S’il est une caractéristique de notre époque que Chantal trouve haïssable, c’est notre «obsession du contrôle», qui non contente d’être «aliénante et bassement motivée par notre radinerie», nous pousse à tout vouloir faire nous-mêmes, à ne plus faire confiance, à ne rien déléguer. Résultat, affirme Chantal: des corps de métiers disparaissent, notre tissu social déjà pourri périclite, etc.
A cette dérive, Chantal oppose volontiers l’époque («pas si lointaine, mine de rien!») où le laitier livrait à domicile tous les matins, où les dames au guichet de la poste avaient la haute-main sur vos virements et où seules les agences de voyage pouvaient émettre des billets d’avion. Or que reste-t-il de cet ordre civilisationnel de juste répartition des tâches où chacun savait où était sa place? «Rien! Juste l’anonymat du guichet virtuel et des kyrielles de chômeurs!», dénonce Chantal lorsqu’elle se jette dans la sociologie racourcie.
Le dernier emblème en date de ce cataclysme, à ses yeux, c’est la tondeuse à tifs dont Patrick a récemment fait l’acquisision pour égaliser le pourtour de sa calvitie et «cesser de dépenser des fortunes chez cette arnaqueuse de coiffeuse». Histoire de bien signaler sa réprobation et son profond respect du savoir-faire, Chantal a aussitôt pris rendez-vous chez ladite coiffeuse. Qui le jour venu, lui a demandé si ça la dérangeait que ce soit l’apprentie qui lui coupe les pointes. «J’en serais ravie!», s’est écriée Chantal - aux anges à l’idée de soutenir à la fois les métiers menacés et la formation de la relève! L’apprentie s’est donc déchaînée dans sa chevelure, donnant libre cours à des inclinations… asymétriques.
Alors qu’elle rasait les murs sur le chemin du retour, Chantal s’est jurée de solliciter les services de Patrick, la prochaine fois. Lui au moins, elle pourrait l’engueuler. Gratuitement.