Introduction
Chapitre 1 : Premier mythe : « 1793 » aurait été démocrate
Chapitre 2 : Deuxième mythe : « 1793 » aurait fondé la République
Chapitre 3 : Troisième mythe : « 1793 » aurait été laïque
Du mythe précédent en découle en ligne directe un autre, selon lequel « 1793 » serait laïque, cependant que « 1789 » serait clérical, ou plus exactement la gauche serait laïque, et le centre et la droite cléricaux. Pour bien comprendre le problème, il va falloir en réalité distinguer deux anticléricalismes : le premier débouche sur la laïcité, le second sur le laïcisme, véritable religion de substitution.
L'anticléricalisme rationnel
Cet anticléricalisme remet en cause le pouvoir politique et social du clergé auquel il reproche d'empêcher l'épanouissement de la pensée critique et de la science. Il s'oppose à l'ultramontanisme [1], aux théocrates Maistre et Bonald, aux encycliques liberticides Mirari Vos [2], Quanta Cura [3] et le Syllabus [4]. Parmi eux, on compte Stendhal, Michelet, Renan, Hugo, Taine, Flaubert, Prévost-Paradol, Sainte-Beuve, Erckmann, Chatrian, Barni, Vacherot ou Renouvier. Ils développent l'idée de la nocivité sociale de l'éducation catholique.
Les critiques redoublent après la défaite française de 1870-71 face à l'Allemagne. La victoire des Allemands, dit-on, a été celle de leurs instituteurs et de leurs ingénieurs. On s'effraie à l'idée que la France, si l'Eglise « syllabique » y prenait trop d'importance, ne devienne bientôt une Italie, une Espagne, une Irlande, une Pologne, pays attardés. Les anticléricaux rationnels prônent donc très vite la séparation des Eglises et de l'Etat. Ils ne sont pourtant pas antichrétiens ; ils ne pensent pas que quelqu'un ait jamais « démontré » que Dieu n'existe pas. Ils ne veulent pas attenter à la liberté de conscience. Ils n'entendent pas donner à l'Etat le rôle même qu'ils contestent à l'Eglise, celui d'un directeur de conscience des citoyens armé du bras séculier. Ils pensent qu'il faut simplement établir en France la neutralité religieuse de l'Etat, avec liberté complète des cultes, et distinction, dans l'enseignement, entre l'enseignement des savoirs profanes, qui doit être critique et affranchi de tout dogmatisme, et celui de la foi, qui est légitime en son ordre et doit rester libre. Ainsi s'exprime, par exemple, Paul-François Dubois, qui souhaite la séparation des Eglises et de l'Etat, certes, mais est dans le même temps opposé à l'idée d'un monopole scolaire entre les mains de l'Etat.
L'anticléricalisme fanatique
Le second anticléricalisme est fanatiquement et viscéralement antichrétien. Il n'est ni tolérant ni libéral, mais entend au contraire imposer sa propre irréligion comme une nouvelle norme.
Nourri de scientisme, il croit qu'il y a incompatibilité totale entre la science et la religion. Il recrute en masse dans le monde de l'enseignement primaire, chez des gens à demi-instruits et fascinés par les résultats de la science, mais incapables de participer à la démarche érudite et critique dont elle est le fruit.
Edgar Quinet, dans L'Enseignement du peuple (1850) a théorisé ce nouveau fanatisme. Il affirme tout d'abord que toute société est caractérisée par sa religion. Ensuite, le catholicisme est rigoureusement incompatible avec la liberté, puisqu'il implique sur le plan intellectuel le dogmatisme, et sur le plan politique, l'absolutisme. La France, étant catholique, ne peut ainsi accéder à la liberté et donc au monde moderne. Les nations anglo-saxonnes ont pu, elles, accéder durablement à la modernité tout en restant chrétiennes, parce que leur religion, le protestantisme, intègre la liberté dans la religion même. Conclusion : la France ne pourra devenir moderne et acquérir les libertés des autres nations civilisées que si elle élimine le catholicisme, avec l'aide éventuelle des protestants.
