Si le Parti socialiste a subi un échec aux élections européennes, ce n’est pas la faute du mode de scrutin ou du découpage territorial. Ce n’est pas non plus à cause des médias, des sondeurs ou de Yann Arthus-Bertrand. De telles certitudes en carton pâte reviennent, à la fin des fins, à penser que les élections seraient plus simples sans électeurs. Si l’on en juge par les résultats du 7 juin, cette perspective est à portée de main…
Pas de sursaut sans lucidité. Les couches populaires, les classes moyennes dans la galère, les jeunes et les retraités précarisés sont découragés, consternés, par l’incapacité du PS à se rassembler et à proposer. Certains nous font encore confiance. La plupart s’abstiennent. Beaucoup se tournent vers le vote écologiste comme un refuge d’espoir. D’autres préfèrent une droite qui donne - propagande à l’appui - l’impression de faire ce qu’elle peut plutôt qu’une gauche qui ne dit pas ce qu’elle veut. Inverser la vapeur suppose de tirer trois leçons.
La première leçon est politique. L’UMP a su mobiliser, pas nous. Elle a brandi un étendard : le bilan, certes maquillé, de la présidence française de l’Union européenne. Santé, poste, éducation, énergie, emploi - les prochains mois prouveront que décidément, quand l’Europe veut être libérale, elle peut l’être.
En temps réel et non à intervalles réguliers de cinq ans, la gauche devra mieux dénoncer la dérégulation opérée par les gouvernements conservateurs en Europe et dire quels contre-feux progressistes elle y oppose. A également pesé la synthèse des droites réussie par Nicolas Sarkozy qui lui assure mécaniquement, quel que soit le scrutin, un socle électoral d’un quart des votants. Autre facteur-clé : la droite convainc une majeure partie de l’électorat qui vieillit et vote, particulièrement sensible aux notions d’autorité et de sécurité. A cette élection, comme à d’autres dans le passé, nous avons payé chèrement le malaise socialiste sur ce sujet - d’autant plus inexplicable que, sur le terrain, la politique gouvernementale échoue et les élus de gauche agissent. Les plus de 60 ans avaient déjà montré leur poids lors de l’élection présidentielle de 2007. A l’avenir, préoccupons-nous davantage de leurs attentes.
De notre côté, malgré l’engagement de Martine Aubry dans la campagne, nous n’avons pas imposé notre thématique, celle d’une autre majorité politique en Europe. C’était le sens du “manifesto” du Parti socialiste européen et du rejet de José Manuel Barroso. L’ennui est que peu de gens connaissaient la substance de l’un et l’existence de l’autre. Notre plate-forme socialiste tirait des enseignements du non à la Constitution européenne, à commencer par l’indispensable harmonisation fiscale et sociale. Mais nous avons tardé à isoler quelques mesures emblématiques et concrètes. A cet égard, faire l’impasse sur les frontières de l’UE a été une faute collective : l’Europe à vingt-sept ne doit pas seulement être sociale, elle doit être différenciée. Redonner vie à l’ensemble européen dans la mondialisation suppose de lui fixer un cap et des limites. Tout cela a contribué à la grève du vote en général et au boycottage du bulletin socialiste en particulier.
La deuxième leçon, qui saute aux yeux, est idéologique : si l’échec du libéralisme économique se traduit par une déroute politique de la social-démocratie, c’est parce que celle-ci en a souvent appliqué les solutions et parfois accompagné les dérives. Que les socialistes français aient moins versé dans le social-libéralisme que d’autres ne change rien à l’affaire ! En privatisant l’économie et en individualisant la société, en prônant le développement durable sans contester le déploiement du capitalisme, la gauche gouvernementale a moins fait perdre la droite qu’elle ne s’est perdue elle-même. Que deux chefs de gouvernement sociaux-démocrates, José Luis Zapatero et Gordon Brown, approuvent la reconduction de José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne illustre ce dévoiement. La chute du New Labour britannique, fer de lance de la “troisième voie”, en confirme l’impasse.
