Pour être un bon soignant, recommande-t-on en formation, il ne faut pas se laisser envahir par la maladie du patient . Il faut se prémunir, se protéger .
La médecine moderne nous apprend effectivement à rester maître de nous-mêmes grâce à une “distance thérapeutique”, ceci tout en prétendant aider les autres, les malades, euh… nos semblables ?
Mais même en ayant appris à bien s'en méfier, des émotions nous atteignent quand même, et on les reçoit et on les ressent dans notre propre corps . Parce que, qu'on le veuille ou non, ces émotions, elles sont au centre du soin. C'est le lien avec le malade, c'est le mouvement de l'âme dans le corps, le sien et le notre . Les émotions, c'est justement ce qui permet au soignant de connaître et de comprendre le malade, d'être en intimité avec lui, bien au delà des mots , de partager son quotidien, sa souffrance .
Souvent les émotions sont considérées comme nuisibles, comme des obstacles, des faiblesses à combattre . Parce qu'elles se traduisent dans notre corps par des substances chimiques et agissent on le sait maintenant, jusque sur notre système immunitaire . Notre corps conserve une mémoire émotionnelle . L'être humain, psychiquement, se constitue en archivant ses émotions . Ainsi, les expériences du passé sont enregistrées, depuis notre conception, et déterminent ensuite nos réactions, nos comportements et expliquent aussi certaines de nos maladies . Pour être vécue, une émotion doit passer par différentes étapes, il y a comme un déroulement naturel du processus émotionnel, que l'on peut parvenir à enrayer ou à interrompre à un moment donné . Ces blocages on le sait, donnent souvent lieu ensuite à des manifestations de symptômes propres à chaque individu . On peut ainsi bloquer ou “rentrer ” sa colère, bloquer son plaisir, étouffer ses pleurs, etc…
C'est bien compliqué de vivre ses émotions ! Ainsi certaines situations vécues par d'autres, les malades par exemple, peuvent nous rappeler nos propres vécus personnels traumatisants . Cela fait écho en nous . Parce que comme eux, on a une histoire, un passé, des souffrances cachées, des émotions contenues … Alors au contact du malade, on peut craindre pour nous mêmes, nous sentir menacés . On peut réagir par le repli stratégique et la protection en mettant la”distance” qui n'est plus très thérapeutique . Certains soignants en arrivent à redouter pour eux ce qui arrive au patient . Ils se disent trop “sensibles ” et désirent s'endurcir . On peut aussi réagir par l'agressivité et le rejet, autre forme de défense ou inversement par une sorte de sur investissement de la relation avec le patient qui nous pousse à agir à sa place, comme si on tentait de résoudre nos propres problèmes, d'apaiser note propre souffrance .
Comment alors concilier le “souci de l'autre” sans se perdre dans la relation d'aide, comment conserver l'indispensable confiance du malade en se montrant suffisamment authentique et sincère dans ses propres réactions ? Et bien tout simplement en acceptant d'être comme on est, avec ses défauts et ses faiblesses . En acceptant ses propres émotions, en apprenant à les gérer, à vivre avec et à travailler avec , à ne pas les confondre avec celles du patient . Parce que la connaissance qui vient de soi est une force insoupçonnable pour ceux qui veulent aider les autres .
Admettre ses peines, ses souffrances, savoir les toucher . Rassurons-nous, ce n'est pas de ressentir une émotion qui fait mal, c'est justement de refuser de la vivre . Elles ne sont donc pas des obstacles, mais des éléments de compréhension . Elles sont notre part humaine, celle qui nous rapproche réellement du malade et qui fait qu'avec lui nous parlons le même langage et pas celui uniquement médical . Parce que c'est bien par l'humain que l'on peut apporter une aide et non pas par nos gestes techniques infaillibles, nos soins aseptisés et nos protocoles savants .