Dans la vie en général, je n’aime pas trop la couleur rouge, mais ça n’y regarde que moi.
Mais aux Assises, en revanche, j’ai toujours trouvé assez étrange, et pour tout dire un peu déloyal, que des magistrats, et non des moindres, puisque très souvent mon adversaire déclaré, l’Avocat Général, et par ailleurs toujours le Président, et parfois ses assesseurs juges, portent des robes écarlates, qui plus est ornées de pans de fourrures divers, là où moi, l’avocat, je ne suis qu’en robe noire…
Et bien ça ne va plus durer.
Nous ne sommes souvent déjà aidés ni par le dossier, ni par notre position géographique dans la salle (au ras du sol, ce qui est une image, certes, mais enfin, pas en tout cas sur le piédestal sur lequel l’accusateur public est juché quant à lui), ni, il faut bien le dire, par la réputation générale des avocats dans l’opinion publique, particulièrement flatteuse comme chacun sait(1) , ni enfin par le statut de l’Avocat Général, qui, lui, loin de défendre un intérêt privé, parle au nom de “la Société” qu’il représente(2) , ce à l’intention de jurés qui justement sont des citoyens ordinaires tirés au sort… Au sein-même de la société dont le “défenseur” requiert devant eux…
Alors je trouvais qu’en plus, permettre d’une part, à celui qui n’est que “l’autre partie” au procès, mon adversaire, de se parer d’une somptueuse robe rouge ornée d’hermine, d’autre part à celui qui dirige les débats et jugera avec les jurés, et sur lesquels il possède, qu’on le veuille ou pas, une évidente influence, de faire de même, n’aidait pas à l’équilibre des forces en présence, facilitait, pour eux, le fait d’attirer l’attention(3) , forçait, en un mot, artificiellement un peu plus le respect, a priori en tout cas…
Pourquoi mon adversaire désigné avait-il ce droit, ce privilège, encore une fois d’évidence influent, de porter du rouge vif, de la soie et de l’hermine à profusion, là où je ne porte que de la sombre microfibre pas brillante, et à peine l’équivalent d’une oreille de lapin en fourrure, et encore, dans le dos ?
La réponse est que je n’en sais rien, mais surtout, que j’avais raison de trouver ça injuste, parce que je crois bien que c’est illégal !
Ce qui, je l’indique tout de go, impliquerait éventuellement, si je ne suis pas en train de me vautrer lamentablement, il faut toujours garder une part d’humilité, que tous les procès criminels qui se sont tenus depuis temps non prescrits soient entachés de nullité…
A cet égard, et avant de vous dire d’où je sors la chose, on pourrait éventuellement m’objecter immédiatement qu’on ne voit pas en quoi, rouge, noire ou verte, la couleur de la robe influerait sur la crédibilité de son porteur…
Or, je souligne à nouveau qu’il ne s’agit pas seulement de la couleur de la robe, qui en elle-même selon moi, ne serait-ce que parce qu’elle est plus flashy, est un facteur de déséquilibre(4) , mais bien de l’ensemble de la “parure”, le rouge et l’hermine ne pouvant qu’accroître la solennité des propos de l’être qui marine dedans, rappelant évidemment aux plus sensibles la douceur, la bonhomie et la gentillesses du Père Noël, et aux plus intellectuels(5) tout l’apparat des anciens juges, la solennité des audiences échevines ou des images de la Cour de Cassation diffusées à la télé de loin en loin… Bref, laissant(6) plus facilement accroire que le porteur de robe rouge herminée est un gars sérieux qui dit des choses biens…
De même, on me dirait peut-être que le rouge, dans la nature, est un avertissement, symbole de danger… A quoi je répondrais, si on avait cette audace, que d’une part, nous sommes, devant une Cour d’Assises, dans tout, sauf dans la Nature… Et que, d’autre part, cette symbolique ne serait ici valide que si nous portions quant à nous des robes vertes -ce que je refuse catégoriquement, c’est ma deuxième couleur détestée après le rouge.
Bref, le préjudice causé par cette inégalité me semble certain, ce qu’une petit image, sincère et objective à l’instar de la totalité de ce blog, achèvera facilement de démontrer :
Je sais que c'est mal, mais enfin y a pas photo...
Ou alors, mais vraiment pour les sceptiques ataviques :
C'est simple, il y en a un qu'on voit à peine...
Je crois que la démonstration, incontestable et impartiale, du déséquilibre ici dénoncé est faite.
Je peux maintenant aborder le fond du problème, dont les bases ne se trouvent pourtant pas dans un texte de fond, justement, ni Code Pénal, ni même Code de Procédure Pénale, mais dans un vieux machin, toujours en vigueur, j’ai nommé le Code de l’Organisation Judiciaire, bouquin aride s’il en fût, mais qu’on ne lit pas assez, manifestement -mon confrère Moustachix, à qui je dois d’avoir découvert ce scandale national(7) , avait lu ce livre, lui…
L’article R 111-6 de ce code prévoit que les costumes des magistrats et greffiers de toutes les audiences judiciaires sont définis par un tableau établi par décret et annexé à cet article.
Et ce tableau, le voici, pour la partie qui nous intéresse, étant rappelé que la Cour d’Assises est attachée à la Cour d’Appel :
Costumes ordinaires et moins ordinaires des gens de Cour...
Ce tableau est parfaitement clair : hors audiences “solennelles” et “cérémonies publiques“, point de rouge, nulle part..!
Le costume standard d’une audience ordinaire, pour n’importe quel magistrat quels que soient ses grade ou rang, c’est la robe noire, point.
