Peu de films m'ont marqué comme L'an 01. Le principe définit par Gébé y est pourtant simple : « on arrête tout » et on voit ce qui se passe. S'ensuit un joyeux bordel dans lequel les idées de mai 68 prennent vie sous l'œil aiguisé de Doillon. Ami de toujours, il signe cinq ans après la disparition de son pote une préface touchante pour ce recueil de dessins qui ont tous paru dans Charlie Hebdo entre 1993 et 2003.
C'était le Charlie deuxième génération, celui de Val avec Gébé en « directeur de la publication » et chroniqueur acerbe. On le voit bouffer du curé, déchiquetter le grand capital à coup de crocs acérés, snober la construction du stade de France, et dénoncer ; déjà ; les jeux vidéos violents, entre autres. Etonnantes chroniques comme celle sur la mort du roi Baudouin, une sorte d'hommage à un bonhomme que Gébé semblait apprécier. A moins que ce ne soit pour contrebalancer la Une hilarante annonçant le décès du souverain belge : « Le roi des cons est mort ».
Il a dû en s'en tapé du « Hé, M'sieur Gébé, L'an 01, qu'est-ce que c'était bien ! », et à toutes les sauces... On oubliait trop souvent qu'après ce monument continuait l'œuvre d'un artiste au regard affûté, en partie recomposable en compulsant ces papiers.
Kaléidoscope en noir et blanc, il nous dévoile les multiples facettes d'un personnage à la lumière de ses prises de positions, de ses coups de cœur et de ses ras-le-bol. Les feuilles, les arbres, la table qui l'entourent ; le soleil qui perce la lucarne, et une plante verte qui tombe mollement, comme autant de tableaux traversés par des textes ciselées.
Une certaine amertume se dégage sur cette dizaine d'années et je sais avoir déjà éprouvé ce sentiment à la lecture d'un livre. C'était un recueil de dessin de Cabu édité après l'exposition magnifique de l'Hôtel de ville, à Paris. Dans ces deux volumes pointent des regrets et des tensions, par-delà même le regard critique : une douce remontée d'exaspération propre aux vieux... C'est triste et beau. Et agréable à lire quand on est face à des personnages qui se sont permis de croire et d'entrevoir « le pas de côté ».
On aurait aimé qu'au format original ; tout en hauteur ; s'ajoute un papier un peu moins glacé pour donner un peu de cachet à l'objet livre. Ces Papiers à lettres l'auraient mérité. Bonne lecture !