Louis, tu es né à Géryville, Algérie, sud de l’Oranie, il y a 50 ans.
- Souviens-toi, Louis, de ta famille morvandelle…
Ton père en tenue de médecin militaire, comme tu lui ressembles.
Des fossiles, sa passion, il reste une boîte, les malles ont été données au Conservatoire.
L’oursin sur le bureau, dense sous la main qui l’épouse parfaitement, fin sous les doigts qui caressent chaque pétale d’étoile, tu l’as touché, tu as rêvé, aussi.- Laisse-toi bercer Louis…
Tu as fait médecine comme ton père, tu exerces dans les dispensaires. Le fléau, la tuberculose.
Tu remplis au crayon gris avec des annotations sur les symptômes de la maladie, l’organisation de la lutte antituberculeuse en Europe, l’agenda de poche du « Carnet Médical Houdé 2ème Semestre 1927 » lettres dorées sur couverture rouge.
Nous lisons : « avant la guerre, à peu près rien. Dès 1916 création d’hop.sanitaires et stations sanitaires = sanat.improvisés » (…)
Lui, il a traversé cette guerre, le siècle, intact, aucun mot effacé, c’était hier ;
Juste une des pages encore vierges manquante, coupée net, celle du jeudi 8 et vendredi 9 décembre. Par qui ? Tu sais comme c’est troublant !
- N’écoute pas Louis, va…
Au décès de ton père, tu n’avais pas grand sou. A Paris pour tes études, tu jouais jusque tard dans la nuit du violon.
Le lendemain matin à l’hôpital, ton patron t’imaginait sacré fêtard.
Tu en as toujours joué pour ton plaisir des après-midi entières. Pas de gravure, mais tu en joues très bien, il suffit d’écouter.
- Laisse-toi bercer Louis…
Avant la Grande Guerre, tu es allé en Allemagne, tu aimais l’Allemagne, tu parlais l’allemand comme le français.
Louis ! Toi, si réservé même timide, évitant toute querelle, tout entier plongé dans tes lectures des classiques français, allemands, latins, à l’affût de nouveaux remèdes, l’homéopathie…
Louis ! Ecoute encore ! Toi, le père de famille, voyons ! Tu l’aimais tant ?
La dénonciation, la maison encerclée, ta fille pleure, terrorisée par l’incursion froide de la force brute, tes deux garçons ignorés, c’était toi qu’ils voulaient, le seul désigné…quelle organisation…
Le temps d’un au revoir ?
- Dors Louis…
Compiègne, Buchenwald.
Louis, mon pauvre Louis, ton arrivée là bas, le jour des dix ans de ta petite dernière.
Dans quel état ils t’ont mis !…Deux mois encore.
Tu as faim, tu as froid, la vermine te ronge, tu es épuisé, tu as la fièvre Louis…
… tu meurs.
- Tu es dans nos bras…
Nous portons ta vie et nos larmes en étoiles sur nos cœurs pétrifiés.
- 7 avril 1944 à jamais.
Fan