Promesse Tenue

Publié le 04 février 2009 par Majic


On m’a dit :
-Il ne faut pas piétiner sur son propre burnous !
J’ai répondu :
-Certes, recommandation sensée ! Mais ne doit-on pas faire son mea-culpa avant de se voir corrigé par d’autres ?

Juillet 1962 à Bejouira, une petite ville de l’intérieur.

Le départ des français d’Algérie était largement engagé et le flot des déménageurs vers les villes côtières s’amplifiait.
Les bateaux à destination de la métropole se succédaient dans une fébrilité qui frôlait la crise, les billets d’accès étaient bien chers et les dessous de table pour les meilleures places étaient de mise.
Pleurs, émotion, interrogations sur un avenir incertain sont des sentiments qui occupaient amplement les quais !

Sentiments d’injustice pour les partants de délaisser ainsi leur vie et celle de leurs aïeux nés là mais justice reconquise pour les autres qui vont désormais reprendre leurs droits !

Longue tragédie, drame incommensurable.

Moh était le voisin de Mme veuve Rillette, femme de colon qui vivait seule dans la cité européenne de Bejouira mais qui habitait le dernier bâtiment de la cité tout près de la limite avec le quartier indigène et comme Moh possédait la mansarde la plus limitrophe des bâtiments, il se trouvait donc en position de voisin le plus proche de Mme Rillette !

Moh avait un respect sans faille pour sa voisine qui vivait bien seule alors que lui devait faire vivre une famille nombreuse. Moh ne ratait jamais l’occasion de rendre service à la dame et ces rapports de bon voisinage ont contribué largement à l’estime réciproque qu’éprouvaient les deux voisins, l’un envers l’autre.
Paradoxalement pour d'aucuns, ils s’épaulèrent même pendant les moments les plus chauds de la guerre ou encore pendant la folle et sanglante période qui suivit le 19 mars !

Mme Rillette malgré son incompréhension et son rejet de toute cette violence s’était résolue à partir comme tous les autres européens : elle devait tout laisser là et aller refaire sa vie en métropole.
Elle vendit son logement et tous les meubles et autres babioles qui pouvaient lui rapporter quelques sous ainsi que ses bijoux mais n’accepta pas de se séparer d’un objet fétiche qui avait tant de valeur pour elle :
Son matelas personnel !
Elle était disposée à se séparer de tout mais partir et laisser là ce matelas, était pour elle la pire des pénitences !

Elle se mettait à pleurer à chaudes larmes rien qu’en pensant à cette éventualité-là.
Pourtant, elle réfléchit longtemps et trouva la parade : elle donnerait son matelas à son dévoué voisin, Moh, qui allait, se rassurait-elle, en prendre largement soin.
Ainsi fut fait mais au lieu de céder son matelas fétiche à Moh, Mme Rillette le lui vendit pour une somme symbolique.
Moh trouva quand même le moyen de refuser car lui dira-t-il : il n’avait pas sur lui la somme exigée.
Mme Rillette accepta de recevoir son dû postérieurement et Moh promit en jurant par tous les saints d’envoyer la somme due par le biais de son cousin Ouali qui habitait Grinouv’ (Grenoble) au plus tard dans les trois mois qui suivent. ……….

De 1962 à 2007, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts !

Pourtant point de paiement ne fut envoyé par Moh à Mme Rillette ! Moh a toujours trouvé une raison ou une autre pour ne pas honorer sa promesse et par la suite il a du se dire que cette Mme Rillette doit être morte et enterrée quelque part dans l’hexagone.
Alors, à quoi bon !

Pourtant…..

Juillet 2007

Par une belle journée chaude, un car pullman de touristes arrivait sur la grande place de Bejouira. Tous les présents ont remarqué la venue du bus flamboyant qui se garait devant un café en plein centre de la ville.

Ce sont des nostalgiques, expliquait-on, des français, anciens natifs de la région qui sont revenus visiter leur pays de cœur et leur lieu de naissance, faire un pelerinage et revoir le cimetière ou sont enterrés les leurs etc.… …………

La première dame à descendre du bus fut …..Mme Rillette et le plus proche des badauds, curieux de voir ces nouvelles têtes fut ……Moh !

La vieille Mme Rillette reconnut tout de suite son ancien voisin et lui assena :

-Moh…….. Et l’argent que tu me devais pour mon matelas ?
……………….

Si la terre pouvait s’ouvrir là sous ses pieds, Moh se serait fait tout de suite engloutir….. !



ADOUR ABDELMADJID