Expressivité

Par Celinouchka

Je n'ai plus de papier, laissez-moi m'exprimer.
Je n'ai pas la douceur de sa voix, ni la douceur de ses mots.
Je n'ai plus de mots, seul le silence me reste, pesant, ébranlant, faisant couler une goutte de sueur le long de mon dos. Les pages se tournaient, lentement, au soleil, avec un mélange de mots, ces mots, mots, mots, pesants, si lourds de sens, trop lourds, impossibles à affronter.
Reprendre le temps de respirer, à trop dormir, l'on fait des songes bizarres, hanté de gens que l'on aime, qui nous effraient.
Quatre semaines, quatre semaines pour m'exprimer, sur des feuilles quadrillées, margées, à l'enseigne du lycée, à voix haute devant un jury qui te regarde, ou qui s'en fiche, finalement ? La douceur du regard de l'experte d'italien, celui d'allemand qui regarde les nuages, la deuxième guerre mondiale ne t'intéresse donc pas ? Böll finit par se mélanger à Becker, deux mots de Dürrenmatt, en passant, et puis ceux de Levi, de l'autre coté du monde, du coté de la souffrance à l'état pure. Se questo è un uomo, perché, perché, perché ? Les cris dans mon âme durant l'interrogation, ce terme, tremblant, qui surprend tout le monde: Desumanisazione, déshumanisation, horreur, malheur.
On sursaute, on tremble de peur, d'horreur, les autres mots, Bassani, et puis aujourd'hui, la prière de tomber sur Baudelaire, se rabattre sur Voltaire, la question du bonheur - est-il atteignable ? l'a-t-il atteint ? - le regard du professeur qui scrute mon âme de ses yeux me font mal, la littérature dévoile, mon orgueil se blesse.
Les mots, toujours les mots.
Les mots égrenés, que je n'arrive plus à marquer, tant ils brûlent l'âme de leur âpre vérité, c'est si facile d'oublier, de vouloir oublier.
Se rappeler.
Encore et toujours, ta petitesse, ta méprise, ton égoïsme - non, je ne suis pas égoïste, oui, vous le pensez, mais non, pas égoïste, solitaire, un peu misanthrope.
L'ai-je choisi ? J'ai peur, peur de mon destin, de ma vie si différente, trop différente des autres, de mon monde - allô Jupiter ? ici la Terre - vécu dans une noirceur de passé, d'espoir, de rêve, de nuages. Micòl me touche, il Protagonista aussi, par leur fuite de l'avenir, par sa fuite de l'avenir, à quelques mois de l'éclatement de la guerre.
Et aujourd'hui, aujourd'hui ? la question est comme un coup de poing dans l'âme. Rien n'a changé, tout continue, une histoire cyclique mais différente.
Fuir, fuir, le bonheur des draps qui t'enveloppent la nuit, te cachent aux yeux du monde, un offrande, un corps, un esprit.
J'ai essayé, laissez-moi décrocher, laissez-moi retourner sur Jupiter, sur Mars, sur Saturne.
Les mots, les mots, toujours encore, ils me hantent, me blessent, m'écorchent, mais mes doigts tournent et tournent les pages des livres, mon âme a soif, ô ridiculité de se cacher derrière la connaissance, pour cacher une sensibilité trop forte pour une âme trop fragile.
Je n'ai plus de papier, laissez-moi m'exprimer.