Nul ne contestera en tout cas le sens du timing et l’à-propos d’un Daniel Cohn-Bendit qui a réussi un nouveau hold-up électoral, dix ans après la percée des Verts aux européennes de 1999. Il avait conduit, à l’époque, la liste écologiste vers un succès inespéré : 9,72% et 9 élus. Cette année, il a fait bien mieux : 16,28% et 14 élus, manquant d’un cheveu de coiffer le PS sur le poteau (16,48%).
Seulement voilà, il y a dix ans, Daniel Cohn-Bendit n’est pas « resté » en France. Il a vite renoncé à s’installer dans le paysage politique national, découragé par l’incapacité des Verts à surmonter leurs divisions, handicapé par une vision stratégique mal définie – malgré les efforts d’un Zaki Laïdi par exemple, qui tentait à l’époque de théoriser ce que pourrait être une « troisième gauche » écologiste – et empêché d’agir par la présence du parti écologiste dans le gouvernement de Lionel Jospin.
Aujourd’hui, la situation est radicalement différente : c’est la droite qui est au pouvoir derrière Nicolas Sarkozy, le Parti socialiste n’a jamais semblé aussi loin de ce même pouvoir, l’écologie est devenue un thème incontourable du débat politique et les Verts ont su taire leurs querelles et s’ouvrir en grand à différents mouvements et personnalités. Est-ce suffisant pour offrir au talent politique de Daniel Cohn-Bendit une réelle perspective ? Pour faire de lui, par exemple, l’artisan de la reconstruction d’une gauche de gouvernement capable de faire pièce le moment venu à la droite sarkozyste ? Au-delà, est-ce que l’heure est à un bouleversement profond et durable du paysage politique… à gauche ? Un tel changement peut-il avoir lieu à partir des thèmes défendus par cette gauche à la fois sociale-libérale, libertaire et écologiste ?
S’il y a trois raisons de répondre oui à ces questions, il y a aussi trois raisons de dire non.
Oui parce que la thématique écologique a réalisé en quelques années seulement une percée dans l’espace public, et qu’elle s’est enracinée jusqu’à devenir compatible avec les préoccupations économiques et sociales traditionnelles de la gauche. La « sortie de crise », les ressorts de la croissance de demain, le « modèle » de société vers lequel on veut ou doit tendre… ne peuvent plus être envisagés hors de leur dimension environnementale, « verte » ou de développement durable.
Oui encore parce que le PS, à l’instar de toute la social-démocratie européenne, ne semble pas en mesure de synthétiser son projet social historique avec le projet écologique (de société) dont chacun perçoit la nécessité pour le XXIe siècle – et ce malgré la crise du modèle libéral qui aurait dû donner au socialisme un nouveau souffle. Le PS n’est plus capable, en l’état, de rassembler autour d’un tel projet commun les différentes catégories sociales populaires et moyennes. C’est un signe de son déclin à moyen terme, au-delà de l’élection qui vient d’avoir lieu.
Oui enfin car la dynamique est du côté de cette gauche qu’incarne aujourd’hui Daniel Cohn-Bendit, avec sa capacité d’agréger les différences, d’organiser le combat politique et de mettre en scène les possibles. Même si cela ne s’adresse pas encore à toute la gauche, loin de là, on peut d’ores entrevoir dans cette manière politique nouvelle l’esquisse d’une société nouvelle.
Non parce qu’il manque (encore ?) de nombreux éléments dans le « projet » proposé par Daniel Cohn-Bendit et ses amis. Les questions liées à la « valeur » travail, à l’identité nationale (articulée à la construction européenne notamment) ou encore aux relations entre l’individu et des collectifs plus ou moins protecteurs dans lesquels il s’inscrit sont traitées sans considération pour les dimensions complexes qu’elles recouvrent dans la société française contemporaine.
Non aussi, sociologiquement, car la capacité de cette « troisième » gauche de dépasser les contradictions entre question sociale et question écologique n’est pas avérée. L’électorat qui la soutient apparaît encore trop limité (centre-ville, niveau de diplôme élevé, CSP+…) pour qu’il puisse servir de socle à une alternance politique, et a fortiori comme véhicule d’un renversement de l’hégémonie culturelle dans la société française.
Non enfin parce que l’organisation requise pour une victoire à la présidentielle, élection-mère dans le système institutionnel français, se forge autour d’une personnalité capable de sublimer une dynamique politique en une volonté ambitieuse et déterminée de gagner, à tout prix. Or il n’est pas certain que ce soit là la qualité première de Daniel Cohn-Bendit.
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