A la source et au terme de la crise de l'Eglise : l'Eucharistie, l'unité, le prêtre

Publié le 12 juin 2009 par Hermas
1969.- EN CES ANNEES-LA… LA NOUVELLE LITURGIE
Pour beaucoup, cette année 1969 ne dit pas grand-chose. C’est presque de la préhistoire. Un temps lointain qui ne connaissait ni ordinateurs, ni internet, ni téléphones portables, ni société pluriculturelle. Un temps lointain qui n’évoquerait un peu quelque chose que par sa proximité à l’année précédente, par le départ de De Gaulle ou, sous-culture moderne oblige, par la naissance de Jennifer Aniston.
1969, pourtant est une date considérable. Les plus informés se souviendront que cette année-là un jeune tchèque, du nom de Jan Palach, s’immolait par le feu pour dénoncer l’occupation soviétique de son pays, paroxysme de ce totalitarisme diabolique, dans l’indifférence des élites du bien penser. Mais pour les catholiques, 1969 est surtout l’année de la publication de ce qui était alors appelé le Novus Ordo Missae, c'est-à-dire le nouveau rite de la messe, qui allait recevoir le nom de “messe de Paul VI” puis, bien plus tardivement, de “forme ordinaire du rite latin”.
L’événement est considérable parce qu’il aura progressivement cristallisé les dures oppositions qui se sont manifestées dans l’Eglise depuis lors.
“Progressivement”, doit-on souligner, car Mgr Lefebvre lui-même n’en a pas toujours fait ce qu’il appellera « la messe de Luther », puisqu’il missionna un temps l’un de ses propres prêtres, professeur de son nouveau séminaire, pour la célébrer dans la paroisse même d’Ecône. N’en déplaise à la légende dorée qui en est écrite, à l’encre de l’ignorance, probablement, plutôt que du mensonge, Mgr Lefebvre l’a célébrée lui-même, en particulier lors d’ordinations sacerdotales qu’il a conférées dans le diocèse de Salerne, selon le rite nouveau des ordinations. Cela n’empêchera pas l’idéologie traditionaliste de remettre ultérieurement en cause, également, la validité de ce rituel nouveau. Mais l’incohérence n’a pas ici de prise, pas plus que lorsqu'on présente Mgr Lefebvre en pourfendeur de toujours des textes conciliaires, qu’il a pourtant tous signés.
Il convient de souligner aussi le terme “cristallisé”. Parce que la question de la nouvelle messe est devenue le symbole, le drapeau et, dans une large mesure, l’excuse d’une “résistance” à l’ennemi qui s’est exercée finalement dans tous les domaines des évolutions qu’ont connu depuis le deuxième concile du Vatican la doctrine, la discipline, le droit ou l’exégèse catholiques.
1969-2009.- QUARANTE ANNEES DE CRISE
Quarante années, quarante longues années inaugurées par des scandales, des blessures, des bouleversements sans nombre, des sacrilèges, des intolérances, des incompréhensions, des désertions, des hérésies même, qui ont fini par élever entre deux camps du monde catholique, raidis dans leurs certitudes exclusives, un mur de la honte, longtemps hermétique, définissant des zones imperméables l’une à l’autre sociologiquement et mentalement, ne communiquant que dans la critique, le rejet et souvent la haine.
Quarante années de déchirures, étonnamment vécues par bien des hiérarchies dans une l’indifférence lointaine, choquante, de qui ne serait aucunement concerné. Quarante années d’errements, de tâtonnements, d’expériences, d'indulgence à l'erreur, de “recherche”, après la joyeuse frénésie destructrice des premiers temps. Quarante années d’illusions, de sécularisations, d’affadissements du sel de la terre, de désacralisations. Quarante années de marginalisation de milliers de catholiques, qui ne demandaient au fond qu’à vivre en paix, et qui ont été réduits dans leurs réserves, leurs hangars, leurs garages, et finalement poussés aux désespoirs du schisme. Quarante années de désertification aussi, de “désacerdotalisation”, non exclusive de terrorisme clérical. Quarante années d’assèchement de la piété populaire et des vocations, de résignations à la médiocrité, de dénaturation de la catéchèse, de compromissions avec le monde et de chasse à ce qui avait le tort de rappeler le passé. Quarante années, en retour, de révoltes, de faux plis de libre-examen, de gauchissement de la Tradition et du magistère, d’intégrisme, de raideur, de mépris de la hiérarchie ou de libertés prises sans ou hors de l’unique Eglise du Christ.
