Marie Olivier-Ziglioli

Par Elisabeth Robert

 

Marie Ziglioli, quel joli nom de famille pour une auteure qui mérite que l'on se pose pour parler un peu de son premier ouvrage: "La bestiole".

Marie vit en Corse et se bat pour la vie, pour sa vie.

Au travers de son livre elle relate la maladie avec du recul dit-elle...

Il me paraît si difficile d'apprendre un jour que nous sommes atteints.

Force et courage pour Marie et au final un livre à découvrir aux éditions Paulo-Ramand.

-Marie, comment te sens-tu aujourd'hui?

Bien ! Cette réponse me fait sourire… Page 35 de LA BESTIOLE: « Bien. C’est par réflexe que je dis ça. C’est toujours ce que je dis, ça doit être une habitude chez moi. Même si j’agonise, si on me demande comment ça va, je réponds bien. C’est idiot, mais bon, on n’est pas obligé d’être tout le temps intelligent…»

En réalité : cela dépend des jours.

Je suis souvent fatiguée, irritable, parfois angoissée. Mes derniers examens médicaux ne sont pas bons, j’attends les prochains (janvier) pour en savoir davantage.

Deux solutions :

·        ils sont meilleurs et je retrouve le sourire ;

·        ils sont pires et je pleure…

-Tu es d'origine Corse?

Non : Portugaise.

Venue en France il y a déjà 37 ans, à l’âge de 10 ans, et je ne parlais pas un mot de français…

C’est mon mari qui est Corse. Honnêtement j’aurais préféré qu’il soit basque, ou breton, ou… sénégalais ! Cela m’aurait rendu la vie plus facile, je pense.

C’est difficile de vivre avec un Corse au quotidien ; leurs liens familiaux sont très forts, et ils excluent tout intrus (je me sens intruse depuis 22 ans, c’est long !).

-Avant de développer ce cancer t'étais-tu déjà essayé à l'écriture ou bien est-ce la maladie qui t'a permis de trouver ce chemin de soutien littéraire?

J’écris depuis près de vingt ans. J’aime écrire. J’aime les mots de la langue française, et surtout les adjectifs, pour les nuances qu’ils nous offrent.

J’ai commencé par écrire un scénario « Champ de courses », 3 x 90’.

Puis un deuxième « La revanche d’une bâtarde », 120’. Ils sont toujours dans mon tiroir, mais on ne sait jamais ! Et puis avant tout, j’écris pour moi. Parce que cela me fait du bien. 

-Pourquoi un scénario ? Tu connaissais le milieu du cinéma ?

J’ai toujours été attirée par le monde du cinéma, de la télévision. J’ai voulu en faire partie. Pour y arriver, j’ai créé une société de secrétariat, il y a vingt ans, et j’ai « vendu » mes services de secrétaire à des maisons de production.

J’ai ainsi travaillé durant cinq ans avec des auteurs et/ou réalisateurs : Yves Boisset, Laurent Chouchan, Gil Galliot, Patrice Gautier, Bruno Gantillon, Philippe Lioret, Michel Munz, Pierre Uytterhoeven, Christian Watton

-Comment as-tu construit ton récit? Au jour le jour?

J’ai d’abord commencé par noter tous les mots savants que je ne connaissais pas, pour mieux les retenir. J’ai même pensé écrire une encyclopédie, je trouvais le langage médical tellement difficile à comprendre !!

Puis j’ai décidé de rester modeste… et de raconter à ma sœur les situations « incroyables » que le corps médical me faisait vivre au gré de mes examens. Chaque jour. Et pour qu’elle ne soit pas triste, je les écrivais en rigolant de tout et de rien… pour alléger les choses. 

Finalement c’est un livre drôle ! Je me moque gentiment de tout, et de moi en particulier, cela m’a permis de prendre du recul par rapport aux événements, aux situations douloureuses. Je dois reconnaître que je me suis pris au jeu : j’ai dû retenir des fou-rires dans des moments délicats, au milieu d’une consultation par exemple, car je m’imaginais d’avance comment j’allais raconter ça… J’ai beaucoup ri devant mon ordinateur, aussi.

Je me suis vraiment régalée à écrire ce livre, cela m’a fait beaucoup de bien. Je me suis également évadée du quotidien, lors des moments difficiles, pour trouver un réconfort ailleurs, parfois dans mon imaginaire.

Page 96 de LA BESTIOLE, alors que je me trouve sous l’immense appareil de radiothérapie : « Ce soir, ça me fatigue d’être ici ! J’ai envie de fraîcheur, de glace, d’eau, d’ailleurs… Je ferme les yeux. Je partirais bien une semaine en vacances quelque part. Une croisière sur le Nil peut-être… Non, trop chaud. Alors en Amazonie, il doit faire frais là-bas dans la forêt. J’imagine… » 

-Combien de temps as-tu passé sur ton clavier pour écrire "La bestiole?"

