A sa façon, Mani va lui raconter combien l'amour peut rendre plus beau et plus fort. Qu'on peut aimer et quitter, qu'on peut recommencer à aimer, en mieux, ou autrement. Cela ne signifie pas qu'on oublie, qu'on remplace, qu'on cicatrise. Les blessures existent pour se sentir en vie, et de longues nuits sans sommeil, à boire du thé ou du café, à écouter de la musique à ou à discuter de livres, vont amener nos deux héroïnes à se comprendre.
Pour Mani, cela veut dire confier un chapitre de son passé, pour permettre à sa petite-fille de maîtriser sa douleur, de purger sa peine et de faire en sorte qu'un premier amour permet d'ennoblir une personne, et non pas la détruire. Phili pleure beaucoup, elle est émue aussi par la confiance que lui témoigne sa grand-mère, avec laquelle une tendre complicité la lie. Elle ne se contente pas d'écouter, parfois elle se révolte, elle crie, elle hurle, elle est méprisante. Trop nouée à son désespoir, toute dédiée à son sentiment de trahison.
Même si ce roman est publié chez Thierry Magnier, il mérite d'être lu par un lectorat adulte (ou pour adolescents, niveau lycée ou fin de collège). Cette collection de photo roman est en fait un exercice donné à un auteur, qui consiste à écrire une histoire à partir de photographies. Ici ce sont les clichés de Colombe Clier qui ont su éveiller chez Claudine Galea des sensations qui leur étaient liées. Des images ont commencé à apparaître, d'absence, de désir, de vie quotidienne, de maison... "Quand on écrit, on raconte toujours les histoires secrètes qui dessinent d'autres vies en nous."
Cela m'est très difficile de décrire à quel point j'ai été touchée et éblouie par ce joli roman, j'ai aimé son climat, les mots chuchotés, le tourbillon des émotions et le flot des souvenirs, des confidences qui pourraient presque ulcérer les collets montés. J'ai aimé la moindre description du quotidien de cette quinqua, son souffle de vie, sa lenteur, son indolence, sa contemplation, sa sensibilité. On y trouve des sons, de la musique et des livres. On y collecte des sensations, des larmes aussi. Parce que deux femmes se parlent comme jamais auparavant, brisant la loi du silence, bravant les remparts du passé, dénichant les souvenirs rangés dans des boîtes closes.
Claudine Galea raconte l'amour au féminin avec pudeur et poésie, sans faux-semblant, en levant le voile sur cette attirance des corps du même sexe. Il n'y a rien de choquant, rien de dépravé non plus. J'ai envie de dire que c'est un livre qui ne fait que parler d'amour, le reste importe peu... Ce sont des variantes, des déclinaisons, des interrogations au sens large. Et j'ai beaucoup, beaucoup aimé. C'est l'exemple de lecture très intime, qui ne vous parle qu'à vous, et qui se révèle terriblement impudique (ou délicieusement indécent) d'en raconter les détails.
Thierry Magnier, 2009 - 250 pages - 16€
Claudine Galea est également l'auteur de A mes amourEs et Rouge métro.
extrait :
C'est le don de l'autre qui vous ennoblit ou vous tue. Celle que j'avais aimée m'avait ennoblie. Je me mis à réfléchir. Personne ne vous tue si vous ne voulez pas l'être. C'est cela qu'elle m'avait appris aussi, en filigrane. Ce qui vous tue, c'est le manque d'amour, la trahison, l'absence de grandeur, mais, en vérité, ça ne tue pas, ça blesse, ça rend dingue, ça vous balance un coup de poing dans la gueule, ça vous fiche une douleur pas possible comme quand on se retourne un ongle, sauf que c'est le corps entier qui est retourné, ça vous laisse une cicatrice, mais ça ne tue pas. Ça ne vaut pas le coup de mourir pour ça. Un véritable amour ne peut pas engendrer la mort. Un amour vrai donne la vie, encore et encore. Un amour vrai vous conduit vers un autre amour vrai.