Magazine Marketing & Publicité

Interview de Gabriel Gaultier de l'agence LEG par la revue étapes

Publié le 17 juin 2009 par Jérémy Dumont

D’eurostar à BHV les campagnes de pub de l’Agence Leg jouent la carte de l’éclectisme, ludique et impertinent. Propos bruts de son dirigeant Gabriel Gaultier, recueilli dans les locaux parisiens.

ÉH : La question de l’attitude, Leg jouerait de l’impertinence quand la tendance est au cynisme.

Interview de Gabriel Gaultier de l'agence LEG par la revue étapes
GG : S’il y a une chose que nous essayons de faire, ce n’est pas au niveau de l’impertinence. Une agence ne peut pas avoir une attitude globale par rapport à l’ensemble de ses clients. Elle ne peut avoir une attitude de réponse que par rapport à 1 brief et des objectifs donnés. Sur la campagne Eurostar, un reflet d’impertinence et de pertinence évoque l’impertinence de la culture aglaise, un second degré à froid. Sur l’Humanité, on sera plus sur un registre de l’émotion, de l’urgence et de quelque chose sur les gens quan d Aberlour sera beaucoup plus académique car le secteur est ainsi.
Ce qui peut être délibéré, c’est plutôt de se dire, essayons d’avoir un dialogue intelligent avec les gens. Je pense que c’est ça le constat que l’on peut faire sur la pub aujour’hui. On est plus dans une logique de compromis entre une agence qui a peur de perdre le client et un client qui a des exigences et des objectifs qui n’en sont pas. De l’ordre du “j’aime — j’aime pas” et de l’ordre du mou. L’essentiel de la pub est une pub de compromis plus que de cynisme. Une espèce de mollesse pas très intelligente qui fait que les gens se hérissent contre ça. Au lieu de se poser la question “Pourquoi ça va être bien pour vous et comment on va l’exprimer en liaison avec votre vie quotidienne”, on va se contenter de peu. On ne sort pas du schéma ”C’est bon mangez-en” avec la variante métaphysique des grandes marques : “Pour que le monde soit meilleur”, “vous donner l’énergie de ceci…” qui peut laisser l’impression du cynisme mais qui est plutôt l’expression de la veulerie et de la lâcheté des 2 parts : agences et annonceurs qui disent ”Faisons un truc qui ne fasse pas de vague, avec des bons sentiments.” Sauf qu’une fois affichés, les bons sentiments apparaissent pour du cynisme.

ÉH : dans l’exemple de la campagne Leclerc sur les lois Galland, il y a une appropriation de valeurs “adverses”, même si ça ne heurte que les graphistes.

Interview de Gabriel Gaultier de l'agence LEG par la revue étapes
GG : Oui, De la paresse et de la lâcheté plutôt que du cynisme. Le premier constat sur cette campagne concerne le manque de pertinence. Quel besoin à Leclerc de se servir de mai 1968 ? Il a déjà un combat et un code. Les campagnes de CLM n’empruntaient à personne, elles ont vraiment inventé quelque chose. C’était dix fois plus efficace. De voir des images somme toute banalisée, vue cinquante fois, des CRS avec des matraques pour dire aujourd’hui le combat est contre les prix, Leclerc n’a pas besoin de ça. On garde l’impression que c’est plus de la paresse : “Hé, regardez ça, je viens de trouver un bouquin avec les affiches de mai ! — Mets un titre là-dessus et démerde-toi.”
Je n’y vois même pas un boulot de récupération, qui, dans ce cas là ne me choquerait pas. Les images sont à tout le monde. Après c’est aux gens de réagir. Si on trouve ça dégueulasse, tant mieux. Je n’y vois même pas un bon travail pour Leclerc. Leclerc c’est un distributeur. Qu’il se démerde pour que ses prix soient moins chers, qu’il mette sa tronche qui dise Je trouve que la loi Gallant n’est pas bonne pour vous.” Mais aller chercher 68 ! Quel rapport ? Un combat pour l’émancipation sociale et un combat sur les prix, ce n’est pas la même chose. J’y vois plus de la bêtise que de la récupération. Sans compter que ce n’est pas très beau. J’aurais été moins choqué de voir par exemple un CRS avec un salami et de lire “Ne vous laissez pas assommer par le prix du salami, chez Leclerc il est à tel prix” Tu te dis, ah oui, c’est drôle. Ils prennent une image quasi mythique et ils la radicalisent. Tu peux faire la même chose avec des images religieuses. Après, ça fait scandale, ça fait pas scandale… au moins, le message est clair, ça dit juste “chez nous le salami il est moins cher.” Et, d’un distributeur, c’est exactement ce que tu attends. Qu’on te donne des leçons de comportement consumériste alors que, de fait, tu as le monopole de la distrib, que tu as étranglé tous les petits commerçants de centre ville… ça colle pas. Comme lorsque Carrefour dit “Mieux consommer c’est urgent”. Vends moins cher, c’est ton pouvoir ! et arrête de nous gonfler.

