Le romancier Alphonse Karr avait pour domestique, à certaine époque, un nègre superbe, haut de six pieds, mais tellement paresseux que ses fonctions n'étaient plus qu'une sinécure. Un beau jour, Alphonse Karr, impatienté d'attendre ses chaussures que ce singulier valet de chambre ne nettoyait jamais qu'au dernier moment, lui cria d'un ton de mauvaise humeur :
"Eh ! maraud, si tu n'as pas le temps de cirer mes bottes, prends un domestique !"
Le lendemain matin, personne de plus étonné qu'Alphonse Karr en voyant entrer à pas de loup dans sa chambre un étranger qui dépose au pied de son lit une paire de bottes luisantes comme un miroir, et sur une chaise des habits scrupuleusement brossés.
"Que m'apportez-vous là ? demande Karr en se frottant les yeux.
- Ce sont les effets de Monsieur."
Le maître sonne : le nègre survient.
"Dis-moi donc qui est cet homme. Qu'est-ce que cela signifie ?
- C'est le domestique que je viens de prendre, ainsi que Monsieur me l'a conseillé hier !" réplique le nègre.
Alphonse Karr, qui ne manquait pas d'originalité, prit fort bien la chose et laissa tranquillement son noir valet de chambre faire exécuter son service par procuration. Tout allait donc au mieux, quand voilà qu'un matin il voit ses vêtements arriver sur le bras du nègre lui-même.
"Tiens, c'est toi ? lui dit-il. Et ton domestique ?
- Ah ! ne m'en parlez pas, Monsieur, je l'ai mis à la porte. C'était un fainéant !"