Quinet ajoute : « Le catholicisme ne sera mort que lorsque nous l'aurons tué. On a déjà brisé cent fois la statue, mais ce qu'il faut briser, c'est le moule » [5]. Il faut prendre des mesures de force pour détourner le peuple du catholicisme. Il faut interdire l'enseignement du catholicisme en employant l'arme absolue, le monopole scolaire. Dans une autre brochure, La Révolution religieuse au XIXe siècle, il précise sa stratégie : il ne faudra pas attaquer seulement le cléricalisme, mais le catholicisme lui-même. Quinet ne pardonne pas à Victor Hugo et à Lamennais d'avoir envisagé de réconcilier l'Eglise avec la Révolution. La loi Falloux accordant aux catholiques la liberté d'enseignement a été une folie. Quand les républicains auront le pouvoir, ils devront l'abroger.
Il faut imiter les procédés violents par lesquels l'Eglise et l'Empire romain ont eux-mêmes, dans l'Antiquité tardive, supprimé le paganisme. Leur méthode a consisté à détruire les temples, à mettre hors la loi le culte et les prêtres païens, et à ne pas hésiter, même, à instrumentaliser la cupidité des masses à qui l'on a promis les richesses des temples. Il faut donc rendre le culte chrétien « matériellement impossible » [6]. Rendre « matériellement impossible » le culte chrétien en détruisant le plus grand nombre possible d'églises, c'est ce qu'ont fait les communistes en Russie. C'est ce qu'ont fait plus radicalement les nazis en Ukraine, où ils n'étaient pas liés par le Concordat comme ils l'étaient sur le territoire du Reich [7]. Les uns et les autres auraient pu, à bon droit, se réclamer de la « République » quinétiste. Le véritable objectif vise à donc à établir une dictature laïque.
Les tenants de « 1793 » ne savent pas qu'il existe une multiplicité de visions du monde et que les idées d'autrui peuvent être éventuellement utiles à ceux-là mêmes qui, d'abord, les rejettent. Ils ne comprennent pas qu'un consensus sur les règles de la vie commune peut et doit se substituer au consensus sur des idées ou des croyances. Ainsi, les anticléricaux fanatiques se croient non religieux parce qu'ils professent des idées antireligieuses, mais ils ne se rendent pas compte que ce qui est religieux en eux, ce n'est pas leurs idées, mais leur rapport non critique au savoir et leur obsession de l'unanimité. Ils sont religieux dans un sens proche de ce que Lévy-Bruhl appelle la « mentalité primitive ». L'unanimisme qu'ils entendent établir n'est pas n'importe lequel ; c'est, le plus souvent, le nationalisme issu de la tradition jacobine. On se souvient que les Jacobins se sont heurtés non seulement aux Vendéens, aux Chouans et aux aristocrates, mais aussi aux fédéralistes. Ils ont eu alors l'idée de provoquer puis d'entretenir le danger extérieur, ce qui leur a permis de prétendre que ceux qui ne se ralliaient pas à leur lutte partisane étaient complices de l'ennemi. Le « soldat de l'an II » mène un combat social de type millénariste [8].
Ce socialisme nationaliste a été exacerbé par la défaite de 1870, il s'est reconnu dans la « guerre à outrance » de Gambetta, puis dans le déroudélisme, le boulangisme et le barrésisme. Dans les dernières décennies du XIXe siècle, il milite passionnément pour la Revanche. Au temps de la Révolution, les boucs émissaires ont été les « aristocrates », les « émigrés ». Vers la fin du XIXe siècle et jusqu'à l'affaire Dreyfus, ce seront, avec des dosages divers selon les époques, les juifs et les protestants. Ensuite, avec le passage de toute la gauche française au marxisme, le curseur se fixera sur les bourgeois. A l'époque dont traite ce chapitre, c'est-à-dire au début de la IIIe République, ce sont les cléricaux surtout qui attirent la foudre. La liberté de l'enseignement est de nature à rompre l'unité nationale, garantie au contraire par l'école publique.
