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C’est de Janette Turner Hospital, dans « Charades » (Ed. Le Serpent à plumes » : « Les grandes théories unifiées, écrit Koenig, sont difficiles à vérifier expérimentalement. Elles éclairent toutefois si élégamment notre compréhension des interactions de particules élémentaires que nombre de physiciens les trouvent extrêmement séduisantes. « Extraordinaire, cette phrase », dit-elle. Abasourdi, il virevolte sur sa chaise qu'il manque de faire sortir de son socle et rentre pour ainsi dire dans la jeune fille. « Nom de Dieu ! s'exclame-t-il. Comment... ? Si élégamment. » La jeune fille joint les mains en un curieux geste d'émerveillement. Une crinière, blonde et folle, bien que domptée en une natte épaisse, lui retombe sur l'épaule. Ses yeux sont d'une couleur étrange, qui tire sur le bleu, intense ; ou même (c'est la pleine nuit et la lampe de bureau projette des ombres bizarres) une sorte de vert d'eau. « Si élégamment », répète-t-elle, ouvrant les mains, les regardant comme si les mots, mystérieux, étincelants, y étaient blottis. Son sourire est spéculatif, sec, peut-être moqueur. « L'élégance en tant que méthodologie scientifique ? » II bat des paupières. Du coin de l'œil, il remarque, à sa grande consternation, une tache de ketchup sur son pantalon de velours côtelé ainsi qu'un bout de sous-vêtement indocile. Il est gêné. Il se racle la gorge. « Vous ne devriez pas... » (Mais qu'est-ce qu'elle a sa voix ?) Il tousse dans sa paume, fronce les sourcils, se racle à nouveau la gorge. « Vous n'avez absolument rien à faire ici. » Et ses yeux à elle, contemplant et le sous-vêtement à la dérive et les mots qu'elle tient au creux de sa paume, lancent, dans leur surprise, des éclairs bleu-vert. « Je ne devrais pas ? Pourquoi ? Où suis-je ? » « Bâtiment 6 », répond-il bêtement, même si ce n'est pas son bureau, celui-ci se trouvant à l'étage du dessus. C'est le bureau d'un jeune collègue, un expérimentateur, si l'on en juge par ce fatras de matériel. « L'ordinateur central, ajoute-t-il. Mon... heu !... Un de mes collègues... » La peau de la jeune fille paraît d'une transparence qui n'a rien de naturel. L'étrange lumière des écrans en est, bien sûr, responsable. » C’est à la fois une leçon d’astrophysique, et une suite de contes inspirés des Mille et Une Nuits. Un texte passionnant dans sa construction et dans son insistance à interroger la nature du temps. Beaucoup plus qu’une quête du passé, « une écriture traversée de visions, d’images, de bruits et d’odeurs », pour reprendre les termes de Christine Joris, dans le Monde, au moment de sa parution.