La loi Hadopi semble aussi résistante que le canard de l’histoire. Après avoir été rejetée par surprise, votée en vertu de la discipline majoritaire, sérieusement amputée par le Conseil Constitutionnel, elle sera finalement promulguée dans les jours qui viennent. Le canard (qui, en musique, désigne une fausse note, ce qui ne pouvait pas mieux tomber) a, au passage, perdu quelques plumes et un peu de ses ailes, mais il est bel et bien « toujours vivant. »
Le PS, qui s’est réjouit sans retenue de la décision des Sages de la rue de Montpensier, n’avait cependant guère de raisons de triompher. En effet, si l’on doit aux députés de ce parti l’initiative de la saisine du Conseil constitutionnel qui a permis les modifications que l’on sait, il ne faudrait pas oublier que les sénateurs du même parti avaient voté sans état d’âme le texte en première lecture et n’avaient volontairement pas participé au vote lors de la dernière lecture. Voilà qui fait penser à ce mot de Pierre Dac, l’une des voix de la France Libre à Radio-Londres, qui disait avec un humour corrosif son admiration pour ces résistants de la dernière heure qui, de 1940 à 1945, avaient « courageusement résisté à leur ardent désir de faire de la résistance ! » Voilà aussi une attitude qui contribue à l’illisibilité du message d’un parti qui semble avoir bien du mal à se définir.
Le plus important, dans la décision des Sages, réside, quoiqu’on en dise, moins dans le
On notera au passage que ces arguments fondés sur la protection des principes républicains, maintes fois avancés par les experts et les internautes durant la discussion de la loi Hadopi devant le parlement, n’émurent ni les sénateurs socialistes, ni les artistes (ou supposés tels) favorables au texte. Ces derniers, si prompts d’habitude à s’insurger contre la moindre restriction des libertés – au point que certains en ont fait leur lassant fond de commerce – ont prouvé à cette occasion que leur bonne conscience savait rester discrète lorsqu’en contrepartie, ils pouvaient préserver leur pré carré. Le cœur a ses raisons, que les intérêts corporatistes et financiers n’ignorent pas, fut-ce au prix de l’instauration d’une présomption de culpabilité qui n’a pourtant guère cours aujourd’hui que dans les dictatures plus ou moins exotiques.
Si l’on peut comprendre que les inspirateurs et les auteurs de la loi Hadopi y restent attachés, en dépit des arguments solides qui en soulignent les dangers, on reste confondu devant l’absence d’imagination des politiques, des artistes et des professionnels à proposer des solutions alternatives. Le paysage se réduit à cette loi, comme si elle était l’unique moyen de lutter contre le piratage. Pire encore, le raisonnement binaire qui en découle voudrait faire passer ceux qui trouvent ce texte contestable et inadapté pour des complices des pirates.
Quant aux politiques, on attend encore de leur part des suggestions concrètes qui permettraient de préserver les droits des créateurs tout en étant réellement adaptées à l’état de l’art technologique et économique. Sont-ils sourds à la parole des experts ? Ont-ils d’autres chats à fouetter ? L’un des plus attendus sur la question, Jack Lang, à qui l’on doit une loi qui a su avec bonheur préserver en France l’existence de vrais libraires, s’en tient à la loi Hadopi ; il avait cependant fait preuve, en son temps, d’une créativité plus fertile. Nous en sommes donc là, dans l’espoir qu’un système efficace, et pragmatique, basé sur un modèle économique réaliste soit proposé. En attendant, comme le répétait Robert Lamoureux de son inimitable voix nasillarde, le canard est toujours vivant !