Le Laïcisme est une religion de substitution. Comme l'écrit Quinet, les Français ont besoin d'un « principe de concorde » ; il faut « recréer une fraternité religieuse » qui sera la « religion de la Révolution ».
La neutralité n'aurait de sens que si l'Etat pouvait envisager de laisser subsister le pluralisme religieux. Or il n'en est pas question. La France nouvelle ne doit avoir qu'une seule « foi » [9]. Aux yeux de la démocratie radicale, la religion est une rivale à abattre. Le débat n'a jamais été entre religion et laïcité, comme on le répète en France depuis un siècle, mais entre deux religions, christianisme et millénarisme. Il n'y a pas de vraie querelle entre christianisme et laïcité, puisque la laïcité est une idée chrétienne [10]. Le problème ne naît que lorsque deux religions se font la guerre, ou plutôt lorsqu'une religion non laïque, le laïcisme, déclare la guerre à une religion admettant la laïcité, le christianisme.
Une première loi Ferry de 1879 établit le monopole de l'Etat sur la collation des grades, et interdit tout enseignement aux membres des congrégations « non autorisées ». Dès 1880, un premier décret dissout les Jésuites ; un second, les autres congrégations « non autorisées ». 261 couvents sont fermés et près de 6000 religieux expulsés. En mars 1882, la loi de laïcisation est votée. Une loi de gratuité, votée précédemment, fait financer l'école laïque par les contribuables catholiques qui devront donc payer une seconde fois l'école s'ils veulent scolariser leurs enfants dans des écoles privées de leur choix. Les 15 000 religieuses qui enseignent dans les écoles publiques sont licenciées par la loi Goblet qui, en outre, nationalise entièrement l'enseignement public, c'est-à-dire le fait dépendre du seul gouvernement central. En 1884, on prive du droit d'éligibilité les ministres du culte. On surveille, dénonce, traduit en justice les prêtres qui expriment leur désaccord avec la politique antireligieuse du gouvernement [11].
L'école publique protestante
Les opportunistes entendent donner un tour constructif et libéral à leur œuvre scolaire. Cette situation durera pendant quelque deux décennies. C'est dans cette période que naît l' « école de la République », la fameuse école des « hussards noirs ». Elle a été véritablement laïque. Cette première école républicaine est due non pas à des libres penseurs et à des athées, mais à des protestants. La spiritualité protestante attire les libéraux [12], d'autant que les protestants sont à l'origine des libertés modernes [13]. Guizot, Constant, Laboulaye marquent la vie intellectuelle ; il y a cinq protestants sur dix ministres dans le premier gouvernement de la République des républicains. Tous appartiennent à l'aile « libérale » du protestantisme français. Vaincus en 1872 au synode national par les orthodoxes, ces libéraux se sont éloignés de l'Eglise réformée. Ils ne veulent rien de moins que refaire la Réforme en France. Charles Renouvier pense que l'on peut remodeler l'Histoire. Il est donc rationnel de se donner pour projet de refaire ce qui a été mal fait, de revenir aux carrefours où l'Histoire a choisi la mauvaise route [14].
Les protestants pensent qu'il n'y a pas de contradiction entre foi et raison, qui ne sont pas du même ordre, et qu'il y a au contraire entre elles une convenance intime. Ils sont rationalistes critiques, et non dogmatiques. Ils pensent que l'organisation scolaire ne doit pas être instrumentalisée par la politique.
Ferdinand Buisson, directeur de l'enseignement primaire, Jules Steeg et Louis Liard en sont les figures les plus marquantes. Ils veulent enseigner une morale qui puisse être acceptée par toutes les familles spirituelles de la France, mais ne choque pas la majorité catholique, fondée notamment autour du kantisme.
Mais du contrat passé par les protestants avec l'Etat (avoir un homme de la République dans chaque village, en face de l'homme de l'Eglise) impliquait que les républicains acceptassent de recruter en grand nombre des instituteurs issus des couches nouvelles. Or, ceux-ci étaient des adeptes de l'idéologie de « 1793 » bien plus que du protestantisme et du kantisme. Aussi, rapidement, les protestants seront dépossédés de leur œuvre [15].
