C’était un dimanche après-midi merdique, où la simple pluie était suffisamment chaude pour vous faire lever le coude jusqu’à l’apparition de la semaine suivante. Entre deux débats longuets sur le goût de champignon du demi et l’enregistrement d’un numéro de livraison de burgers à domicile, les jeunes gens que nous sommes se demandaient s’il fallait vraiment aller voir Chris Wilson en concert.
Deuxième chanteur des Flamin Groovies dès la sortie de Teenage head (1971), son gig parisien dominical ne laissait présager qu’un pathos ringardisant, rempli de reprises des gloires passées et de nouvelles chansons à effet Subutex. De la drogue de synthèse pour quiconque se lève tous les matins en pensant aux Stones, au Crazy Horse... et aux Flamin Groovies.
Et ça n’a pas manqué : de Dylan période « An Other Side Of... », à Slow Death, tout y passe. Mouliné avec nostalgie, chanté comme l’aurait fait n’importe quelle caricature de crooner californien sur le retour ; avec cette étrange goût pop que peut laisser le pire des Byrds dans tout palet averti. Décidément, l’un des concerts les plus ringards qu’il ait été donné d’entendre. Cela n’excite que les jeunes ignorants prêts à se masturber sur n’importe quelle icône passée. Même les dinosaures de l’époque n’avaient pas l’air si enthousiastes que cela. Quant à la démagogie du public au look lecteur des Inrocks, elle était assez active pour s’émerveiller devant un massacre en règle de Spanish Harlem Incident. Le genre de show qui vous rappelle que notre époque deale quotidiennement avec une musique de jeunes ayant largement dépassé son espérance de vie.
Pourtant Chris Wilson était mon premier Dinosaure. Lors de la mort de Dominique Laboubée, Wilson avait chanté les Dogs, un verre de Whiskey vissé à la main. C’est donc sans aucune surprise qu’on le retrouve dans un disquaire rock du 15ième arrondissement (cherchez l’erreur), attaquant allégrement des verres d’Armagnac à 14H30 de l’après midi. Chris Wilson n’est pas si grand. Le cheveu gris épousant bien deux belles oreilles aux lobes larges, un rire franc et une hospitalité à toute épreuve. Il nous accueille tous les cinq (car chez Gonzaï, on fait les choses en meute), n’hésitant pas à nous refourguer bières ET verres d’armagnac; histoire de bien s’exploser le cerveau au plein milieu de la journée. Malgré le fait indéniable qu’il est dépassé par l'époque, Chris Wilson force le respect. Pour le simple fait qu’il soit l’homme ayant poussé les Groovies à reprendre My Wonderful One et qu’en rien son train de vie ne lui a fait perdre de vue qui sont ses maitres et descendants. L’histoire d’un artiste ayant toujours été à deux doigts d’égaler les chefs de files, que l’honnêteté a poussé à rester un second coutau toute sa vie. Pas taillé pour être une super icône, plutôt un « character actor » qui a joué le même rôle toute sa vie. Le genre de personnage qui donne toute la saveur à l’Histoire.
Comment vous sentez-vous avec notre époque ?Très déconcerté. Je vis à Londres où il y a encore quelques groupes… Des groupes Anglais pop… Et c’est comme si ces gars n’avaient aucune racine. Je trouve que les groupes de jeunes actuels ont tous des références qui commencent et s’arrêtent avec le punk. Ils ne savent pas comment jouer. Ils pensent qu’il suffit de jouer des accords barrés… Je me souviens de la première fois quand j’ai rencontré Johnny Ramones à Londres en 1976. Avec James Ferrell dans ma chambre d’hôtel, nous jouions des country-blues… des chansons de Mississipi John Hurt. Et Johnny Ramones est venu nous voir jouer. Il était comme cela… complètement sur le cul. Puis, lorsque l’on a fini de jouer la chanson, nous étions là : « Hey Johnny, rejoins-nous ». Lui qui répond: « J’adorerais Chris, mais je ne sais jouer que des accords en barré ». Là je me suis dit que merde, ce mec ne joue que des accords. Je lui demande s’il ne veut pas faire autre chose, lui me répond « C’est OK les gars, j’adore vous regarder. Mais combien de temps ça vous a pris d’apprendre ça ? ». Et je lui ai dit, « je sais pas, quelques années ». Il avait complètement sauté une étape à la guitare.
Mais sur le jeu de guitare, est-ce que vous êtes d’accord avec Keith Richard qui disait qu’il n’y a pas besoin de cerveau pour jouer, qu’il faut juste entrer dans la rythmique de toutes ses forces?
Si tu n’as pas un sens du rythme inné, t’es baisé. C’est une chose que beaucoup de gens n’ont pas aujourd’hui. Les maisons de disques nous ont appris il y a des années que l’on pouvait faire un truc avec des bouts de merde. Avant on ne pouvait pas. Maintenant, c’est possible. Si l’on fait croire au public qu’il se passe quelque chose, peu importe le degré de merde que c’est, ils iront s’y accrocher. Tout cela est faux, c’est prendre les gens pour des cons. C’est pour cela que la pop actuelle est médiocre.
Mais pourquoi vous n’allez pas aujourd’hui vers une musique plus brute, des straight blues ou de la country ?
