Désireux de répondre à certaines interrogations de quelques
fidèles, ici ou à mon adresse mail personnelle, concernant la rareté ou non de la littérature pessimiste que connut l'Egypte dès la fin de l'Ancien Empire et durant la Première Période
intermédiaire et à laquelle, ces derniers samedis, j'ai consacré mes billets, je voudrais aujourd'hui, ami lecteur, vous donner à lire un extrait de ce que les égyptologues appellent soit
Enseignement d'Amménémès Ier, soit Enseignement d'Amenhemhat Ier à son fils Sésostris Ier.
En principe émanant de ce premier souverain de la XIIème dynastie, le texte en question, dont nous avons traces sur de nombreux ostraca, sur un
rouleau de cuir (3029) malheureusement en piteux état conservé à Berlin et sur quelques papyri, notamment, à Londres, le Papyrus Sallier II (= British Museum 10182),
aurait en fait été véritablement rédigé, après le décès de Pharaon, par un scribe du nom de Khéty, stipendié qu'il aurait été par Sésostris Ier désirant ainsi, par cette oeuvre
apocryphe, officiellement légitimer sa future politique.
Si j'ai délibérémment choisi ce court passage du début de l'Enseignement afin de mettre un point final aux textes consacrés à la littérature pessimiste
égyptienne, c'est simplement pour indiquer que ce genre particulier, certes pas courant dans le corpus global, survécut néanmoins au-delà de la seule époque de troubles que j'ai abondamment
évoquée durant le mois qui vient de s'écouler; c'est aussi pour attirer votre attention sur le fait que la notion d'un être désabusé ne fut pas l'apanage d'un peuple qui perdit ses repères,
mais toucha incontestablement aussi les grands du royaume : ici, en l'occurrence, Pharaon, qui n'eut d'autre intention avec les recommandations qu'il lui adresse que celle de mettre son
fils en garde, de l'inviter à la prudence ...
Si j'ai ainsi choisi ce passage précis dans cette sorte de testament politique, c'est aussi pour démontrer que la crise morale qui sévit un bon siècle plus
tôt eut encore à cette époque une influence considérable sur la conception que l'on pouvait avoir de l'Homme, au point qu'un père, monarque en place, invite le fils destiné à lui succéder à
une certaine circonspection. Paroles de mise en garde, vous en conviendrez après lecture, quelque peu désabusées.
Que ne renièrent nullement les Stoïciens bien des siècles plus tard ...
Commencement de l'enseignement qu'a fait le roi de Haute et Basse-Egypte Sehetepibrê, fils de Rê, Amenemhat, Juste de voix. Il dit un
message de vérité à son fils, le maître de l'univers. Il dit : "Toi qui es apparu solennellement comme un dieu, écoute ce que je vais te dire, afin que tu sois le roi du Pays, que tu diriges les
Rives et que tu accomplisses le Bien, en surabondance. (...)
N'aie pas confiance en un frère, ne connais pas d'amis, ne te crée pas d'intimes, cela ne sert à rien. Si tu dors, que ce
soit ton propre coeur qui prenne garde à toi, car un homme n'a pas d'amis au jour du malheur.
J'ai donné au déshérité, j'ai élevé l'orphelin, j'ai fait en sorte que puisse parvenir celui qui n'avait rien au même titre que celui qui possédait. Mais c'est celui qui
mangeait de mes aliments qui me faisait des reproches, celui à qui j'avais donné les deux mains qui faisait naître l'effroi à cause de cela; celui qui était vêtu de mon lin le plus fin me
regardait de la même façon que ceux qui en étaient dépourvu; ceux qui étaient oints de ma propre myrrhe crachaient sur ma sollicitude ..."
(Traduction : Claire Lalouette, 1984, 57-8)