La franc-maçonnerie, « église de la République »
Initiée par Waldeck-Rousseau et le « Bloc des gauches », la République radicale est antichrétienne ; elle n'a que faire des protestants. Ses principaux acteurs sont issus de la franc-maçonnerie. Celle-ci était devenue radicale dans les années 1870-1880 ; elle devient radicale-socialiste puis, de plus en plus, socialiste tout court après 1900. Cette évolution n'a certes pas été unanime ; mais une tendance l'emporte finalement sur l'autre : c'est en 1877 que le Grand Orient de France devient officiellement athée, c'est-à-dire retire de ses statuts, sous la pression des libres-penseurs héritiers de la tradition antichrétienne féroce des Jacobins et des positivistes, la référence à l'existence de Dieu et à l'immortalité de l'âme, et même au « Grand Architecte », ce qui provoque l'excommunication des maçons français par les loges anglo-saxonnes et d'Europe du Nord.
Le monde enseignant est entré en masse dans la maçonnerie, et la maçonnerie dans le monde enseignant, via notamment sa véritable « filiale », la Ligue de l'Enseignement.
Il y a des pénétrations réciproques entre la franc-maçonnerie et le Parti Radical, via notamment Camille Pelletan, proche de Clemenceau et fondateur de La Justice, le « Comité d'action pour les réformes républicaines », Léon Bourgeois ou Gustave Mesureur. Beaucoup de francs-maçons, dans les années suivantes, adhèrent aux divers mouvements socialistes qui se constituent à la fin du XIXe siècle et, à partir de sa création en 1905, à la SFIO ; inversement, de nombreux socialistes membres de ces mouvements se font initier aux loges [16].
Le fondateur de la Ligue de l'Enseignement, Jean Macé, est socialiste mais rejoint rapidement les loges ; à sa suite, des loges entières rejoignent la Ligue. Le grand public a l'impression que l'impulsion en faveur des réformes vient de la seule nature des choses, des lois mêmes de l'Histoire et du Progrès, alors qu'elle a le plus souvent pour origine une poignée d'hommes, un état-major secret. La synthèse des travaux des loges est fournie aux frères ministres et parlementaires pour que les positions adoptées par les francs-maçons deviennent des lois de la République. En parallèle, les francs-maçons font des efforts systématiques pour faire accéder leurs membres ou les personnes qui leur agréent à des postes de responsabilité dans la fonction publique. Et veillent à ce que les non-membres soient écartés de l'appareil d'Etat, comme l'a révélé l' « affaire des fiches » en 1904 [17].
Arrive enfin la fameuse loi sur les associations en 1901. D'apparence libérale, elle exclut en réalité du droit commun les associations religieuses, c'est-à-dire les congrégations. Emile Combes fait ainsi fermer 3 000 écoles religieuses. Mais il reste encore, en 1903, des milliers d'établissements scolaires appartenant à des congrégations autorisées. Il faut donc prendre de nouvelles mesures. En juillet 1904 est votée une loi qui interdit définitivement aux religieux, même à ceux des congrégations autorisées, tout enseignement public en France. La République française devient officiellement sectaire. Les quatre cinquièmes des établissements tenus par les congrégations sont fermés.
Enfin, la querelle des « Inventaires » marquera la dernière phase de violence aiguë du combat laïciste. La loi prévoit de mettre les bâtiments églises à disposition d'associations « cultuelles » ; or, beaucoup de bâtiments comportent des biens mobiliers, ou ont bénéficié d'embellissements qui sont le résultat des donations des fidèles, et non des subventions de l'Etat. Clemenceau aura la sagesse de mettre un terme aux Inventaires à la fin de l'année 1906 ; mais cette fois, ce ne sont plus seulement les congrégations qui ont été attaquées, mais le clergé séculier en tant que tel.