Aucune idée. J’ai écrit chaque jour, pendant six mois. Parfois juste dix minutes, parfois une heure, parfois une journée complète.

J’ai écrit beaucoup plus que les 150 pages du livre, après j’ai dû faire des « coupes»… pour ramener l’histoire à une longueur raisonnable.

-Tu t'isolais pour mieux relater les faits?

Non. Je pouvais écrire alors que mon mari et mes filles étaient dans la même pièce, regardaient la télé, lisaient, ou autre. Ils me regardaient parfois bizarrement, lorsque les larmes inondaient mes joues… et je les rassurais aussitôt en leur disant d’un air détaché : « Ce n’est pas grave, ne vous inquiétez pas, j’écris juste un truc un peu triste… ». Ou alors ils me voyaient tordue de rire devant mon ordi, et là c’est eux qui disaient « ça y est, ça la reprend ! ».

Le passage de mon livre qui m’a fait le plus pleurer en l’écrivant :

Page 117 : « J’ai dû m’endormir, c’est fille cadette qui me réveille, elle vient de rentrer de l’école. Toute seule. Je n’ai pas vu l’heure. J’ai oublié d’aller la chercher à l’arrêt du bus ! J’ai honte. Je suis une mauvaise mère, en plus. Elle me regarde avec tendresse. Il y a tant d’amour dans son regard ! J’en suis émue. Un instant, j’ai l’impression que les rôles sont inversés, la grande c’est elle… »

Le passage de mon livre qui m’a fait le plus rire en l’écrivant :

Page 128 : « Il me faudra prendre le temps de méditer cette idée plus longuement… Je la trouve magnifique. Généreuse. Forte. Puissante. Belle. Peut-être qu’un jour on me décernera le prix Nobel de la paix, pour y avoir pensé ! Très honnêtement, j’aimerais, j’avoue. Je serais volontiers candidate à un prix Nobel. Alors comme les autres Nobel me sont inaccessibles, celui-ci m’irait très bien… »

-Tu as dû avoir beaucoup de retours immédiats, de proches aussi? Qu'ont-ils évoqué?

C’est ma sœur qui m’a poussée à faire publier le livre, car le fait de le lire au fur et à mesure lui a permis d’être proche de moi tout au long de la maladie, bien qu’elle vive à Cherbourg et qu’à l’époque je sois à Lyon. Elle a de suite pensé que mon livre pourrait apporter un soutien à d’autres (malades ou proches de malades).

Mes grands frères ont été fiers de leur petite sœur. Ils ont versé quelques larmes.

« Fille aînée » ne l’a toujours pas lu, elle en est incapable. Je respecte.

« Fille cadette » est encore petite.

Mon mari m’a autorisée à le publier, rien de plus, et sa famille… n’a fait aucun commentaire. Sans doute à cause de l’omerta !

J’ai eu un retour extraordinaire du corps médical. Mon chirurgien que j’adore, d’abord. Il a beaucoup ri, il était très touché, et un peu fier aussi du rôle qu’il a joué dans ma vie. Mon oncologue était ravie d’avoir le point de vue du patient face à la maladie, mon livre lui permettant de « penser autrement » pour un meilleur confort du malade. D’autres médecins m’ont avoué qu’ils regarderaient dorénavant leurs patients d’une autre façon…

Les retours qui me touchent le plus, ce sont les mails de malades. D’abord parce que pendant qu’ils lisent mes délires, ils ne pensent pas à leurs propres misères. Mon livre leur donne de l’espoir. Et aussi après la lecture ils en parlent avec leur conjoint, leur famille. Mon livre libère la parole, fait que le dialogue s’installe. Alors je me plais à croire qu’en faisant sortir les mots, on évacue un peu les maux…

-Que peux-tu donner comme "conseils" aux personnes qui découvrent un jour la maladie?

On réagit tous tellement différemment face aux aléas de la vie... Je donnerai un seul conseil : que chacun trouve son arme pour combattre la bête. Pour moi ce fut l’écriture. Il faut arriver à s’accrocher à quelque chose, cela peut être un conjoint, la famille, un ami, un projet. L’important est de ne pas s’isoler du monde. Tout seul on est démuni. Il faut en parler, avoir un cancer n’est pas honteux. Mais je sais qu’on en parle encore trop peu.

-J'ai trouvé cette phrase sur ton Blog:

"Ce matin, j'ai peut-être trouvé la solution. Une cure de sommeil. Ils n'ont qu'à m'endormir, ensuite ils me baladent sur un lit entre les différents services, les toubibs, les rayons, les analyses... et ils me réveillent dans trois mois. Guérie, reposée, amincie, belle et jeune à nouveau." Elle date du 10 février 2007).

