Si je vous dis « Teen-age movie à la française », vous me répondez « Riad Sattouff, Les beaux gosses ». Impossible d’ouvrir un journal en ce moment, n’importe lequel, sans tomber sur cette équation magique.
Je vois déjà le premier critique à avoir trouvé la formule, tout content de lui, et les autres s’engouffrant dans la brèche : génial un concept, ça évite de parler du film en plus, et avec une petite touche « culturally correct » par dessus le marché, car ça fait bien de se réclamer du cinéma de Judd Appatow, même (ou surtout) si on a trouvé Knocked Up nauséabond, ou si on n’a pas tant ri que ça pendant Supergrave. Mais je m’égare. Pitié, est ce que les journalistes vont pour une fois cesser de photocopier les histoires prémâchées, dont on les abreuve en continu. Je suis énervée, oui, car on s’attaque là à des choses que j’aime. Oui, Les Beaux Gosses est peut-être réussi, drôle touchant, ce qu’on veut, mais pourquoi essayer de coller des étiquettes, ranger aussitôt les œuvres dans des cases, comme si le grand supermarché de la création culturelle avait des linéaires aussi bien organisés qu’un Auchan de banlieue (ici les détergents « verts », là les yaourths aromatisés).
Je m’insurge car j’aime du fond de mon cœur le cinéma français et les teen-age movies, qui est un genre à peu près aussi irréductible aux USA que le western, toute tentative d’exportation se voyant réduite à la parodie ou à la citation post-moderne. Et jamais un réalisateur français n’aura la lumière rasante des villes californiennes en fin d’après midi, les troisièmes rôles plus vrais que nature, les performers ahurissants, les filles aussi. (Imaginez vous une seule seconde une actrice française en tenue de cheerleader ?). Je ne crois pas qu’un jour un chef de casting puisse dénicher Emma Stone, ou Kirsten Dunst. Je ne crois sincèrement pas que Lorant Deutsch ou ses avatars ne puissent n’arriver qu’à la cheville de Christopher Mintz Place ou de Jonah Hill. Je ne crois pas non plus qu’un film français puisse s’offrir les rythmes étirés des plus légères des comédies US, deux voitures faisant des têtes à queue sur un parking pendant vingt minutes comme dans Supergrave, ou carrément quatre vingt dix minutes de beuveries et autres moments perdus au fond de la «sorority house », comme dans American College de Landis.
Et pourtant si un cinéma a su filmer, et comment - mieux que tout autre peut-être - les adolescents, c’est bien le cinéma français, celui de Vigo et Garrel, de Pialat et Truffaut. Mais c’est bien autre chose que ce cinéma âpre, désenchanté, qui vous cueille sous la poitrine et vous laisse un goût de plâtre dans la bouche, où se mêlent dans la tristesse des dimanches après midi place de Clichy, des adolescents qui en savent déjà trop, mêlés à des adultes qui se débattent comme il peuvent dans des vies qu’ils ne savent plus choisir. Qui peut vraiment se remettre de la première vision des Quatre Cent Coups ? De Mes petites amoureuses ? De Passe ton bac d’abord ? Il y a des adolescents, aussi, ces heures creuses que l’on passe les uns avec les autres, des fou rires nerveux, mais ce n’est pas, ce ne sera jamais la même chose et l’écart est le même que celui qui sépare les grands ciels gris d’Hardellot du sable blanc de Malibu.Les comparaisons sont vaines, et d’ailleurs je m’en fiche pas mal, la seule chose que je sais c’est que le plus beau film sur l’adolescence, celui qui plante Truffaut et Virgin Suicide sur le bord de la route Number One, est français. Miracle, malédiction ? Il a échappé au revival, aux catégories, aux top 10; je parle ici des Dernières Vacances de Roger Leenhardt. Un OVNI, à mille lieues de la dureté de la Nouvelle Vague, de la fausse légèreté de Vigo, ou de la cruauté des naturalistes à la Pialat, un film aérien, de la perfection instantanée des classiques, pour lequel le terme de grâce semble s’appliquer plus qu’à tout autre. Son auteur tentait bêtement de graver sur pellicule, comme il le pouvait des souvenirs de son enfance, au milieu d’adultes de la déchirante génération de 1913, celle de Berl. Il a filmé enfants, adolescentes, adultes et vieillards, comme personne. Il est grave, drôle, déchirant et léger, comme l’adolescence elle-même et réconcilie à coup sûr le skateur de San Diego, et l’adolescent des Batignolles.
Et Les beaux gosses alors ? Après tout pourquoi pas, certaines scènes m’ont fait rire, et ma chanson préférée des Vaselines clôt le film. Ce n’est pas vraiment un film, plutôt une succession de scaynètes. Dans les bons moments, on retrouve l’esprit des pages de Riad Sattouff, qui en a signé d’hilarantes. Dans les mauvais, on ne voit pas trop la différence avec le tout venant de la comédie française « familiale ». Dans le genre, je trouve plus convaincants, les adolescents de Plus Belle La Vie, il y a moins d’application, de volonté de faire de l’effet. Une chose est sûre : il y a autant de distance entre ce film et Supergrave, pour citer un mètre étalon du genre, qu’entre Catherine Keener et Noémie Lovsky. Ou qu’entre une barre de HLM bretons et une High school d’une banlieue de L.A. Si encore vous hésitez, mieux vaut relouer American Girl, pas de discours, ni d’effet « vérité», juste Kirsten Dunst en pom-pom girl, pendant 90 mn. Un point pour le cinéma US, définitivement.