Le but des franca-maçons radicaux et des socialistes est le suivant : dès lors que les idées de « 1793 » auront été enseignées officiellement dans les écoles avec le label de l'Etat, elles cesseront d'être des idées politiques partisanes ; elles deviendront une norme culturelle nouvelle s'imposant à tous. Les protestants sont alors éliminés des instances de direction de l'école publique ; le normalien type sera désormais le jeune ambitieux radical ou socialiste devenant député ou ministre, Herriot, Daladier, Yvon Delbos, ou le militant communiste ou compagnon de route, Nizan, Sartre, Althusser et tant d'autres.
Le laïcisme à la française, un nouveau cléricalisme
La loi Waldeck-Rousseau de 1884 autorisant les syndicats avait formellement exclu de son champ d'application les fonctionnaires, qui par essence ne doivent pas faire grève et entrer en guerre contre la nation. Mais les socialistes ont soutenu que les fonctionnaires étaient un « prolétariat administratif » ; ils ont donc formé illégalement des syndicats, qui ont rejoint la CGT créée dès 1895. Ceci a aboutit à une véritable cogestion de la fonction publique entre syndicats et gouvernements. Mais avec les enseignants, l'affaire fut plus radicale encore et, en vérité, d'une autre nature. Alors que les autres syndicats de fonctionnaires demandaient essentiellement des avantages d'ordre économique, les syndicats enseignants fixèrent beaucoup plus haut leurs prétentions et revendiquèrent une indépendance de principe par rapport à l'Etat démocratique. L'organisation de l'enseignement public devra être rendue indépendante non seulement du gouvernement, mais aussi des municipalités et des familles, et, d'une manière générale, des « adversaires de la laïcité » (c'est-à-dire du laïcisme). Elle devra dépendre des seuls syndicats.
Dans les trois cas – protestantisme, franc-maçonnerie, syndicalisme – l'école publique est conçue comme une cléricature destinée à exercer un pouvoir spirituel et ayant pour mission transcendante de forger la société selon le Bien. Cependant, les protestants étaient des esprits rationnels, respectueux des libertés publiques. Les deux autres familles d'esprit ne peuvent se permettre cette tolérance. Ainsi en est-il de l'histoire de l' « école unique » ; d'un côté, ce qu'il s'agit de rendre « unique », c'est l'enseignement public existant, en remplaçant les « ordres » d'enseignement par les « degrés » d'un système centralisé. Le second volet est le monopole scolaire de l'Etat, c'est-à-dire la suppression de l'école libre. Le projet d'école unique a été, dès le début, une entreprise à finalité politique. Aussitôt connu, le projet d'école unique est combattu par des organisations de droite [18], et bien entendu par l'enseignement catholique, mais aussi par d'indubitables « républicains », tel Albert Thibaudet. Les projets de Jean Zay, et le plan Langevin-Wallon n'aboutissent pas sous la IVe République. C'est sous la Ve que le Plan est finalement mis en œuvre, avec les réformes Berthouin de 1959 et Fouchet de 1963. Il a résulté de ce choix – jamais clairement présenté à l'opinion publique – un effondrement du niveau scolaire en France. Les politiques ont renoncé à remettre en cause l'école unique, qui n'avait pourtant été conçue et voulue, au départ, que par une poignée de prophètes autoproclamés. Les accords Lang-Cloupet de 1984, confiant la formation des professeurs du privé à des organismes publics (les IUFM) réduisirent à presque rien l'autonomie éducative des écoles libres.
L'école publique actuelle n'est pas laïque, mais laïciste ; elle relève d'une logique millénariste. Elle n'a pas été instaurée au début de la IIIe République, par les fondateurs de celle-ci, mais quelque trente ans plus tard, par les hommes de « 1793 », pour lesquels l'école doit être mise au service de la Révolution. L'Education nationale n'est donc pas une institution républicaine au sens de « 1789 ».
