Éthique de la communication ou Communication éthique

Publié le 10 juin 2009 par Jérémy Dumont

La conférence-débat organisée par le Club Entrepreneuriat Social, l’ISEG, le groupe Sciences-Po Ethique, le club Management et Société de l’INSEAD et l’institut G9+ sur le thème «Ethique de la communication ou communication éthique : Greenwashing, Fairwashing ou vraie stratégie pour l’entreprise ? » s'est tenue le 10 mars 2009 dans les locaux de l’ISEG. Plus de 170 personnes étaient présentes.

Les invités étaient :
• Nicolas Bordas, PDG de TBWA France
• Eric Gravier, Vice-Président Affaires Publiques de McDonald’s France
• François Lemarchand, Président de Nature et Découvertes
• Serge Orru, Directeur Général du WWF
• Edgar Morin, Directeur de recherche au CNRS, Sociologue, Philosophe, Ecrivain
La discussion était animée par Julie Lasne, du Club Entrepreneuriat Social.


Crédits : Frank Sparrow

En introduction, Julie Lasne définit le Greenwashing comme une « technique marketing visant à «verdir» un produit ou une marque qui, en réalité, ne respecte pas l'environnement ». Elle présente également le Fairwashing et l’Ethicalwashing qui correspondent au même procédé mais dans les domaines du commerce équitable et de l’éthique. Elle expose ensuite quelques repères chronologiques et indique que 60% des consommateurs croient les slogans publicitaires et sont incapables de différencier le « greenwashing » de la vérité  (Sondage BVP/ARPP) Elle expose également la notion de contre-pouvoirs assuré par les parties prenantes telles que certains médias avec le relais de la société civile. Elle souligne que des actions de Greenwashing se sont avérées coûteuses pour des entreprises qui les ont pratiquées. A l’inverse, compte tenu de l'engouement pour les produits à plus-value sociale et la confiance des Français dans les labels éthiques, une vraie démarche écologique, équitable, responsable peut se révéler payante. Elle termine avec une question : la communication sur le caractère écologique ou éthique correspond-elle à « coup de pub, un « coût » dur ou un coup durable » pour les entreprises ?

COUP DE PUB ? 
Edgar Morin explique que le propre de l’éthique est de ne pas être monnayable. En effet, il n’est pas possible d’acheter un comportement éthique. Le Greenwashing qui consiste à vendre de la santé, du bien-être ou encore de l’harmonie avec la nature correspond donc à une vente illusoire. Nicolas Bordas déclare que tout le monde recherche le bon comportement sur les questions de l’écologie, du commerce équitable et de l’éthique. Le fait que des entreprises communiquent sur les progrès réalisés sur ces questions permet à la société d’avancer et d’innover. Il peut exister une marge entre la réalité et la communication, mais cette marge se réduit grâce à l’accès et l’utilisation des nouvelles technologies et donc la possibilité pour les consommateurs de vérifier ce qui est dit.

DERRIERE LE GREENWASHING, UNE SOCIETE EN TRANSFORMATION
Serge Orru souhaite attirer l'attention sur l’enjeu principal de ce type de débat. Il s'agit de la métamorphose d’une société avec la fin d’un monde de gaspillage. Pour protéger l'environnement (et les hommes), la société doit changer afin de rendre sa consommation éthique. Il précise que l’écologie est un sujet qui dépasse les questions environnementales et s’applique à d’autres domaines dont l’économie. Par conséquent, les publicitaires ne doivent pas être les seuls à traiter les questions environnementales. Il signale ensuite qu'il n’est pas contre la publicité, mais contre l’utilisation fallacieuse de l’environnement dans la publicité. Edgar Morin stipule que le consumérisme est une intoxication de notre civilisation par l’idée que tous les problèmes peuvent être résolus par un achat. Le Greenwashing en est le reflet. Cela révèle que notre civilisation n’apporte plus le vrai bien vivre. Il s’agit d’un problème très profond et très vaste qui n’est pas la faute des publicitaires, mais le résultat d’un système qui rend addictif. Il conclut par la nécessité d'y réfléchir pour s'en sortir.