Quarante ans ! C’est très long, quarante ans. Le temps du désert. Quatre fois dix longues années, une quasi-vie d’homme mûr, perturbée par des immatures, qui a vu passer tant d’acteurs de ces combats et de ces militances, qui n’ont pu s’empêcher de collectiviser leurs frénésies. Il y a quarante ans, les premiers hommes marchaient sur la lune, mais l’on commence à peine à se rendre compte que l’on a marché collectivement sur la tête. Quarante ans qui ont vu lentement monter pourtant, sur fond de ruines ecclésiastiques et paroissiales, et au rebours des arrogantes certitudes adolescentes des années soixante, le doute sur la pertinence des choix qui ont conduit à passer par-dessus bord tant de rites, de prières, de façons de voir qui avaient été forgés par des siècles, qui, après tout, étaient peut-être bien des siècles de sagesse. Le chapelet, les chemins de croix, les pèlerinages, les dévotions jadis honnies, le chant grégorien, l’adoration, le culte des saints, tout cela est lentement, presque imperceptiblement remonté en surface, comme porté malgré l’esprit du temps, par la profonde respiration vitale de l’Eglise.
Ce n’est pas à dire que ces quarante années aient été vaines. Elles ont été marquées par de réels progrès théologiques et ont été traversées par la sainteté qui ne fait jamais défaut à l’Eglise. Bien des âmes ont trouvé sans défaillance leur nourriture en des réformes que d’autres réputaient mortelles, et l’on voit partout germer des fruits d’apostolat et de sainteté nés d’un terreau qui n’a pas été arraché à la terre-mère non plus qu’à ses racines séculaires. Mais enfin, quarante ans de piétinement quand même, à beaucoup d’égards, et en tous les sens du mot, qui ont fait marquer le pas, devant le monde, à un catholicisme divisé et miné par la revendication et le doute de soi. Quarante années dont beaucoup n’auront pas vu le bout, qui sont morts ou ont abandonné le combat dans le découragement, la solitude et le désaveu.
Triste ironie de l’histoire, il n’est même pas assuré, au terme de cette interminable période, que le Concile au nom duquel tant de bouleversements ont été conduits soit seulement vraiment connu. Beaucoup assurent encore que non. La chose est évidente dans maintes chapelles traditionalistes, même dûment reconnues, où jamais on n’en entend seulement prononcer le nom, comme s’il n’existait pas, comme s’il ne s’agissait que d’une parenthèse historique à oublier, que l’on continuerait secrètement de vomir. Leurs prêtres, qui paraissent frappés d’autisme, continuent d’ânonner, la barrette triomphante, ce qu’ils ont pompé dans le catéchisme du concile de Trente, avec la tranquille assurance, au moins apparemment, de l’insurpassable valeur de ce qu’ils sont, de ce qu’ils prêchent et de ce qu’ils représentent. Mais ailleurs, c’est souvent égal, lorsque des prêtres invoquant cette fois le Concile à temps et à contretemps, comme aux premiers jours, ne paraissent le faire que pour donner un sceau crédible à l’expression de leurs interprétations et de leurs délires, et jusqu’en leurs reniements du sacerdoce ou de l’eucharistie. Quarante ans plus tard, beaucoup sinon tout paraît encore rester à faire pour qu'une réception catholique du Concile devienne réalité universelle.
LES TROIS MESSAGES DE L’EGLISE : VERS LA FIN DE LA CRISE ?
Dans ces quarante ans, ou au-dessus de ces quarante ans, il y a cependant des signes qui ne trompent pas, de la présence agissante de Dieu. Nous avons parlé de la sainteté persistante, laquelle s’exprime en tous les milieux, se moque des prises de parti et se joue des péchés des hommes que le Diable instrumentalise à ses fins, pour régner et stériliser. Mais il faut aussi relever ces messages en quelque sorte prophétiques que l’Eglise adresse, maternelle, à nous autre qui sortons fatigués et parfois usés de ces années terribles. Notons-en trois. Trois messages qui tous renvoient à la sagesse autant qu’à l’essentiel, à la source, au remède universel de nos maux.