[1] L'ultramontanisme est une orientation favorable à la primauté, spirituelle et juridictionnelle, du pape sur le pouvoir politique (en matière religieuse et notamment de nomination des évêques), par opposition au gallicanisme. Son nom provient de l'italien Ultramonte qui signifie « au-delà des monts », donc de l'autre côté des Alpes, en Italie. C'est une orientation principalement française. Née au XVIe siècle chez les catholiques de la Ligue pendant les guerres de religion, cette orientation est reparue au cours du XVIIe siècle face aux alliances non-catholiques de Louis XIV. Au XVIIIe, l'ultramontanisme se confond avec la lutte contre le jansénisme parlementaire et gallican. Il est donc soutenu principalement par les Jésuites. Face à l'avancée de régimes politiques de plus en plus séparés de la religion, et après le traumatisme religieux que fut la Révolution française, l'ultramontanisme s'impose au cours du XIXe siècle dans les mentalités collectives françaises.
[2] Mirari Vos est une encyclique écrite par Grégoire XVI le 15 août 1832 dans le but de condamner le libéralisme et l'indifférentisme religieux. Même s'il n'est pas cité, Lamennais, auteur de Paroles d'un croyant, et ses thèses libérales sont sévèrement critiqués. Le pape juge sévèrement : les thèses de restauration ou de régénération de l'Eglise, comme si elle pouvait être sujette à un quelconque obscurcissement ou d'autres inconvénients du même genre ; la liberté de presse, lorsqu'elle divulgue des opinions contraires à celles de l'Eglise ; la liberté de conscience ; la séparation de l'Église et de l'État. Il réaffirme : l'indissolubilité des liens du mariage, la défense du célibat des prêtres « Nous voulons éclairer votre constance toujours plus, afin que vous vous opposiez à l'immonde conjuration contre le célibat des prêtres », la soumission au pouvoir légitime. Il en appelle aux autorités politiques, aux princes chrétiens à soutenir les principes pour le bien de l'Eglise et de l'Etat.
[3] Quanta Cura ("Avec quel soin...") est une encyclique du pape Pie IX écrite pour condamner les principales erreurs politico-religieuses du XIXe siècle. Donnée le 8 décembre 1864, elle fut accompagnée du syllabus. Le souverain pontife critique principalement le naturalisme appliqué à la société civile. En reprenant les propos de Mirari Vos, il dénonce la liberté de conscience, le laïcisme et l'anticléricalisme. Il pourfend en même temps le socialisme et le communisme pour vouloir reléguer toute la vie familiale au simple droit civil. Les sociétés secrètes sont dénoncées comme principale cause de dépravation de la jeunesse.
[4] Le plus célèbre des syllabi, celui qu'on note généralement d'une majuscule, est celui du 8 décembre 1864 dont Pie IX accompagna son encyclique Quanta Cura dans le contexte de l'annexion de l'unique vestige des États pontificaux — Rome — au reste de l'Italie unifiée. Il y énumère quatre-vingts propositions condamnées touchant aux idées modernes de l'époque : du libéralisme au socialisme en passant par le gallicanisme et le rationalisme.
[5] L'Enseignement du peuple, p. 43.
[6] Ibid, p. 217.
[7] Edouard Conte, Cornelia Essner, La Quête de la race, Hachette Littératures, 1995.
[8] « L'armée révolutionnaire française est l'armée de Yahvé Sabaoth en lutte contre les armées européennes qui sont celles de Gog et de Magog. C'est la lutte du Bien contre le Mal, des saints contre les pécheurs (…) D'où la violence sans précédent de ces guerres, leur absence de mesure qui stupéfie Clausewitz. » (Nemo, p. 103).
[9] L'Enseignement du peuple, op. cit., p. 37.
[10] Idée symbolisée par la formule « Rendez à César… ». Mais qui oublie un peu vite le Syllabus.
[11] On repère ainsi les Lyonnais qui mettent des lumières à leur balcon lors de la fête traditionnelle de l'Immaculée Conception le 8 décembre ; quand il s'agit de fonctionnaires, on les révoque. Voir exemples dans Jérôme Grévy, Le Cléricalisme, voilà l'ennemi. Un siècle de guerre de religion en France, 2005, p. 92-100.
