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Splendeur de la discrétion

Par Philippe Di Folco
Pour une fois je parle d'une émission télévisée vue en différée, celle du 19 septembre 2007, du "Ce soir ou jamais" spécial Che.
Voilà. Après avoir avalé comme une soupe tiède les lénifiantes paroles du ministre de la Culture (oui, bon, elle est charmante, etc., mais attendons, attendons), on déplacera le curseur vers la minute 40' : brouhaha, phrases apprises par coeur, accents germaniques ici, espagnol là, gaucho de gôôôche enfin, oui ou hélas : à savoir, Hans Joachim Klein l'ancien terroriste spécialiste des catachrèses bavaroises, l'insupportable Clémentine ("j'ai la robe accordée à la couleur de mes yeux et c'est pas des lentilles empoisonnantes") Autain adjointe du Grand Vélib, Jacobo ("le Che invitait des écrivains étrangers à voir des exécutions d'opposants tout en fumant son cigare mais peu ont osé en parler") Machover réfugié cubain, Philippe ("je ne crois pas que mai 1968 ai réussi à changer le capitalisme") Raynaud philosophe vieux oui et alors, Xavier ("l'écoterrorisme c'est les multinationales qui nous font avaler des OGM  qui nous filent le cancer") Renou activiste maigre, Serge Quadruppani écrivain et traducteur et homme de gôôôche ami de l'éditrice ami de Mimitte - enfin, dans un coin, ou plutôt au coin, le jeune de service, Camille de Toledo, un écrivain, encore un et avec des cheveux plein de mèches.
Il faut donc écouter très vite (un "sample"), les logorrhées, les récitatifs, les concepts cul-de-sac, les confusions capitalisme/néolibéralisme (et Renou aurait fait Siences Po ?) incessantes, mais si ce n'était que ça...
Comme le relève si bien Berlol, soudain Camille de Toledo, vers la minute 50, je ne sais plus, dit d'une petite voix : "Vous êtes fatiguants, mais ce que vous pouvez être fatiguants..."
Il tend la perche au couple Renou-Autin qui balance un "mondain ! ", un "Versailles !", un "poèsie !"... et c'est le mot de trop !
Toledo est beau quand il rétorque, en substance, que de lire, de s'intéresser aux livres, ça c'est sans doute révolutionnaire... mais, croit-il utile de préciser, pour lui, pour sa personne, voilà ce qu'il dit : en gros, il rappelle que c'est d'abord sur soi qu'il faut tenter la révolte.
En même temps, je suis très triste pour Camille : il le sait qu'on ne peut rien attendre d'un show télé, même situé au-dessus de la merdasse cathodique en cours, show qui rappelle parfois feu "Droit de réponses" (mais alors version clubbing avec un Polack transfiguré en Vlad Dracul, vif, crochettant, comme éternellement jeune), il le sait, il a lu tous les livres, même tardivement, on va pas lui ressortir son Debord... mais il se lance, Camille, et frappe fort tout de même : quand il en appelle à la discrétion, aux effets de marge, aux petits bonds. "Eh ! bien justement la poésie !" Et Albanel, blanche colombe violée à Cannes, de dire quelques minutes plus tôt dans son tête à tête super cool avec FT : "Eh ! bien la subversion se serait justement de faire aujourd'hui une comédie à la Frank Capra..."
Je me souviens bien des Frank Capra : je les regardais au "Cinéma de Minuit" présenté par Patrick Brion qui avait un peu la voix en plus fluette de Camille de T., quelque chose de l'ordre de la discrétion (il semblait que son introduction qui commençait invariablement par "dans ce fiiillmeuh" et se terminait pas un point de suspension suivi d'un point de suspension suivi d'un générique annonce sublime de la 20 Century), je les regardais dis-je et je pleurais souvent à la fin. Pourquoi je pleurais à la fin, des larmes sans doute faciles de jeune con, oui, peut-être, mais en réalité, il s'agissait combiné à la fatigue, à la masturbation, au fait que j'étais à deux mètres du petit écran, d'un progressif et émergeant sentiment de désenchantement : dans la Vie est belle, on se souvient de Stewart qui courre partout, grand et élastique, il est "heureux d'être au monde" à nouveau, il est réconcilié, voilà, c'est 1945, super, la guerre est finie, un truc comme ça. On va tout reconstruire, y compris la grammaire des sentiments et en finir avec la haine de soi et des autres. Baruch Baruch quand tu nous tiens pas la queue...
Camille de T. n'avait rien d'un utopiste ce soir du 19 septembre. Il est bien trop lucide pour ça. Je suis certain qu'on ne le reverra pas de si tôt dans le petit écran. Dernier essai ? La prochaine fois, on ne sait jamais, il pourrait se mettre à lever une insurrection : en appeler à lire Pierre Michon par exemple ou Marcel Cohen ou encore Jean Paulhan. Un truc de fou : où il faut maintenant s'excuser d'être "avec les livres", de n'être bon qu'à ça. C'est pas rien.
Le titre du 3e livre de Camille de Toledo (j'ai pas d'action chez Danone) : Vie et mort d'un terroriste américain, chez Verticales (merci de continuer à ne pas m'envoyer de SP, ni de bombes : les deux coûtent cher et vous avez besoin de garder vos forces, au cas où vous seriez "fatigués").

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