ÉH :La publicité semble devenir un lieu de discours qui ne serait plus promotionnel. Qui apparaît déplacé ?

Interview de Gabriel Gaultier de l'agence LEG par la revue étapes
GG : Je suis 100 % d’accord, mais c’est plus agaçant que révoltant. Par paresse on réalise un beau message, comme ça on ne se mouille pas. À côté de ça quand Carrefour fait de la promo c’est hideux. Ils ne savent pas mettre en scène une tranche de rumsteck, la typo est dégueu… ils devraient se contenter de savoir faire ça. Ce que nous avons essayé pour le BHV, c’était ça. Nous n’avons pas un message transcendant, nous avons juste essayé de mettre en scène en travaillant avec une graphiste: le blanc avec un fantôme, des boîtes de Nivéa,…. C’est le reflet du magasin : coloré bordélique… ce n’est pas le boulot d’un distributeur de donner des leçons de comportement. S’ils le font, ce n’est pas parce qu’ils y croient. Eux-mêmes n’y croient pas à ce “Mieux consommer c’est urgent”. C’est juste qu’ils se disent : “On va faire un truc mou qui mange pas de pain… et qui ne se voit pas trop.” Parce qu’au final, nous sommes les seuls à s’énerver là-dessus.
Je pense que les gens globalement s’en désintéressent, personne ne se souvient du slogan de Carrefour. Aujourd’hui en France, il n’y a que les publicitaires passionnés et les antipubs qui s’excitent sur la pub. Malheureusement ! Quelque part on se rejoint, les extrêmes se rejoignent. Entre les deux, il y a une masse d’agences qui n’ont plus rien à faire de leur métier et s’en désintéresse, des annonceurs qui sont juste là pour que ça ne fasse pas de vague et qui le lendemain iront dans une autre agence et la masse du public qui de toute façon prend le métro avec un walkman et remarque à peine les affiches sauf effectivement quand elles sont bonnes ou que l’image est différente ou a un contenu imaginaire riche.

ÉH : Le “Tout peu faire vendre ?”

GG :Sauf que ça ne marche pas. Carrefour par exemple a eu des résultats catastrophiques.

ÉH : Si le public ne regarde pas la pub, on pourrait se contenter d’en faire le minima ?

Interview de Gabriel Gaultier de l'agence LEG par la revue étapes
GG : c’est ce que tout le monde fait, et se rattrape sur le plan média. Un concept mou puis un paquet de pognon pour couvrir les murs, remplir les journaux et les écrans de TV en oubliant la valeur première d’une idée, qui est la plu value imaginaire d’un bon spot d’une belle affiche. C’est un discours que je tiens sur la pub mais qui est tout aussi valable sur une affiche de théâtre. Quelque part, si on fait quelque chose, il faut que ça se voie. Dans le théâtre il y a des affiches hideuses et racoleuses et d’autres très bonne qu’on remarque et devant lesquelles on s’arrête. Déjà un premier boulot est fait, la personne s’est arrêtée peut-être aura-t-elle envie d’aller voir une pièce dont l’affiche lui plait. Dans la pub c’est le même boulot.