[12] Il y a de nombreuses conversions au protestantisme durant ces années : les Fould, les Halévy, les Pereire, les Eichtal, les Erlanger, Henry Michel. D'autres se sont mariés avec des protestantes : Jules Ferry, Emile Boutmy, Henri Martin, Eugène Sue…
[13] Depuis Pierre Bayle et son « Refuge » de Rotterdam.
[14] Il développe cette idée dans le célèbre Uchronie (1876).
[15] Daniel Halévy avait bien perçu le problème : « le corps des instituteurs (…) agit dans l'Etat, non pour l'Etat » ; il est « comme un ordre romain, mais dressé contre Rome » ; « la corporation primaire constitue, à l'intérieur du pays, une société fermée, complète », in Décadence de la liberté, Grasset, 1931, p. 102-105.
[16] Parmi les hauts dirigeants de la franc-maçonnerie qui furent ministres : Mesureur, Sembat, de Lanesson, Violette, Constans, Doumer, Laffere, Desmons, Blatin, Simon, Ferry, Gambetta, Fallières, Brisson, Rouvier, Tirard, Floquet, Dupuy, Bourgeois, Méline, Combes, Monis, Caillaux, Doumergue, Viviani, Millerand, Leygues, Chautemps, Blum, Goblet, Spuller, Bert, Lockroy, Dupuy, Rambaud, Chaumié, Bienvenu, Martin, Faure, Augagneur, Sarrault, … Les radicaux voulaient bien toutes les combinaisons et tous les « replâtrages » ministériels, pourvu que le ministère de l'Intérieur restât à l'un des leurs, ce qui leur fut rarement refusé. Sans compter les présidents de la IIIe République : Grévy, Loubet, Carnot, Casimir-Périer, Faure, Fallières, Millerand.
[17] Le général Louis André est nommé en 1900 ministre de la guerre dans le gouvernement de défense républicaine de Waldeck-Rousseau, puis reconduit dans celui d'Émile Combes, après le triomphe du bloc des gauches aux élections de 1902. Désireux de républicaniser l'armée en la laïcisant, le général fait appel aux loges maçonniques (cellules locales) du Grand Orient de France par le biais de Frédéric Desmons, ancien sénateur du Gard et président du conseil de l'ordre du Grand Orient de France, dont l'obédience est à l'époque pleinement engagée dans la lutte pour la séparation de l'Église et de l'État, pour établir au total 25 000 fiches sur les opinions politiques et religieuses des officiers. Sur les fiches ainsi constituées, on pouvait voir des mentions comme « VLM » pour « Va à la messe » ou « VLM AL » pour « Va à la messe avec un livre ». Les fiches ne se contentent pas de rapporter uniquement des faits comme en témoignent les appellations de « clérical cléricalisant », « cléricafard », « cléricanaille », « calotin pur-sang », « jésuitard », « grand avaleur de bon Dieu », « vieille peau fermée à nos idées », « rallié à la République, n'en porte pas moins un nom à particule » . Les fiches rapportent aussi la vie privée ou familiale des officiers : « Suit les processions en civil », « a assisté à la messe de première communion de sa fille », « Membre de la Société Saint-Vincent-de-Paul », « A ses enfants dans une jésuitière », « Reçoit La Croix chez lui », « A qualifié les maçons et les républicains de canailles, de voleurs et de traîtres », « richissime », « a une femme très fortunée », « Vit maritalement avec une femme arabe », « A reçu la bénédiction du pape à son mariage par télégramme ». Les officiers sont alors classés pour la constitution des tableaux d'avancement sur deux listes d'après les renseignements fournis, poétiquement nommées par André Corinthe (les officiers à promouvoir) et Carthage (ceux à écarter des promotions).
[18] Par exemple le Cercle Fustel de Coulanges.
Chapitre 1 : Premier mythe : « 1793 » aurait été démocrate
Chapitre 2 : Deuxième mythe : « 1793 » aurait fondé la République
Chapitre 3 : Troisième mythe : « 1793 » aurait été laïque