Abstention provoquée

Publié le 09 juin 2009 par Malesherbes

Ce dimanche, les élections européennes m’ont fourni l’occasion d’exercer une fonction que j’apprécie beaucoup, celle d’assesseur dans un bureau de vote. C’est en effet une occasion très sympathique de rencontrer nos concitoyens et de pouvoir observer la démocratie en action.

Ma première remarque portera sur la population des votants. Si j’ai constaté la présence de familles avec de jeunes enfants, l’essentiel des votants était constitué de personnes âgées et les jeunes étaient plutôt rares. J’ai eu ainsi le plaisir de féliciter une dame de 93 ans, très alerte, venue voter toute seule, mais je n’ai assisté qu’à un seul baptême de vote. Il ne devrait pas être trop difficile, en analysant les émargements, d’établir la répartition par tranche d’âge des votants pour valider cette constatation.

  

Il est trop facile de mettre ce niveau élevé d’abstention sur le compte de l’indifférence des électeurs. Celle-ci est le résultat de l’attitude de nos gouvernements vis-à-vis de l’Europe. Déjà, lors de la première élection du Parlement européen en 1979, le RPR, alors au gouvernement s’était livré à la pantalonnade du tourniquet : les députés RPR établirent une rotation pour permettre à tous les membres de leur liste de siéger à tour de rôle. C’était assurément témoigner bien peu de considération à cette institution.

On peut aussi expliquer cette désaffection des jeunes pour l’Europe par défaut d’explication des gouvernements. Mon collègue assesseur me racontait l’émotion qu’il avait ressentie en voyant le drapeau de l’Europe déployé à Budapest. Mais il ajoutait que sa fille, qui l’accompagnait, ne l’avait pas comprise. Par contre, tous ceux qui ont vu l’Europe coupée en deux, avec de nombreux peuples sous le joug communiste, n’imaginaient pas voir cette libération arriver de leur vivant. Sans oublier que l’un des composants de cette Europe pacifiée est le couple franco-allemand, constitué après plus d’un siècle de conflits dévastateurs.

Ensuite, l’attitude constante des gouvernements et des médias a toujours été d’attribuer à la nation tous les succès et de rejeter sur Bruxelles, cet endroit bizarre situé on ne sait où dans la stratosphère, la responsabilité de tout ce qui allait mal. Je me souviens encore de ces vœux du Président Chirac où il citait parmi les réalisations de la France l’Airbus ou Ariane, œuvres emblématiques d’une coopération européenne ainsi ignorée.

Comme ce perpétuel haro sur l’euro, monnaie unique dont la création a coïncidé avec une hausse des prix mais qui n’en est pas l’origine. Les prix étant libres, les producteurs, distributeurs et commerçants ont profité de la disparition d’une référence commode pour augmenter sans vergogne leurs tarifs. Mais trop nombreux sont ceux qui oublient que, sans cette monnaie, l’état de notre économie nous aurait obligés à une cascade de dévaluations. Et c’est aussi oublier ce formidable progrès qui permet aux industriels de ne plus avoir à se préoccuper des problèmes de change et qui nous autorise à circuler dans l’ensemble de la zone euro sans jongler avec une foule de monnaies.

Et que penser d’un Président qui se dépêche de faire bricoler par ses godillots une loi sur l’Internet à l’opposé de ce que le Parlement européen est en train d’élaborer, à seule fin de pouvoir gagner quelques mois pour l’application d’un texte indigne. Et le même qui envoie en pénitence à Strasbourg deux ministres désavoués. Remarquez au passage que nos députés européens siègent à Strasbourg, donc en France, tandis que les autres sont propulsés vers le no man’s land de Bruxelles, comme si ce Parlement ne siégeait pas dans ces deux villes.

Au fait, contre toute attente, Brice Hortefeux a été élu député européen. S’il ne le décharge pas de son ministère pour lui permettre de rejoindre le Parlement européen, M. Sarkozy aura clairement indiqué l’importance qu’il accorde à l’Europe. Inutile donc en 2014 de se lamenter à nouveau devant une abstention élevée.