Il y a celles qui ressemblent à Méduse et celles qui sont les victimes.
Le manichéisme est-il omniprésent lorsqu'on veut décrire un personnage féminin de la littérature? Elle est ceci, elle est cela, elle se place à tel rang de la société, elle a mal agit, elle a eu raison, elle a eu tort. La description des hommes est peut-être moins tranchée, moins morale aussi (il s'agit là, bien evidemment juste d'une interrogation et nons, malgré la forme, d'une affirmation). A t-on vraiment dit de Julien Sorel qu'il était bon ou mauvais? N'y a t-il pas moins manichéen que le roman de Camus, L'Etranger? En effet, Le rouge et le noir et L'étranger ne se placent pas du tout sous le signe de la morale. Valmont n'est-il pas plus nuancé que Merteuil, à première vue? Adolphe n'a pas la position de pur bourreau, alors qu'Ellénore a celle de victime de façon absolue.
Attention, je ne prône absolument pas le manichéisme, je suis juste en train de m'amuser.Ce n'est pas non plus un sujet de bac et rassurez-vous, je ne jouerai pas les Castors!
Cherchons dans la littérature (au cinéma, par le biais de l'adaptation) qui sont les victimes et qui sont les bourreaux, parmi les femmes...
Nana du roman éponyme d'Emile Zola: photo du film de Jean Renoir
"Catherine était contente du succès de sa ruse; Jules et Jim étaient émus comme par un symbole qu"ils ne comprenaient pas." Catherine est un désir à elle toute seule, son être ne fait qu'un avec ce qu'elle veut. Elle est ce qu'elle veut, mais son grand drame est de ne pouvoir avoir ce qu'elle veut. Elle finit par choisir le suicide et le meurtre, celui de Jim, en culbutant sa voiture du haut d'un pont en ruine. Femme démon, manipulatrice, elle se perd elle-même dans son jeu et dans le désespoir qu'elle cause.
Je vois en Nadja une figure victime. Cela n'engage que moi. Breton a t-il fait un seul geste pour aider cette femme quand elle a été internée? Cette "créature magique", un peu Mélusine, un peu Marie-Antoinette, n'a t-elle pas été sacrifiée pour acquérir une dimension allégorique? "Nadja" est le nom qu'elle s'est choisi, en russe, ce nom est le commencement du mot "espérance". Une vision qui la mène directement au désespoir...
A noter: l'adaptation de Nadja au cinéma (produite par David Lynch) a fait du personnage surréaliste un vampire.
"M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient point."
La pauvre princesse de Clèves n'a pas les traits d'un démon, au contraire. Elle peut être assimilée à une "presque-Madame-de-Tourvel". En effet, la citation est quasiment la même, une passion folle, sauf que dans Les liaisons dangereuses, Madame de Tourvel finit par céder, ce que ne fait pas la Princesse de Clèves. Les deux femmes auront pourtant le même sort, elles finiront par mourir au couvent. Comme quoi, l'avenir d'une femme est très dur, si celle-ci est touchée par une passion, assouvie ou non. Mais tandis que le vicomte de Valmont se "suicide" au cours d'un duel, M. de Nemours finit par oublier sa belle.
A la fin du roman, la marquise est dévorée par la petite vérole, elle s'en remet, mais est défigurée. "Le Marquis de ***, qui ne perd pas l'occasion de dire une méchanceté, disait hier, en parlant d'elle, que la maladie l'avait retournée, et qu'à présent son âme était sur sa figure. Malheuresement tout le monde trouva que l'expression était juste."
Bien que masculine, créee par la plume d'un homme ("Madame Bovary, c'est moi" dira Flaubert), cette femme connait le sort de nombreuses héroines de la littérature (certaines sont évoquées ici), elle se suicide avec en avalant de l'arsenic pour échapper à une société qui ne lui convient pas, et pour que son mari n'apprenne pas ses aventures.
" (...) elle n’a point, comme nos femmes coquettes, ce regard menteur qui séduit quelquefois et nous trompe toujours. Elle ne sait pas couvrir le vide d’une phrase par un sourire étudié ; et, quoiqu’elle ait les plus belles dents du monde, elle ne rit que de ce qui l’amuse. Mais il faut voir comme, dans les folâtres jeux, elle offre l’image d’une gaîté naïve et franche ! comme, auprès d’un malheureux qu’elle s’empresse de secourir, son regard annonce la joie pure et la bonté compatissante ! Il faut voir, surtout au moindre mot d’éloge ou de cajolerie, se peindre, sur sa figure céleste, ce touchant embarras d’une modestie qui n’est point jouée. Elle est prude et dévote, et de là, vous la jugez froide et inanimée. Je pense bien différemment. Quelle étonnante sensibilité ne faut-il pas avoir pour la répandre jusque sur son mari, et pour aimer toujours un être toujours absent. "
Ellénore du roman Adolphe de Benjamin Constant: photo du film de Benoit Jacquot
Ellénore est sensible et meurt de peine d’amour. Allégorie de la fatalité, elle est le personnage romantique d’une victime de la passion. Certes, l’héroïne est elle-même victime de la fatalité (fatalité de la passion, fatalité sociale, fatalité des circonstances) mais elle apparaît bien plus comme une « élue du destin » pour porter malheur à Adolphe. A cet égard, un trait frappant chez l’héroïne est son évolution. « Elle était douce, elle devient impérieuse et violente. » En effet, de victime de la société, elle devient geôlière de son amant et va exercer sur lui une violente tyrannie. Pour ce personnage, l'ambiguité est inverse par rapport aux autres personnages. De victime, elle devient fléau et donc démone, elle peut apparaître comme une "contre-Nana", en ce sens. La seule issue pour toutes ces femmes étant la mort.