Le premier fut l’appel du Pape Jean-Paul II pour l’année de l’eucharistie (2004-2005) (cf.), laquelle a remis au centre de la vie de l’Eglise ce sacrement qui aura été, sans conteste, la victime première de ce temps de crise. Nombreux sont les fidèles qui vivent désormais dans la dynamique de cet appel, après avoir placé l’adoration eucharistique au cœur de leur vie, même si, ô paradoxe, il n’est pas assuré que ce soient les traditionalistes qui aient fait le meilleur accueil à l’appel du Pape. Le deuxième est l’appel à l’unité lancé résolument par le Pape Benoît XVI, avec, en contrepoint, la revalorisation de la sacralité liturgique et des droits des catholiques attachés à l’ancienne forme liturgique, appel qui a lui-même commencé à porter ses fruits, ne serait-ce qu’en convainquant un certain nombre d’évêques d’y être ouverts, pour mettre un terme à l’insupportable scandale de la division, d’autant plus insupportable qu’il a éclaté au sujet du Sacrement de l’unité. Le troisième message, enfin, est celui qui est lancé par l’Eglise à l’occasion du 150ème anniversaire de la mort du saint curé d’Ars, pour la sanctification des prêtres.
L’eucharistie, l’unité dans la charité, le prêtre. A y réfléchir, ce sont là les trois branches du point d’implosion de la crise de l’Eglise, autour duquel tout le reste a été ébranlé. L’Eglise, ainsi, renvoie tous les fidèles, et tous les prêtres, à la contemplation ou à la réflexion de modèles qui constituent pour eux un patrimoine commun dans l’Eglise, afin d’y trouver la vérité et la paix. Le prêtre “sécularisé” a autant à apprendre du curé d’Ars que le prêtre “ensoutané”, qui s’en estime peut-être plus proche, et qui croit parfois devoir ajouter à la crédibilité de son ministère dentelles et pompons. Nous avons tous besoin, pour être portés dans l’unité du chœur eucharistique de l’Eglise, de retrouver un modèle commun de prêtre, fondé sur l’humilité de son sacerdoce, la simplicité de sa parole et de sa mise, son amour des Ecritures autant que de la pauvreté, son effacement devant son ministère sacré, son respect et sa piété à l’autel, sa perception de la prêtrise comme un service total et non comme l’exercice d’un pouvoir sur autrui, d'une conquête de clientèles ou d’une activité militante au service d’un parti dans l’Eglise, sa fidélité sans ambiguïté à cette dernière et à son magistère.
« Chers prêtres, disait il y a peu le Pape Benoît XVI, c'est seulement de l'union avec Jésus que vous pouvez tirer cette fécondité spirituelle qui est génératrice d'espérance dans votre ministère pastoral. (…) Devenir Eucharistie ! Que ce soit là précisément notre désir et notre engagement constants pour que, à l'offrande du Corps et du Sang que nous faisons sur l'autel, s'accompagne le sacrifice de notre existence. Chaque jour, nous puisons au Corps et au Sang du Seigneur cet amour libre et pur qui fait de nous des ministres dignes du Christ, et des témoins de sa joie. C'est cela que les fidèles attendent du prêtre : c'est-à-dire l'exemple d'une dévotion authentique pour l'Eucharistie ; ils aiment le voir faire de longues pauses de silence et d'adoration devant Jésus, comme le faisait le Saint Curé d'Ars que nous rappellerons de manière particulière durant l'Année Sacerdotale désormais toute proche  » (Homélie en la solennité de la Fête-Dieu, jeudi 11 juin 2009).
Cette année sacerdotale, placée sous le patronage du saint curé d’Ars, s’ouvre bientôt, le 19 juin prochain, fête du Sacré-Cœur de Jésus et Journée mondiale de prière pour la sanctification des prêtres. On relira à cet égard avec beaucoup d’intérêt la lettre écrite à cette occasion par le cardinal Cláudio Hummes, Archevêque émérite de Sao Paulo et préfet de la Congrégation pour le clergé.
En un sens, on peut dire que le prêtre a été frappé par la crise dans l’Eglise ; mais en un sens aussi certain, on peut dire qu’il en a également été l’auteur, le collaborateur et le propagateur, à de multiples égards. Aussi avons-nous toutes raisons de nous associer à la prière de l’Eglise pour sa sanctification, la redécouverte ou l’approfondissement de sa dignité et de sa responsabilité et la pleine disponibilité de tous, de la famille aux hiérarchies diocésaines, pour favoriser l’accueil de vocations de « bons et saints prêtres », tels que Dieu n’a jamais, jamais cessé de les appeler pour le salut du monde, même au plus fort de ces tourmentes.
Pierre Gabarra