UN COUP DURABLE ET NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE EN CHANGEMENT
Nicolas Bordas souligne que la communication n'inclut pas uniquement les spots de publicité. Le nom d'une entreprise est une forme de communication. Il lui semble donc impossible que certaines entreprises ne communiquent pas. D’ailleurs, pour lui, l'absence de communication n'a pas de sens dans notre société de dialogue. Il déclare ensuite que la communication permet de « passer du durable au désirable » : les objectifs environnementaux de la société ne seront pas atteints par la contrainte. Une part de poésie est nécessaire pour favoriser le changement. Pour Eric Gravier le changement de notre société s'accompagne d'un changement obligatoire pour l'entreprise. La communication faisant partie d'un ensemble, l'entreprise doit ainsi communiquer sur son interaction avec l'environnement. Il cite l'exemple de McDonald's qui est passé d'un budget publicité constitué à 100% de communication sur les produits à un budget dont le quart est consacré à la communication de l'entreprise. Ce qui fait que la communication devient du Greenwashing réside dans la façon d'aborder les sujets. Un délai est également nécessaire pour communiquer sur des résultats avérés et pas sur des objectifs.

DANS L'ENTREPRISE, UN ENJEU AU-DELA DE LA COMMUNICATION
François Lemarchand précise que la question d’éthique dans une entreprise dépasse le seul domaine de la communication. Il s’agit d’une question d'organisation interne. Il ajoute que seul le sens que se donne une structure apporte de la cohérence à ses actions. Chez Nature et Découvertes, il n’y a pas de publicité mais une charte du développement durable et de l’éthique. Il existe également une fierté interne sur ces volets pour atteindre ensemble les objectifs fixés. Ce qui le choque dans certaines structures est le rapport entre l’argent mis dans la communication sur les volets écologique et éthique et l’argent mis dans l’action. Il souligne notre société qui est plus orientée vers les résultats que sur les moyens de parvenir à des résultats. Eric Gravier témoigne de l’expérience du Bilan Carbone de McDonald’s et détaille quelques-unes des mesures prises par l’entreprise pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Il ajoute que McDonald's a lancé un processus de concertation pour revisiter la totalité du cahier des charges. Il exprime la part de responsabilité de l’entreprise dans les enjeux environnementaux actuels et l’obligation qu’elle a d’y contribuer. Nicolas Bordas affirme qu'il y a une accélération de la prise de conscience des enjeux au sein des entreprises, même si des actions de communication maladroites peuvent être réalisées. Il  met en évidence le fait que le sens doit guider dans la publicité et qu'il y a peut-être eu une tendance à trop s'orienter vers la forme. Il croit que les personnes recrutées dans les entreprises constitueront une pression pour progresser.

UN ROLE POUR LES ONG, LES SALARIES ET LES CONSOMMATEURS
A la question de savoir si des ONG qui dénoncent le Greenwasing le nourrissent en fait quand elles travaillent avec les entreprises, Serge Orru assure qu'au contraire, il faut agir de l'intérieur et booster les entreprises. Il explique cependant que le travail d’une entreprise avec une ONG ne garantit pas que cette entreprise est irréprochable au niveau environnemental ou éthique. Il souligne également que pour faire changer les comportements dans les entreprises, les citoyens doivent s’engager dans leur Mairie et les salariés doivent s’engager dans leur entreprise. Serge Orru indique que les ONG doivent également mieux travailler ensemble. Elles luttent contre les mêmes problèmes et en conséquence elles ne doivent pas travailler de façon cloisonnée. François Lemarchand ajoute qu'il est important pour les ONG de travailler avec les entreprises qui font figure de "derniers de la classe" car elles ont un fort potentiel d'amélioration. Selon lui, ce qui importe est que les entreprises se mettent en route. Concernant la possibilité de s'informer sur le caractère éthique d'une entreprise, il explique qu’aujourd’hui, à travers les nouvelles technologies, les consommateurs ont les moyens de savoir et de communiquer entre eux. Julie Lasne expose que le lien entre environnement et santé est une grande rupture du 21è siècle et demande comment les consommateurs peuvent s’informer. Edgar Morin déclare que si la communication est nécessaire au sein de l'entreprise, il est également nécessaire d'avoir une pression constante des citoyens pour être informés sur la fabrication des produits. Les consommateurs et citoyens doivent être de plus en plus informés, y compris dans l'enseignement secondaire. La communication est utile dans ce sens et elle permet à l'entreprise d'améliorer son organisation interne. Il conclut qu'il ne faut pas demander de l'éthique à l'entreprise mais de la connaissance aux consommateurs.