Le premier pompier de France

Par Choupanenette

De même qu'il y a dans l'histoire le premier Grenadier de France, il existe aussi le premier Pompier. Celui-là est sinon le plus célèbre, au moins le plus ancien. Il appartenait à la troupe du Théâtre-Français. M. Georges Monval nous a jadis raconté ses aventures. Il s'appelait François Dupérier du Mouriez, et il était gentilhomme. Il était venu à Paris avec son oncle, celui-là même à qui Malherbe a dédié ses stances fameuse :

Ta douleur, Dupérier, sera donc éternelle...

Dupérier, qui avait beaucoup voyagé et acquis, en diverses matières, de l'expérience, avait assisté à maintes catastrophes causées par les incendies. Les maisons étaient construites en bois, à cette époque et, quand le feu s'y mettait, il n'en dévorait pas une seule ; tout le quartier et parfois toute la ville y passait. On se servait, pour lutter contre ses fureurs, d'un instrument très rudimentaire et un peu comique, la grosse seringue.
Nous voyons qu'en 1671 la ville de Castres décidait l'acquisition de "huit grosses seringues" à incendie. Ces grosses seringues étaient notoirement insuffisantes ; elles manquaient, si l'on peut dire, d'haleine ; il eût fallu, pour obtenir un résultat efficace, en disposer plusieurs centaines en batterie, et encore leur jet intermittent eût-il été toujours d'une fâcheuse maigreur.
Dupérier se trouvant en Allemagne et dans les Pays-Bas, y avait rencontré une sorte de seringue perfectionné qui rendait aux populations de grands services. Il en acquit un modèle et l'amena à Paris. Le comédien se hâta de faire part de sa découverte à tous les hommes intelligents qu'ils connaissaient. On l'accueillit avec une bienveillance où se mêlait un peu d'ironie. Et Dupérier, bravant les moqueries, attendait qu'une occasion se présentât d'expérimenter la vertu de son appareil.
En 1704, un incendie éclate au palais des Tuileries. Dupérier accourt avec sa pompe et offre son aide à Vauban qui dirigeait les secours. La pompe de Dupérier fait merveille, elle humilie les "grosses seringues". On constate avec surprise et admiration, que "le sieur Dupérier darde l'eau partout où il veut". C'était un triomphe.
Le roi en fut instruit ; sur le rapport de Vauban, il ordonna que douze pompes fussent disposées dans les divers quartiers de Paris. Mais il oublia d'ouvrir les crédits nécessaires à cet objet. On organisa une loterie pour l'acquisition desdites pompes. Trois ans après, nouvelle alerte. Nouveau succès de Dupérier. Cette fois Sa Majesté comprit la nécessité d'établir définitivement ce service. Un décret fut préparé et signé, aux termes duquel une rente de six mille livres était prélevée sur le Trésor pour : 1e : l'entretien des seize pompes ; 2e : les appointements de Dupérier,  nommé directeur général ; 3e : la solde de trente-deux gardes pompes... Le budget était maigre ; mais le principe était reconnu. Dupérier n'en demandait pas davantage. Fort glorieux de sa charge, il travailla à en augmenter l'importance, il paya bravement de sa personne. En 1719, bien qu'il eût soixante-neuf ans sonnés, il se lança au feu ; il eut la jambe contusionnée par l'écroulement d'un pan de mur ; il se fit saigner - ce qui était alors le remède universel - et regagna son poste au bout d'une heure. Du coup il fut nommé lieutenant. En 1722, il avait sous ses ordres soixante gardes, manoeuvrant trente pompes. Il touchait trente mille livres pour subvenir à ses frais. Enfin, il obtenait que ses hommes fussent vêtus d'un uniforme qui se composait d'un habit court bleu foncé à collet jaune, avec une casquette de feutre garnie de fer.
Dupérier était au comble de ses voeux. Tout en s'occupant avec amour de ses pompes, il continuait de cultiver son art. Il était devenu sociétaire de la Comédie Française. Grâce à son humeur aimable et aux relations considérables qui lui avaient valu son emploi, il sut placer ses trente-deux enfants (M. Lorédan Larchey certifie ce chiffr qui paraît tout d'abord invraisemblable.) D'illustres rejetons devaient sortir de cette souche. Il eut pour petit-fils le général Dumouriez. Mais celui-ci, dans ses mémoires, passe sous silence cette parenté, soit qu'il lui répugnât de descendre d'un acteur, soit que le régiment de pompiers de nos grands-pères ne lui parût pas avoir un caractère assez belliqueux.
Telle est l'histoire de la première pompe de du premier pompier de France. François Dupérier mérite qu'on honore sa mémoire.