Au Parti socialiste, à peine a-t-on remisé les drapeaux européens pour 2014 que l’échauffement pour la présidentielle a déjà repris. Au programme : « les primaires » ou comment être sûr de désigner le bon candidat (ou la bonne candidate…) pour gagner en 2012.
Barack Obama ne le sait pas, mais il est pour beaucoup dans cette nouvelle obsession des socialistes français. Avec son élection, c’est un peu comme s’ils avaient redécouvert l’Amérique. Depuis qu’il a gagné, on ne compte plus en effet les missions et autres délégations qui franchissent l’Atlantique en quête du Graal électoral. Il faut comprendre les socialistes ; à Solferino, les affiches des campagnes de François Mitterrand ont jauni depuis bien longtemps dans leurs sous-verre, et si le PS continue ainsi, il n’y aura bientôt plus de mémoire vivante de la dernière victoire présidentielle (1988). C’est donc en Amérique que les missionnaires socialistes pensent avoir découvert le remède à tous leurs maux : les primaires.
Certes, comme l’ont souligné les experts éclairés de la « Fondation progressiste », opportunément baptisée Terra Nova, à l’origine du seul travail sérieux à ce jour sur le sujet, il n’est pas facile d’acclimater la pratique américaine en France. Ne serait-ce que parce que dans notre système électoral à deux tours, le premier sert de primaires au sein de chaque camp : « au premier tour on choisit, au second, on élimine ». Certains responsables socialistes l’ont semble-t-il immédiatement compris puisqu’ils rejettent d’emblée une telle innovation. Ainsi, François Hollande, Laurent Fabius, Bertrand Delanoë ou encore, sans doute, Martine Aubry ne sont-ils pas très enthousiastes à l’idée d’ouvrir portes et fenêtres au tout venant, fût-il « sympathisant » socialiste.
D’autres, en revanche, parmi les « jeunes » (Pierre Moscovici, Vincent Peillon, Arnaud Montebourg, Manuel Valls…) ou du côté de Ségolène Royal, qui a bénéficié à plein, en 2006, de la « petite » primaire interne au parti, font visiblement de cette réforme une condition sine qua non de la refondation d’un parti qu’ils rêvent d’arracher des pattes des éléphants. Cette appétence pour une pratique qui soulève au moins autant de questions qu’elle est censée en résoudre, traduit chez eux l’idée que dès lors que l’on aurait solutionné « à froid » le problème de la désignation du candidat à la présidentielle, les errements du Parti socialiste prendraient fin. Les Américains appellent ce genre d’illusion le wishful thinking – en français, prendre ses désirs pour des réalités.
On peut, en effet, juger impératif que le PS prenne enfin conscience de la présidentialisation avancée du régime. Et, dès lors, qu’il ajuste son fonctionnement interne à son ambition de gouverner le pays. Mais des primaires, aussi bien conçues soient-elles, ne permettront jamais de passer outre le manque de projet d’ensemble pour la société française, le lien avec un électorat solide et diversifié, ou encore les embarras stratégiques posés par les alliances indispensables pour espérer gagner.
Si bien qu’aux nombreuses questions sur la faisabilité de primaires au PS ou à gauche – qui vote ? qui peut s’y présenter ? qui paie ? qui contrôle ?… – s’ajoute celle de leur utilité politique. Que proposera de plus au pays un(e) candidat(e) désigné(e) suivant un tel système ? La légitimité supposément plus grande qu’il ou elle aura acquise lui permettra-t-elle d’être à la hauteur des enjeux ?
Barack Obama n’a pas été élu président des Etats-Unis parce qu’il est passé par un système de primaires. Il l’a été parce qu’il a su proposer à son pays, à un moment précis de son histoire, une vision (de son avenir notamment…) suffisamment construite, réfléchie et structurée pour emporter largement l’adhésion. C’est cette puissance propre qui lui a permis d’écraser la « machine » électorale démocrate bâtie par les Clinton au cours d’une campagne exceptionnelle de primaires et, dans la foulée, celle des conservateurs républicains.
Aucun système de désignation des candidats à une élection, aussi démocratique soit-il, ne permet de garantir la victoire finale ni même de donner davantage de chances de l’emporter à celui qui en bénéficie – l’expérience de la présidentielle de 2007 en France l’a montré. Ce n’est pas là que ça se joue. Les socialistes français n’ont plus beaucoup de temps devant eux pour le comprendre ; or s’arc-bouter sur la question des primaires ne leur en fera pas gagner.