Je veux le faire. Je vais le faire. C’est mon rêve et ça va arriver l’année à venir. Je vais avoir un groupe avec lequel on va jouer du Chicago Blues. Car c’est la musique que j’aime, celle que je peux jouer toute la journée. Je joue la musique que je joue pour mes fans et les fans des Groovies. Je l’aime aussi bien sûr. Mais avoir un groupe de blues, jouer de l’harmonica - car je suis pas trop mauvais pour ça - ça va arriver l’année prochaine.Pourtant vous avez cette manière très pop de jouer le vieux répertoire… comme si vous étiez obsédé par les groupes pop hippies californiens.
Oui, c’est comme cela que ça sort. Je n’y pense pas vraiment. C’est juste spontané.
Pourtant vous n’avez jamais joué la musique qu’il fallait pour être connu. Vous étiez toujours en décalage avec l’époque...
Ce n’est pas toi qui décides du succès que tu vas avoir. Tu n’as qu’une décision à prendre: vas-tu être un musicien ou non ?
Vous avez eu une descendance avec les Flamin' Groovies… qu’est ce que vous aimeriez transmettre aujourd’hui ?
De l’inspiration. Je n’ai jamais pensé que je jouerai encore de la musique à 56 ans. Je me sens si touché et chanceux de pouvoir le faire...
Est ce que vous pouvez nous raconter ce que Marc Zermati a fait pour les Flamin’ Groovies ?
Il a fait des choses incroyables pour nous. En 1972, au premier concert que nous avions fait ici, qui était fou… C’était à Créteil dans une tente de cirque. C’était le public le plus bizarre que j"ai jamais vu. Il y avait surtout des kids mais aussi énormément de manouches. Je me souviens d’une vieille femme assise dans un coin avec une pipe en train de rire : « ah ah… c’est bien ça… ah ah… c’est beau ». Marc est venu nous dire qu’il nous adorait, qu’il commençait un label et voulait sortir n’importe quoi de nous. On avait une démo faite dans le salon de notre batteur, faite pour United Artist… C’était Grease. Ils l’ont sorti alors que notre label nous laissait tomber. Je pense toujours que c’est l’un des meilleurs albums que nous ayons fait. Parce que tout était enregistré dans un salon avec 2 micros.
Comment évoluez-vous en prenant de l’âge ?
La plupart d’entre nous possèdent une véritable tendance à l’autodestruction. Beaucoup de gens que j’ai connu ont été de plus en plus autodestructeurs avec le succès. C’est quelque chose contre laquelle il faut se battre dans la vie. J’ai toujours pensé que j’étais une merde, pendant des années, que je n’avais aucun talent, et je ne me voyais que comme cela. Puis j’ai sorti quelques albums, ai commencé à avoir de bons articles par des gens que je respectais. Et je me suis dit « attend un moment, si ce type pense que je suis bon, peut être le suis-je vraiment ? ». La vérité c'est que je ne suis pas une merde, que je suis plutôt bon. Et que je n’ai plus l’impression d'avoir à me tuer. Mais je suis en revanche sûr que si j’avais eu un peu plus de succès dans les seventies, je ne serais plus ici. Il y avait tellement de drogues et de moments hédonistes... je me serais certainement tué. On avait l’habitude de s’énerver et d’aller jouer avec des armes automatiques alors…… ?
J’ai fais parti d’une génération de jeunes américains n’ayant pas beaucoup de respect pour les armes a feu. Mon père avait fait la guerre dans l’armée britannique, nous avions des armes à la maison. Il n’y a qu’à conduire sur les routes de Californie pour voir le nombre d’impacts de balles dans les panneaux. Rouler a fond en voiture, s’énerver un coup et aller foutre une balle dans un bout de fer… combien de fois ai-je fait cela !! C’était le truc du rock & roll, avoir un 3.57 dans son fûte et le sortir si on nous cherchait à la fin des concerts. Mon ami, Geppeto qui jouait avec Carlos Santana… il était adorable, un maigrelet du Nicaragua. Nous avions l’habitude d’aller dans sa cave et de tirer au Uzi. C’était complètement illégal. Il est retourné au Nicaragua en 1990 puis a disparu.
C'était plutôt violent quand même...
Oui, mais c’était une violence cachée du grand public, suggérée tout au plus. Maintenant, tu allumes MTV et la violence est glamour dans tous les clips. 50 cent n’est pas un bon exemple pour les gamins. Je veux dire, je vis à Londres, dans un quartier à côté de Camden. Il y a des gangs de gamins de 9 ans qui s’entretuent avec les couteaux de cuisine de leurs parents. Pas la peine d'aller à l’armurerie du coin acheter un gros couteau de chasse, il leur sufit de piocher dans leur cuisine pour prendre le plus gros couteau qu’ils trouvent. Qu’est ce que tu veux faire contre cela ? Et ça a déjà tué 20 gamins de 9 ans cette année à Londres.
Une dernière question : comment faisiez-vous avec les Flamin' Groovies... qui était un groupe très stylé… comment faisiez vous avec votre Guitariste chauve ?
(Outré) Mec, qu’est ce que ça peut faire à quoi tu ressembles ? Malheureusement, je ne veux pas aller trop là-dedans. C’était personnel avec … Mais que pouvait-il faire ? Moi j’ai toujours voulu des rouflaquettes, j’en ai voulu toute ma vie. J’ai 56 ans et je n’ai toujours rien. Mais ça ne ma pas tué pour autant!
Photos: Cyprien Lapalus