Ce billet a déjà été publié sur l’ancien blog il y a plus d’un an.
Il m’a néanmoins semblé intéressant de le remettre au goût du jour, ceci dans un but strictement pédagogique, afin d’illustrer cette bonne vieille fable de La Fontaine dans laquelle un volatile aux idées courtes jure (mais un peu tard) qu’on ne l’y prendra plus.
Je confirme au passage qu’étant légèrement moins cortiquée que le fameux corbeau, je viens de m’y laisser prendre à nouveau (d’où le présent billet ).
Si tu es parent, et si d’aventure ta douce progéniture en vient un jour à te supplier (à genoux) d’avoir la bonté d’inviter Jessica, la meilleure copine du moment, à dormir à la maison, je ne peux que te recommander la plus grande prudence.
D’abord (et note-le quelque part, en rouge et en caractères gras): deux gamines de cinq ans à la maison, c’est un peu l’équivalent d’un raid américain sur Saïgon, Kaboul ou Bagdad.
En plus bruyant.
C’est une série de hurlements d’excitation suraigus qui rappellent les miaulements angoissants des sirènes pendant une alerte anti-aérienne à Dresde en 1945.
C’est une cavalcade sans fin d’un bout à l’autre de l’appartement qui fait penser à la célèbre charge de la Brigade Légère (et dont les conséquences sont tout aussi tragiques, notamment lorsque l’un des enfants finit par écraser lourdement sa tête contre le mur en béton du couloir).
C’est un concours permanent de blagues scatologiques qui laisse penser que l’on se trouve en présence de deux bidasses complètement lobotomisés tout droit sortis d’un navrant navet joué par Michel Galabru et Darry Cowl.
C’est une avalanche de gloussements complices et stupides chaque fois que l’on ouvre la bouche pour donner des conseils de bienséance, notamment sur la modération dont on est supposé faire preuve dans l’utilisation du mot "cul" quand on n’a que cinq printemps à son actif (au-delà, de toute façon, "cul" devient la base du vocabulaire de tout un chacun, et n’essaie pas de me faire croire que ce n’est pas ton cas).
Passons.
A l’heure du bain, je laisse les deux écrevisses mariner un peu dans la baignoire avec tout un tas de petites bestioles en plastique qu’elles s’empressent de couler en jouant à Titanic et en rejouant le drame du tsunami de 2004.
De mon côté, j’ai décidé de m’offrir le luxe d’une (petite) pause avant d’affronter l’épreuve du dîner et de ses batailles de purée, rots amicaux et autres régurgitations de jus de fruit par les narines.
Soudain, j’entends ma fille hurler (de rire):
- Môman! Viens voir, viiiiite!
Moi, flegmatique comme Emma Peel face à un savant fou qui prétend conquérir le monde dans n’importe quel épisode des Avengers:
- Oui, oui….
Ma fille, surexcitée, limite hystérique:
- Mais siiiii! Viens voir, c’est trop rigolo!
- Mmmmmm.
- Hi hi hi! Regarde comme ça flotte!
Cinq secondes passent.
Le temps que l’information me monte au cerveau à travers les quelques centaines de connexions neuronales encore en état de fonctionner.
Regarde comme ça flotte.
Quoi donc?
Qu’est-ce qui peut bien flotter dans cette baignoire à la con, à part les animaux en plastique qui doivent présentement se trouver écrasés par deux paires de petites fesses roses?
Fesses.
Eau chaude.
MONTJOIE, SAINT-DENIS.
Je me rue dans la salle de bains.
Où je trouve les gosses mortes de rire, serrées dans un coin, le plus loin possible de l’objet.
Qui flotte.
En effet.
Mollement.
Un étron.
Un étron monumental qui dérive paresseusement d’un bord à l’autre, au gré des vaguelettes provoquées par les soubresauts des gamines.
Sainte Merde.
Ni une, ni deux, je saisis les guenons, une sous chaque bras, et je les sors de ce qui est devenu un bouillon de culture, un marigot infesté de bactéries infantiles, aussi pathogène qu’une réunion d’anciens de l’OAS un soir de beuverie.
- QUI a fait ça?
(Je le sais déjà, en réalité, parce que ma fille, on peut lui reprocher beaucoup de choses, mais pas de s’oublier quelque part, et encore moins dans une baignoire)
- Heu…ben c’est moi.
- Mais enfin Jessica, qu’est-ce qui t’a pris?
- Ben je sais pas, je m’ai pas rendu compte.
- Mais…ça t’arrive souvent?
- Oh ben oui. Tous les jours.
- Hein??? Et aussi à l’école?
- Ben voui. Des fois.
- Et à la maison?
- Oh oui. Chaque fois que je prends un bain. Et pis aussi quand je m’amuse et que j’oublie d’aller aux toilettes. Et aussi quand je dors.
- Tu fais caca dans ta culotte quand tu joues?
- Ben oui, j’t'ai dit! Et aussi quand je dors.
- Mais…et maman? Elle dit quoi, maman?
- Ben rien. Elle nettoie.
J’en reste scotchée.
Fichtre. Diantre. Putain (oui, le vulgarité finit vite par me submerger, que veux-tu).
Elle nettoie.
Voilà une môme qui fait caca-culotte tous les jours à cinq ans passés, et dont la douce môman semble se borner à nettoyer, torcher, savonner jusqu’à faire disparaître toute trace du drame, avant de retourner à ses activités quotidiennes.
Jubilatoire encoprésie, Sigmund.
- Et des fois aussi, je fais pipi, mais là j’ai seulement fait caca.
(elle précise. Tout de même.)
Interlude.
Coup de téléphone de ma femme, qui est allée travailler malgré les suppositoires à la menthe qu’elle est obligée de s’enfiler et les quintes de toux qui transforment les parois de ses bronches en papier de verre (à ce propos, je suis toujours aussi étonnée de voir que les suppositoires guérissent le mal de gorge, je me dis qu’il doit bien exister des pastilles à sucer qui traitent les hémorroïdes).
- Bon, ben j’arrive, je serai là dans une heure. Et avant que tu ne m’accuses: Non, je ne suis pas en retard parce que je voulais éviter de me coltiner les deux gamines.
- J’allais pas dire ça.
- Mais si.
- Mais non.
- Mais si.
- ….
- Bon, et comment ça se passe?
- Bien. Très bien. C’est pas la Chetron sauvage, c’est l’Etron furieux.
- J’ai pas compris.
- Elle a chié dans le bain.
- QUI???
- Jessica.
- Ah ben merde alors.
- Justement, oui.
La nuit venue, je suis restée allongée sur le dos, raide comme un piquet, les yeux grands ouverts, quettant le moindre début de commencement d’embryon de pleurs enfantins.
J’ai flippé comme ça m’était pas arrivé depuis longtemps, depuis l’époque lointaine où je voyais l’ombre de Freddy Krueger et d’Alien se profiler derrière les volets de ma chambre d’enfant.
J’attendais.
L’étron nocturne qui n’allait pas manquer de polluer le canapé-lit et d’empuantir la chambre de ma fille.
Bob l’étron.
Si tu es parent, et si d’aventure ta douce progéniture en vient un jour à te supplier (à genoux) d’avoir la bonté d’inviter Jessica (ou Anne, ou Ema, Coralie, Fatoumata, Xing Li, Karima ou même Элизабет), la meilleure copine du moment, à dormir à la maison, je ne peux que te recommander la plus grande prudence.