Au lendemain du rejet constitutionnel d’Hadopi, Dark Night Of The Soul est un sacré pied de nez à l’industrie musicale, ou un coup marketing certain, à voir. Toujours est-il qu’après les tentatives Radiohead et autres Raconteurs de sortir des circuits classiques de distribution, le génial producteur Brian Burton et le génial songwritteur Mark Linkous tapent un grand coup dans la fourmilière en proposant d’acheter leur cd-r (vierge donc), de télécharger le disque sur internet (ici par exemple) et de se le graver soi-même. C’est quand même gonflé ! Ca va que le fameux cd est accompagné d’un livre de photos de 100 pages réalisé par le troisième larron de la farce, j’ai nommé Monsieur David Lynch. EMI n’avait qu’à mieux se tenir. Ajoutez à cela le côté mystérieux du projet annoncé le 1er avril dernier et surtout la myriade d’invités présents, susceptible de faire se pâmer n’importe quel fan de musique indé des années 90 et vous obtenez là un disque déjà qualifié de "maudit" voir de "lost album" puisque finalement non disponible dans les bacs. Tout ça est très intéressant mais le reste suit-il ?
Bon dieu oui, mille fois oui ! Eh c’est assez vite indéniable. Largement supérieur à la compilation presque homonyme Dark Was The Night qui réunissait déjà une liste pharaonique de guests, cette collection de 13 titres écrits à quatre mains est magistrale. Si le projet aurait pu s’appeler Dangerhorse ou Sparklemouse, c’est la patte Linkous que l’on retrouve le plus dans l’écriture déprimée et bricolée, Burton se chargeant lui de saturer ces mélodies pas très propres. Quant à Lynch, il est plus difficile d’observer sa participation, si ce n’est dans l’esprit, les visuels bien entendu, et surtout l’exposition qui a eu lieu à L.A. sur le sujet. Peut-être également sur le thème général de l’album, concept au possible, sur les écrits religieux d’un certain Jean De La Croix au 17ème siècle sous le nom La nuit obscure de l’âme.
Linkous et Burton avaient déjà collaboré en 2006 sur quelques morceaux de l’excellent Dream For Light Years In The Belly Of A Mountain (avec Dave Fridmann tiens-donc, et Steve Drozd des Flaming Lips). Linkous, artiste difficile et sombre s’il en est, avait beaucoup apprécié The Grey Album de Danger Mouse avec Jay-Z, par ailleurs excellent lui aussi. Le résultat, que je vais vous décrire en détail, est un album étrange, à la multiplicité des genres (allez, citons quand même Mercury Rev et les premiers Death In Vegas comme ressemblances) et surtout très varié dans l’interprétation puisque chaque titre est interprété par un chanteur différent, accompagné ou non par Sparklehorse.
L’album est donc divisé en quatre parties va-t-on dire. Les trois premiers morceaux, dans un registre psyché et délicat. Les trois suivants, plus rock. Les quatre suivants, qui retournent à la pop psyché nonchalante. Et enfin les deux derniers franchement plus sombres. Dire que chaque partie contient son lot de chef-d’œuvre est un euphémisme, et il est amusant de constater en parcourant la presse comme chacun tient son titre favori, qui n’est jamais le même. Il y en a pour tous les goûts, vraiment.
Ca commence très fort avec le formidable "Revenge" par Wayne Coyne himself. Qui mieux que lui pouvait porter ce morceau qui s’illumine à 1’15" ? C’est entre le Flaming Lips et le Sparklehorse et c’est magnifique. En suivant, Gruff Rhys des Super Furry Animals est entre le fuzzy et le country sur ce "Just war" encore une fois parfait. Dernier arrivé du premier tiercé, et peut-être le meilleur, Jason Lytle de Grandaddy interprète "Jaykub", et il ya tout ce qu’il faut.
Et là lorsque l’on croit que tout est fini, que l’on pense les meilleurs morceaux passés, sans prévenir, on se prend la monumentale claque "Little girl" qui refuse de sortir de ma tête depuis des semaines (Nova n’aide pas non plus). Morceau majeur de cette année auquel Julian Casablancas des Srokes donne tout. Il y a même un solo à 2’ qui me fait hérisser les poils. 4’35" de pur frisson, où l’on ne sait si l’on doit être triste ou gai. C’est dur de se remettre et pourtant "Angel’s heart" par Black Francis des Pixies fait bien le boulot. Beaucoup plus rock et rentre-dedans que tout ce qui précède, c’est un très bon morceau. Pas le temps de se relever non plus qu’Iggy Pop nous arrive avec son meilleur morceau depuis longtemps. Sur "Pain" il apparait crépusculaire au possible, sur un titre qui tient la route. Sur ces six premiers jets, croyez-moi, rien n’est à jeter.
David Lynch en personne se charge du très bel interlude "Star eyes", avant de prendre en pleine face la complainte "Everytime I’m with you" par Jason Lytle encore. Peut-être l’un de ses plus beaux morceaux. "Insane lullaby" par James Mercer des Shins prend le relai et encore une fois c’est somptueux. La délicatesse de la mélodie et des arrangements noyés dans des bruits de fond noisy, c’est du Sparklehorse tout cuit, à la sauce Shins, parfait ! Linkous prend enfin le micro sur le morceau suivant qu’il partage avec Nina Persson des Cardigans. Ce "Daddy’s gone" sonne très Beatles, et c’est très bien. Suzanne Vega (bin voyons) enchaîne sur un "The man who played God" tout à fait dans le jus.
A ce stade il n’y a plus qu’à laisser Vic Chesnutt s’escrimer sur un "Grim Augury" un poil moins convaincant que le reste, et David Lynch de boucler la boucle sur le titre éponyme, noyé sous les réverbs et autres effets d’usure.
En bref : Impressionnant! Pour un disque qui n’aurait jamais du sortir, c’est un miracle. Mis de côté l’anecdote marketing du projet, on se retrouve en face de 13 morceaux écrits par un génie, produits par un génie, mis en images par un génie et interprétés par onze génies. 13 (ou douze) incontournables de la musique indé contemporaine.
Le site officiel du projet, celui de Sparklehorse et celui de Danger Mouse
L’album en téléchargement et l’album en streaming
"Little girl" par Julian Casablancas et "Revenge" par Wayne Coyne :