ÉH : Quelles sont les raisons pour lesquelles Leg agirait différemment.

Interview de Gabriel Gaultier de l'agence LEG par la revue étapes
GG : Nous avons envie d’être fiers de ce qui est produit ici. Je n’ai pas honte de dire que je suis un publicitaire. J’ai choisi ce métier parce que c’est excitant de faire quelque chose et de le voir dans la rue. Comme l’agence est petite quand quelque chose sort c’est comme si c’est moi qui l’avait dessiné. Si c’est naze j’ai honte, quand c’est bien je suis content. Dans une grande agence c’est dilué que tu trouves toujours des raisons : le contexte difficile… On se sent plus responsable.
Nous avons aussi une responsabilité d’émetteurs de messages qui est la même pour des gens de TV ou de média. Nous avons quand même une responsabilité éthique au delà de l’esthétique. Une belle affiche avec une belle mise en page fait progresser le paysage visuel des gens. En Angleterre si la pub est meilleure c’est aussi parce que les gens baignent là-dedans. Ils voient passer un camion, le logo sera beau et bien placé dans une boutique les prix seront bien écrits et les plaques de rue ont de vraies vis. Il y a un soin du détail qui fait qu’une chose moche ne serait pas supportable. C’est comme la musique, quelqu’un qui vit à Londres entend de bonnes choses depuis qu’il est en âge d’écouter la radio. Il y a des chances qu’à 12 ans s’il a une guitare dans les main, il sache déjà ce qu’il faut faire.

ÉH : Est-il possible de préciser cette éthique. Déjà la qualité de l’image ?

Interview de Gabriel Gaultier de l'agence LEG par la revue étapes
GG : La qualité de l’image et de l’idée. Déjà se dire “je vais parler aux gens comme j’aimerais qu’on me parle. Qu’on ne me gueule pas dessus” et c’est valable aussi pour les messages radios fait ici. Dans la mesure où la pub dérange les gens et les tire par la manche, avoir un minimum de courtoisie : une image bluffante, un titre bien composé et que le contenu du titre, l’argumentation soient intelligents et fassent réfléchir. Je crois beaucoup à la valeur provocante en général et de la publicité dans son rôle de propagande qui est son rôle central. Provocatrice pas au sens de déranger mais de provoquer quelque chose dans la réalité. Écrire “Dans un monde idéal l’humanité n’existerait pas” ne dit pas “Achetez l’humanité, mais si ce journal austère, chiant qui ne parle que de grèves existe, c’est parce qu’il y a des personnes qui ont besoin d’être défendus. Maintenant vous en faites ce que vous voulez.” Je trouve que c’est une forme de dialogue acceptable, pas un mode péremptoire qui dirait ”Nous sommes meilleurs que les autres”, juste “On est là parce que la réalité ne va pas bien”. Pareil avec Eurostar on ne dit pas “Allez à Londres”, on montre juste une guitare qui ressemble à des rails de train. Londres est la ville de la musique… Faites-en ce que vous voulez, si vous n’aimez pas la musique n’y allez pas. Je crois beaucoup à la réappropriation par le public. Lors de la campagne avec les faux Beatles, beaucoup d’images placées dans les bars avaient été récupérées. C’est le plus gratifiant, l’image n’est pas juste là pour guider vers un produit, elle peut être réappropriée. C’est la fonction poster.
J’ai toujours été fasciné par les pochettes de disques et la façon dont, dans un carré, il est possible d’envoyer des messages à la fois précis et confus juste avec une typo, une image. Nous avons tous dans notre image des pochettes qui sont le prolongement d’une musique. C’est ce que j’ai toujours aimé recréer dans la pub et ailleurs.

La suite de l'interview ici

 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jérémy Dumont 84 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog