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Récit de la naissance d'Ariane

Publié le 14 juin 2009 par Alisabel

Cette nuit là, comme toutes les nuits depuis plus de 5 mois, des contractions m'empêchent de dormir.

Bizarrement Achille, futur grand frère de 3 ans, avec qui je partage mon lit, se réveille vers 3h , et je ne parviens pas à le rendormir. Comprenant qu'il y parviendra mieux en dehors de ma présence, je me lève et je tourne et vire dans ma maison, hésitant à prendre un énième bain pour soulager mes contractions et dormir un peu.

Je suis assise lorsque survient une contraction plus douloureuse que les autres, puis une autre tout de suite après. Je sens un claquement : la poche des eaux vient de se rompre. Une autre contraction et du liquide amniotique commence à s'écouler, je vérifie qu'il soit bien clair. Je regarde l'horloge : il est cinq heures.

Je suis contente : depuis un mois que je fais chaque nuit un faux travail, il se passe enfin quelque chose. Je ne m'emballe pas pour autant, je sais que le travail peut se déclencher quelques heures ou quelques jours après la rupture. J'hésite à réveiller Angèle, je ne veux pas la déranger pour rien. Mais les contractions sont bien là, et depuis que la poche est rompue elle sont différentes, plus fortes et plus douloureuses. Oui, le travail semble démarrer. Je vais doucement ouvrir la porte de la chambre où dort ma doula avec ses petits. Elle comprend tout de suite. Je lui dit que je perds les eaux, et qu'elle peut rester encore au lit, nous en sommes juste au début. Je jette un oeil dans ma chambre, le petit s'est rendormi. Tout est parfait, les choses sérieuses peuvent commencer.

Je me fais couler un bain chaud et j'entre avec sérénité dans cette phase d'attente si particulière qu'est le travail. Je suis heureuse d'en terminer enfin avec cette grossesse si difficile à vivre, heureuse à la perspective de tenir à nouveau un bébé dans mes bras dans quelques heures. Je suis confiante, tout va très bien se passer.

Angèle ne tarde pas à me rejoindre, encore ensommeillée. Elle entre immédiatement dans son rôle et commence à me masser doucement. Le travail avance vite et bien, je trouve.

Les contractions sont pourtant relativement espacées. Je gère la douleur en produisant des sons graves. Dès que la contraction arrive je cherche la note juste, et un fois trouvée le soulagement est immédiat. Ma grande se lève et nous trouve ensemble à la salle de bains. Elle est toute contente à la fois de l'arrivée imminente du bébé, et de rater une journée de cours. La maison s'éveille tout doucement, les petits se lèvent. Je suis en travail, très tournée vers moi même mais je perçois tout de même la vie de la famille. Les enfants passent me voir et retournent à leur petit déjeuner. Tout est bien, je suis en paix, et je me sens très bien entourée. Angèle me masse, me soutient de ses mots, me prête son épaule et ses bras pour que je m'y blottisse. Elle m'enveloppe de tendresse et de compréhension.

Le jour est levé depuis un moment déjà, lorsque je ressens la première poussée instinctive, le premier réflexe d'éjection. J'éprouve le besoin impérieux de me dresser sur mes genoux, bien droite. Ça pousse très fort et j'accompagne le mouvement. Deux fois. Mais je n'ai pas l'impression que le bébé avance. Je me dis que ce n'est pas grave, je ne dois pas être à dilatation complète, les contractions sont bien trop espacées pour ça. Comme s'il s'agissait d'un bus, je me dis que je prendrais le prochain.

Le travail se poursuit, mais j'ai envie de sortir de l'eau. Angèle m'aide à enfiler mon peignoir, le travail est intense à présent. A peine ai je fait quelques pas que je suis à nouveau saisie par une vague énorme. Encore une fois je me mets à genoux et je pousse fort. C'est tellement fort et incontrôlable que je crie très fort aussi pour libérer cette énergie. Cette fois je sens bien le bébé tout près. Mais non, ce n'est pas encore pour cette fois.

Je veux m'installer sur mon lit. Angèle et ma grande me le préparent en y étendant des draps et des alèzes . Elles sont toutes deux très attentionnées, et pourtant si discrètes. Je ne suis jamais dérangée par les allées et venues, je suis bien dans ma bulle et pour autant je ne suis pas coupée des miens. Je me sens bien, en harmonie avec la vie de la maisonnée ce jour là .

Hors de l'eau les contractions sont tout aussi puissantes. A nouveau j'essaie d'expulser, mais rien à faire le bébé ne sort pas. Puis le travail cesse, les contractions se raréfient et là je connais une vraie crise de désespérance. Toute la fatigue accumulée ces derniers mois me tombe dessus. Je pleure d'épuisement, de découragement. Mais pourquoi est ce que le bébé ne sort pas ? Je donne pourtant le maximum. J'en ai assez, je ne pense qu'à une chose : dormir, avec mon bébé dans les bras, des heures et des heures .... Angèle m'écoute, me console, m'encourage. Je me reprend un peu et je mets à profit cette pause pour somnoler entre les contractions. Je perçois la vie de la maison autour de moi, la musique tibétaine qui emplit la chambre, la petite U qui vient téter sa maman, le petit Eliott qui s'est endormi tel un gisant, couché sur le parquet du couloir. On m'apprend que mon troizans à moi ne vaut pas mieux, et qu'il s'est laissé surprendre par le sommeil sous une chaise du salon. Je me reprends, je respire, je regagne des forces. Angèle me dit que très bientôt je pourrais enfin dormir, très très bientôt, dès que ce gros travail sera accompli. Ses mots me redonnent la foi en moi et le courage d'y retourner. D'ailleurs les contractions reprennent, encore plus violentes et puissantes qu'avant. Je les accompagne de cris qui m'aident à recentrer mon énergie.

Je retourne dans un bain chaud. Françoise la sage femme est arrivé dans ces entrefaites. Elle m'examine et me confirme que je suis à dilatation complète. Mais que le bébé n'a pas bien fait sa rotation, il manque un petit centimètre, et qu'il a une grosse tête. Elle écoute le petit coeur, il va bien. Les explications de Françoise me rassurent. Moi qui ne voulait surtout pas intellectualiser cet accouchement, je suis contente de savoir pourquoi ça coince. Je visualise le problème et la position du bébé et ça m'aide. D'après elle Il n'y a pas grand chose à faire si ce n'est pousser très fort. Mais je pousse déjà très fort, et ça fait déjà très mal, il faut encore plus ? Je commence à comprendre et je me sens comme prise au piège. Les mauvais souvenirs de la naissance d'Achille en siège me reviennent. Je me souviens parfaitement de cette douleur énorme, de l'énergie folle qu'il m'a fallu pour le faire sortir. Déjà les sensations au niveau du col sont identiques. Non, par pitié, je ne veux pas revivre ça... Je n'ai pas le choix pourtant. Les contractions toujours aussi puissantes me poussent vers cette issue. Françoise m'aide à m'installer dans la baignoire les jambes ouvertes. A chaque contraction je pousse fort, très très fort. La tête ne passe toujours pas. Françoise me conseille de cesser de crier et de concentrer mon énergie vers le bas. Je sens sa main et je visualise la direction de la poussée vers ce point là. Une autre contraction survient, énorme, et je pousse au delà de mes forces. La tête passe enfin. Mais le bébé ne sort pas. La douleur est atroce. Je vois dépasser de ma vulve le sommet de la tête de mon bébé et je la touche. C'est une sensation très désagréable, cette tête grise et toute molle, et cette douleur intense et persistante. C'en est trop pour moi, je perds pieds. Je ferme les yeux et je crie ma douleur. Je veux fuir hors de moi même. Je ne peux plus, je ne veux plus, c'est trop fort, ça fait trop mal,c'est insoutenable. Françoise me rattrape et me raccroche à son regard. Elle me dit que l'épaule est coincée, que je dois pousser très très fort pour la décoincer, que je ne dois pas réfléchir. « je ne peux pas !» « si tu peux, on y va » . D'ailleurs je sens la contraction arriver, je sais que je n'ai pas le choix . Angèle me tend sa main, je m'y raccroche avec angoisse. J'ai vu dans son regard, qu'elle sait, qu'elle a compris, que j'ai déjà très mal, trop mal, et que dans une seconde ça va être pire encore.

La contraction me soulève encore un fois, je pousse aussi fort que je peux et plus encore. En deux fois le bébé sort enfin. J'ai le temps d'apercevoir que sa tête est d'une couleur foncée avant de le serrer contre ma poitrine. Encore étourdie par cet immense effort, je sens la douleur s'éteindre lentement. Je serre mon bébé contre moi en pensant que lui aussi il a souffert. Je vois sa peau se colorer doucement. Tout va bien, mon enfant respire, se remet, et commence à pleurer doucement.

Que ça a été dur .....

Puis c'est l 'explosion : le bonheur m'envahit, la joie d'avoir enfin mon bébé. Je me jette pleine de gratitude dans les bras d'Angèle. Oui c'est grâce à elle que ça s'est passé ainsi, grâce à sa présence, son soutien, ses mots, ses bras et ses mains. Je pleure, et elles aussi .

Récit de la naissance d'Ariane

« Ben dis donc elle est belle « Elle ? Bien oui, toutes les trois nous avons parlé de ce bébé au féminin durant tout l'accouchement. C'est le moment de vérifier si mon intuition était bonne. Je regarde, oui c'est bien une fille. Je suis encore trop étourdie pour répondre aux questions, alors c'est ma grande qui prononcera en premier son prénom : Ariane. Ma fille est dans mes bras, je ne réalise pas pourquoi Françoise et Angèle la regardent d'un air étonné et admiratif. Oui elle est belle : 4 kg 200, et 37 cm de périmètre crânien. Je comprend mieux pourquoi j'ai eu tant de mal à la mettre au monde.

Ariane pleure doucement et longuement. La pauvre a eu sa petite tête toute serrée pendant longtemps ....Oui pour elle aussi ça a été dur, très dur. Je la câline. un long moment .

Nous avons froid toutes les deux, je veux sortir de l'eau. On nous installe comme des princesses dans le grand lit. J'expulse le placenta dans un flot de sang . Françoise connait son métier et a les bons réflexes. Elle me fait tout de suite une injection qui va stopper ce début d'hémorragie. Je perd tout de même pas loin d'un litre de sang, à vue de nez... La chute brutale de tension, me provoque un malaise, heureusement il passe assez vite. Mais je sais dores et déjà que je vais être affaiblie durant pas mal de jours.

Ariane,toujours sur moi, se réchauffe et ne pleure plus. Une fois passée toute l'agitation autour de nous, elle plonge son regard dans le mien et ne le lâche plus. Longtemps, et c'est magnifique...

Récit de la naissance d'Ariane
Récit de la naissance d'Ariane

Puis elle va trouver le sein etle lécher tout doucement. Il ne lui faudra que quelques minutes pour se mettre à téter comme une grande.

Les enfants viennent nous voir. Ma grande est ravie et encore très émue. C'est elle qui va couper le cordon. Achille sera le dernier à se manifester. Il voudra prendre un bain d'abord; puis viendra nous rejoindre pour sa première co-tétée de grand frère. Mais quand sa sœur émettra un pleur il s'échappera bien vite en la regardant d'un œil méfiant.

Je suis épuisée, endolorie, mais je ne suis pas la seule . Dans l'affaire ma doula a tout de même largement payé de sa personne. Couverte de bleus, la main broyée, les muscles malmenés, elle a bien gagné son tube d'arnica.

Ariane a pour deuxième prénom ...Angèle.

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