En France, au congrès de Reims de novembre 2008, le PS a utilement distingué modernisation et droitisation. Hélas, cette réorientation salutaire, à la fois radicale et efficace, de gauche tout simplement, a été éclipsée par les batailles de chiffonniers pour la direction, la vaine querelle des générations, le combat résiduel des courants et sous-courants, le refuge anesthésiant dans un localisme flirtant avec l’apolitisme à mesure que l’on se rapproche du centre-ville des grandes métropoles.
L’ultime leçon est stratégique : si l’UMP est en tête dans les régions, c’est la gauche, qu’elle se dise “réformiste” ou “mouvementiste”, qui est majoritaire dans le pays. Majoritaire et impuissante car fragmentée en une multitude de partis et d’aspirants chefs. Alors même - fait rarement souligné - que l’émiettement politique des forces de gauche contraste avec son homogénéité idéologique, la plus forte depuis le programme commun d’il y a trois décennies, pensé et adopté avant la déferlante néolibérale amorcée dans les années Thatcher-Reagan. Intervention de la puissance publique face au capitalisme financier pour plus de transparence et de justice, encadrement du libre-échange commercial pour une mondialisation régulée, amélioration des conditions de travail et de la rémunération des salariés, “mutation verte” de l’appareil de production et des modes de consommation, ces options étaient communes aux projets du PS, d’Europe Ecologie, du Front de gauche, voire du NPA.
Ces trois leçons dessinent un horizon : rassembler les formations de la gauche autour d’un projet post-libéral et pas seulement antilibéral ; bâtir une organisation qui dépasse les bunkers actuels ; identifier le leader aux épaules assez solides pour mener la reconquête face à Nicolas Sarkozy.
Le projet post-libéral sera social-écologique. Il mêlera plus qu’il hiérarchisera croissance économique, progrès social, saut technologique, préservation environnementale, diversité culturelle, contre-pouvoirs démocratiques. Son point d’appui réside dans les politiques innovantes engagées par la gauche (déjà) unie dans les collectivités locales. Profitons des élections régionales pour organiser, sur le terrain et dès maintenant, des “rassemblements du changement” ouverts aux syndicats, aux associations, aux universitaires et aux scientifiques, aux citoyens qui pourront non seulement discuter le projet, mais le voter. Sur cette base, un contrat de législature pour 2012 pourra être élaboré entre les partis de gauche.
Leur unification en découlera. La fusion est impensable - le caporalisme est étranger à tous - et l’absorption irréalisable - quand bien même le voudrait-il, le PS n’est pas en mesure de pratiquer l’hégémonisme. C’est d’une fédération que la gauche a besoin. Cette “maison commune” est affaire de volonté plus que de procédures. D’autant qu’en ramenant, aux municipales puis aux européennes, le MoDem à ses basses eaux, les électeurs ont tranché la question des alliances.
L’incarnation, enfin, s’impose. Que cela plaise ou non, l’élection présidentielle structure le débat public et nos institutions. Se chercher un candidat, c’est donc rechercher un président. Avant de se lancer dans les expérimentations hasardeuses, réfléchissons : quel sens et quel bénéfice y a-t-il à mettre en concurrence devant les Français des personnalités pour incarner un projet qu’elles auront bâti ensemble ? Pour avoir mis dans des “primaires de personnes” toute son énergie, oubliant au passage d’en garder pour les idées, la gauche italienne a été laminée par Silvio Berlusconi. Méditons ce contre-exemple.
L’histoire l’a prouvé : les cycles politiques vont et viennent, tandis que les partis naissent, vivent et meurent. S’il trouve la force collective de se reconstruire, le PS ne se sauvera pas seulement lui-même : il préservera les chances d’une alternative imminente au libéralisme autoritaire de la droite européenne dont le sarkozysme est l’avatar français.
LE MONDE | 11.06.09 | 13h52
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Guillaume Bachelay est secrétaire national du PS chargé de l’industrie et conseiller général de Seine-Maritime.
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