommateurs face à la crise ?
Depuis un an, il n’y a pas eu de réelle innovation. On voit des choses nouvelles, mais sans vraie rupture, plutôt un renforcement de tendances. Le développement du « self discount » par exemple, c’est-à-dire la vente de produits en vrac – qu’apprécient les consommateurs car elle leur permet d’acheter exactement la quantité voulue sans payer l’emballage – n’est pas un phénomène nouveau et existe depuis 2006. Autre exemple : les marques distributeurs (MDD). Elles viennent de passer la barre des 30 % des parts de marché en valeur. Mais il s’agit, en fait, d’un cap essentiellement symbolique, car les MDD connaissent depuis longtemps une croissance progressive. Que Carrefour lance sa marque distributeur Carrefour Discount n’est donc pas, en soi, une révolution. Dans ce cas, le changement vient plutôt du fait d’associer l’enseigne au nom de la MDD, afin de renforcer son image prix. Faire savoir que l’on pratique des prix bas est devenu la première préoccupation des distributeurs. Et alors que l’on disait le prospectus « ringard », il revient au cœur de la relation avec les consommateurs. La problématique est de réussir à parler de prix tout en respectant le positionnement de l’enseigne. C’est ce que fait Auchan avec son nouveau slogan : « Vivons mieux, vivons moins cher ».
Mais quand près du tiers du chiffre d’affaires s’effectue sur les MDD, est-ce que ça ne modifie pas le métier même des distributeurs, qui deviennent aussi des industriels ?
Cette évolution conforte le modèle d’enseignes comme Ikea, Décathlon, Picard, ce que l’on appelle les « enseignes filières » qui maîtrisent l’ensemble de la chaîne de valeur. Leurs marques ne recherchent pas simplement à être les moins chères. Ces enseignes travaillent sur la valeur tangible apportée par leurs produits, pour qu’ils correspondent aux attentes des consommateurs. Un chiffre est révélateur : en 2008, toutes enseignes confondues, y compris des chaînes comme Zara, Décathlon est le seul à avoir connu une croissance sur le textile. À l’inverse, Go Sport, qui commercialise surtout des marques nationales, a moins de leviers de valeur en dehors du prix…
Carrefour vient de lancer un nouveau concept, l’hypermarché « sur-mesure ». Vous n’y voyez pas une innovation pour mieux répondre aux attentes des consommateurs ?
Carrefour a, en effet, décidé d’adapter l’assortiment
de ses magasins en fonction de la zone de chalandise. D’un magasin à
l’autre, les produits vendus vont être différents pour s’adapter au
profil de la clientèle. On est ici au cœur du « géo-merchandising ». À
Auteuil par exemple, depuis le mois de mai 2009, l’hypermarché met
l’accent sur l’épicerie fine, les produits frais, la poissonnerie, la
cave à vins… Ce que recherchent les clients de ce magasin. Mais la
satisfaction des consommateurs n’est pas la seule motivation de
Carrefour ! Sous l’impulsion des pouvoirs publics, les distributeurs
sont désormais contraints de réduire leurs délais de paiement auprès de
leurs fournisseurs. Ce qui se traduit par une réduction des stocks et
induit une rotation plus importante. Proposer « le bon produit au bon
moment » relève donc, avant tout, de nouvelles contraintes liées au
modèle économique. Pour moi, les révolutions dans la grande
distribution intégrant le changement des comportements de consommation
sont encore dans les cartons. Le développement durable devrait assez
rapidement constituer un axe d’innovation solide, afin de conjuguer
efficacité économique pour les distributeurs, et frugalité de la part
des consommateurs. Le « consommer juste » va rapidement devenir une
tendance de consommation centrale.
Source : Le Hub LaPoste - Le média de la performance client