J’entends déjà les Méchants qui tenteront de pourfendre cette découverte procédurale majeure(8) en tentant d’alléguer que les Assises sont une audience solennelle : que nenni, et même de moins en moins : non seulement il s’agit, en première audience ou en appel, d’une procédure absolument normale et “de base” en matière criminelle, mais encore les Assises, si elles étaient autrefois, et sont toujours aujourd’hui prétendument, organisées par “sessions”, l’étaient en sessions “ordinaires” ou “supplémentaires“, justement -et à vrai dire aujourd’hui siègent en permanence…
Rein que de très ordinaire, donc, au sens des textes, et en tout cas strictement rien de “solennel” au même sens(9) !
On me dira peut-être aussi : oui, mais l’usage…
A ma connaissance, l’usage peut certes constituer une source de droit, mais uniquement si une autre source de droit, hiérarchiquement plus élevée, ne s’y oppose pas… Comme le fait ici un décret résultant d’un texte réglementaire, par exemple…
Je soutiens donc très clairement que ces règles procédurales sont quotidiennement violées dans les Cour d’Assises de France, ce tant par les Avocats Généraux que par les Présidents, et le cas échéants les assesseurs, qui y siègent !
Bien fait pour eux.
J’invite donc solennellement, c’est bien l’occasion d’employer cette expression, tous mes confrères à déférer sur ce fondement et pour tous les dossiers dans lesquels c’est encore possible les arrêts rendus par les Cour d’Assises à la censure de la Cour de Cassation, le cas échéant à celle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Ainsi bien évidemment qu’à s’opposer formellement désormais, et par le dépôt de conclusions in limine litis en début d’audience s’il le faut, à ce quelque robe rouge que ce soit ne pénètre dans l’enceinte d’une Cour d’Assises.
Parce que c’est la loi, et que les magistrats, comme chacun sait, sont les garants de son application; mais aussi parce que c’est juste -ça procède notamment un tout petit peu de ce fondamental que l’on nomme “égalité des armes“…
Un peu par plaisir, également, je ne vois pas pourquoi on s’en priverait…
Restera, dans quelques temps, quand la jurisprudence aura fait son œuvre inévitable, ce moyen me semblant imparable(10) , à statuer sur le port des décorations sur les robes, devenues uniformément noires, autre chantier important dans le déséquilibre des crédibilités des intervenants au procès, plus délicat cependant, en droit, dans la mesure où cette fois les avocats peuvent légalement aussi porter leurs médailles sur leurs torses fièrement bombés(11) …
Il faudra alors argumenter autrement, sur la base d’un déséquilibre patent des droits des parties, puisqu’un magistrat a infiniment plus de chances qu’un avocat d’être décoré au cours de sa carrière(12) , par nature, étant assimilé fonctionnaire et au service de la Patrie -comme si nous, pendant ce temps là, on faisait du vélo…
Mais ce premier combat doit, d’abord, être immédiatement mené, avec la plus grande rigueur, car, comme l’écrivait en son temps, c’est à dire l’année où je passais le bac, l’illustre philosophe Jeanne Mas, à laquelle je me suis permis d’emprunter -ou presque- mon titre, au sujet de nos robes :
“Pas rouge, mais noire
J’oublierai ma peur
J’irai plus haut que ces montagnes de douleurs”
Et c’était vrai.
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- Avocat = menteur, vendu à son client, escroc, cher, prostitué, effets de manches, comment peut-on défendre un salaud pareil, etc… Oui, je sais, avec cet énorme problème que tout ou presque est vrai…
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- des études américaines sur des buffalos l’ont démontré, le rouge attire plus l’œil, fût-il bovin, que le noir…
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- Je n’oppose pas “sensibles” à “intellectuels”, hein, attention, ce sont seulement deux exemples…
- bien à tort, mais on ne le sait que trop tard
- un soir aviné où nous défendions ensemble un innocent…
- laissez, laissez, ça nous fait du bien, à Moustachix et à moi, et ça ne coute rien à personne..!
- A l’attention des Bienheureux n’ayant pas à se taper ça chaque année, une audience “solennelle” est par exemple celle qui se tient dans tous les tribunaux et Cours d’Appel une fois par an, dites “de rentrée solennelle”, où, devant les magistrats en grandes tenues, à bon droit pour le coup, et les notables du lieu, Bâtonnier et membres du Conseil de l’Ordre, Préfet, Maire, etc… Le Président et le Procureur se félicitent publiquement à tour de rôle des excellents résultats de leur juridiction, exclusivement en termes de chiffres, ce qui en dit long sur la conception officielle de ce qu’est un “résultat”, avant d’offrir à l’assemblée une coupette de champ’ frelaté de bas prix, puis de repartir pour une année de marasmes judiciaires variés -A noter à Lille cette année que le Procureur a cru devoir s’y féliciter également de la prochaine suppression du juge d’instruction, ce qui évidemment a beaucoup plu…
- ou alors, réellement, je rate quelque chose : ami lecteur, n’hésitez évidemment pas à me l’indiquer, dans ce cas, j’aurais alors seulement l’air idiot, et au pénal, ça vaut toujours mieux que de rater un moyen !
- Je tiens à signaler que celle dont on m’a décoré est dans un carton, chez moi, et que je n’en porte pas même la barrette sur ma robe, parce qu’elle est belle et noble en demeurant, à jamais, sobre (contrairement à moi !)…
- du Mérite Agricole, notamment, comprenne qui pourra…