Germaine Cousin naquit en 1579, alors que sévissaient en France les guerres de Religion et, dans les villes et les campagnes, la peste et les pillages. Sa filiation est demeurée mystérieuse. On a longtemps cru qu’elle était la fille de Laurent Cousin originaire de la région nantaise, venu s’établir, au milieu du XVIe siècle, dans un petit village languedocien, à Pibrac, près de Toulouse ; mais l’on sait aujourd’hui qu’il mourut plus d’un an avant la naissance de la sainte. Le fait est qu’un beau jour, Germaine, orpheline de mère dès l’âge de cinq ans, se retrouva dans cette métairie de Pibrac qui appartenait à Hugues, fils de Laurent, veuf et remarié à Armande de Rajols, la cruelle marâtre qui la rejettera et lui défendra de parler à ses filles, car Germaine était atteinte d’écrouelles. Manchotte de sa main droite atrophiée, on l’envoya, dès huit ans, garder les moutons. L’enfance victimale de Germaine évoque étrangement la “vie secrète” de Mélanie Calvat, la bergère de La Salette, dont Léon Bloy, dans Celle qui pleure, nous révéla l’inconcevable destinée : Mélanie, la future Voyante, martyre et persécutée par ses parents, avait été, dans ses premières années, protégée et “éduquée” par son “frère” Jésus-Christ. En fut-il ainsi pour Germaine dont le prénom en occitan, Germaneta, signifie “petite sœur” ? Germaine dort sur son lit de sarments dans la soupente de l’escalier de l’étable. Tous les matins, elle assiste à la sainte messe. Pour aller à l’église, elle est obligée de laisser ses moutons et les loups rôdent dans la forêt de Bouconne ; alors elle plante sa quenouille au milieu d’un champ et les bêtes viennent s’y ranger tout autour, tandis qu’une force invisible semble garder les loups à distance. C’est là un des faits merveilleux que rapportera plus tard la tradition. On dit aussi que, les jours où le Courbet, grossi par les pluies abondantes, devenait un torrent furieux, on la voyait le traverser sans que ses pieds ni ses vêtements en soient mouillés. Mais le prodige le plus éclatant fut celui du miracle des fleurs : la petite Germaine mettait du pain noir dans son tablier pour le distribuer aux pauvres ; un matin, sa marâtre se précipite sur elle et lui demande ce qu’elle cache, la jeune fille, craignant sa colère, lui répond “des fleurs” et elle ouvre son tablier d’où jaillissent des fleurs multicolores, fraîchement cueillies, dans une saison où la nature ne pouvait en offrir puisqu’on était en hiver. Pour l’âme populaire ces fleurs sont devenues des roses sauvages, des églantines.
La présence de ces fleurs sauvages à cinq pétales rappelle le symbolisme de la rose, langage universel de l’amour que comprennent les humbles. Sainte Thérèse de Lisieux, la petite carmélite docteur de l’Église à vingt-quatre ans, écrira dans un de ses poèmes : " Cette rose effeuillée,/ c’est la fidèle image,/ Divin Enfant,/ du cœur qui veut pour Toi/ s’immoler sans partage. "
Germaine de Pibrac est donc une sainte aux roses, comme le fut avant elle Roseline de Villeneuve, la sainte de Provence, avec laquelle elle entretient une relation de sororité mystique.
Née en 1263 au château des Arcs, dans le Var, Roseline était la fille du seigneur Arnaud de Villeneuve et de Sybille de Sabran. Enfant, tandis qu’elle distribue des vivres aux indigents, elle est surprise par son père : elle ouvre alors son tablier rempli de pains qui instantanément se transforment en roses.
Sainte Germaine et sainte Roseline sont les deux seules saintes qui, en France, “dramatisent” le miracle des roses, légende récurrente, véhiculée par les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le mystère de la transformation des morceaux de pain en roses sauvages est une illustration singulière de cette vérité théologique : si le Verbe s’est fait chair, c’est que Dieu a un cœur. On peut comprendre l’In-carnation comme une in-corda-tio Dei : Dieu se fait Cœur en prenant chair de la Vierge Marie. L’Hostie, le Pain venu du ciel, est la chair glorifiée du Dieu Amour qui se donne en partage. Un jour de décembre 1644, en ouvrant un tombeau dans l’église du village, on découvrit le corps intact et parfumé d’une jeune fille. Son cou était marqué de cicatrices scrofuleuses et sa main droite déformée. Elle avait, sous sa couronne de garofanos mêlés de seigle, le visage rose d’une adolescente endormie. Deux anciens du village l’identifièrent sans peine : c’était Germaine Cousin, la manchotte aux écrouelles !
La bergère languedocienne, montée au Ciel, le 15 juin 1601, à l’âge de vingt et un ans, fut canonisée en 1867, neuf ans après les Apparitions de Lourdes. Longtemps elle fut la sainte de prédilection de la cité mariale où l’Apparition, le 25 mars 1858, s’était présentée à la petite Bernadette en cette langue occitane que parlait la Germaneta : “Qué Soy era Immaculada Councepciou ! ” Alain Santacreu