Crois-tu que l'on puisse échapper à son destin, que l'on peut fuir l'horreur de la réalité?

Non, je sais qu’on ne peut pas échapper à son destin. J’aurais pourtant voulu ne pas subir toutes ces souffrances liées à la maladie… J’ai eu une enfance atroce, une vie assez difficile, je pensais avoir terminé de manger mon « gâteau de galères ». Que nenni ! La vie m’en réservait d’autres.

Je sais aussi qu’on peut trouver de l’aide pour atténuer les douleurs de la vie, ou pour mieux les supporter. Lorsque la réalité et trop pénible, rien ne nous empêche d’avoir recours à des petites choses qui ne font pas de mal, et qui peuvent faire du bien. Je ne parle là ni d’alcool, ni de drogue… Comme une petite fille qui s’invente une amie imaginaire lorsqu’elle est trop seule, je me suis souvent isolée de la réalité pour « voyager » dans l’imaginaire. Il n’y a pas de mal à se faire du bien !

Page 146 de LA BESTIOLE: « Je plonge lentement dans la baignoire, laisse mon corps nu disparaître sous les bulles de savon. Je ferme les yeux pour mieux savourer cet instant de bien-être. Cette odeur d’huile me fait penser à une crème solaire. Une plage immense de sable blanc. Des vagues énormes dans un océan déchaîné. Un soleil lumineux dans un ciel bleu intense. Le Pain de Sucre au bout de la plage, à droite… Je reconnais cet endroit ! Je suis à Rio, sur la plage de Copacabana ! Allongée sur le ventre, des mains d’homme… » Et je termine par : « Le bruit assourdissant d’une vague qui vient mourir contre mes doigts de pied me sort de ma torpeur. J’ouvre les yeux. Terminus, tout le monde descend ! Je suis dans ma baignoire. C’est une goutte d’eau tombée du robinet sur mon pied qui m’a sortie de mon rêve. Il m’énerve ce robinet qui fuit ! » 

-Ton livre est disponible aux éditions Paulo-Ramand, et à la FNAC, les lecteurs peuvent-ils aussi te commander un exemplaire en direct afin d'obtenir une dédicace?

Oui. Bien sûr, ils peuvent me joindre via mon blog :

http://marie.ziglioli.googlepages.com/

-Est ce que tu te rends dans les réunions sur le cancer pour parler de ton livre?

J’aurais adoré le faire. Mais non, personne ne m’invite ! J’ai contacté plusieurs associations, sans obtenir de réponses. Je ne suis pas une scientifique. Je suis une « illustre » inconnue, qui n’a pas accès aux médias, donc je n’intéresse personne.

J’ai uniquement parlé de mon manuscrit dans le magazine Fondamental, distribué par l’ARC (Association de Recherche contre le Cancer) qui m’a consacré une double page.

-Tu m'as parlé d'un prochain ouvrage... Tu peux nous en dire plus? Quel genre?

Je viens de terminer mon deuxième manuscrit. C’est un roman, le titre provisoire est « Mensonge et abandon ».

Il vient de partir de Corse, en quête d’éditeur... Les délais de réponse des comités de lecture des éditeurs étant de 2 à 4 mois, j’espère avoir des bonnes nouvelles pour le nouvel an !

-Quel est ton livre favori?

Pas de favori. J’aime surtout les histoires vraies. J’ai lu récemment un livre qui m’a beaucoup touchée : « Je suis né un jour bleu » de Daniel Tammet.

J’aime les premiers romans aussi. Ils ont une sincérité qui m’émeut.

Les auteurs que j’ai le plus lus : Romain Gary, Paulo Coelho, Isabel Allendé, Christian Jacq. Ils m’embarquent dans leurs univers, me font voyager…

-Quelle est ta chanson préférée?

« Le petit bonheur » de Félix Leclerc.

Et « Michelle » des Beatles. Elle me rappelle une douce soirée, alors que j’avais vingt ans, quelque part dans les Pyrénées, après une journée de ski, au mois de février… mais chut !

-Ma question finale est toujours la même. Marie tu es une femme heureuse? Il te reste des rêves à accomplir?

OUI ! Je suis une femme heureuse.

OUI ! Il me reste des rêves à accomplir :

Je reprends mes études dans quelques jours, à l’université de Corte, pour passer une licence de français dans trois ans.

Adapter « Mensonge et abandon » pour le cinéma, et que Philippe Lioret accepte de le réaliser ! J’adore ce réalisateur, et j’aime l’humain qu’il est.

Je suis ravie que tu reprennes tes études, je te souhaite la santé, le bonheur et surtout de trouver ta place sur cette belle île qui fait tant rêver!;)

Merci!