09 juin 2009
Un livre arabe célèbre et falsifié
Un livre arabe célèbre et falsifiéEn réalité, il ne s'agit ni de pornographie, ni de Kama Sutra, mais d'une "science" analogue à la médecine que les musulmans appelaient L'une des meilleures traductions actuelles à mon avis est celle de René R. Khawam, intitulée La prairie parfumée (ou Le jardin parfumé), écrit par Mohammad al-Nafzâwi, est l'un des rares livres arabes, à côté des Mille et une nuits, à acquérir une célébrité mondiale. Son auteur est bien plus connu qu'Al Djâhiz ou qu' Al Hamadhânî. Le public musulman cultivé aime l'évoquer comme témoignage d'une époque où les mœurs étaient plus indulgentes et où les hommes trouvaient du temps à consacrer, entre deux prières, à une vie de plaisir...
Ce que l'on sait moins, c'est que ce livre est l'un des plus falsifiés de la littérature arabe. Ses traductions vers les langues européennes ont été non seulement approximatives et infidèles mais comportent des rajouts, des passages fabriqués de toutes pièces, des morceaux réécrits, des parties inauthentiques et des prolongements imaginaires. Certains sont allés jusqu'à retraduire les faux du français vers l'arabe. Le chef-d'oeuvre de Nafzâwî est découvert en Algérie quelques années après la conquête française (vers la fin des années 1840),. Ses premiers traducteurs se sont autorisé tous les excès, sans respect aucun pour la vérité historique ou pour les manuscrits originaux. C'est le seul souci commercial qui semble les avoir guidé dans l'adaptation d'un texte qu'ils considéraient, dans leur perception européenne, comme de la " pornographie ".
'îlm al bah, discipline sérieuse dans laquelle beaucoup de juristes se sont illustrés comme Al Souyoutî. Les Arabes écrivaient en effet sur ce sujet sans aucune pudibonderie, en nommant par exemple par leurs noms les parties intimes.
Parmi les traductions fausses ou fondées sur des manuscrits inauthentiques, il faut signaler celle du Baron R... (1850), reprise par La prairie parfumée où s'ébattent les plaisirs, Ed. Phébus, 1976, reprise chez Pocket. Pour deux raisons : elle est d'abord le fruit de l'édition critique des manuscrits arabes originaux (actuellement existants), elle est ensuite le fait d'un traducteur hors pair, désormais rentré dans la légende. Théodore Liseux (1886) dans une édition " pirate ", soi-disant traduite par M..., capitaine d'état-major (en réalité par le même Baron R...). Enfin, celle d'Antonin Terme et de la mauresque Nefissah, prétendument faite en 1850. Ces traductions françaises, qui ne finissent pas d'être réadaptées et représentées au public, ont à leur tour influencé négativement les autres traductions européennes.Les erreurs sur le chef-d'œuvre n'ont pas épargné la biographie de son auteur. Al-Nafzâwî n'a pas vécu au XVI e siècle, comme le soutient le Baron R..., mais au XV e siècle, sous le règne du sultan hafside 'Abd al-Aziz Abou Fâris (1394-1434). Le livre - composé entre 1410 et 1434 - est une commande de son vizir kabyle, Mohammed ibn 'Awana al-Zawâwî. Al Nafzawi vient lui-même d'une tribu berbère du Djérid tunisien (les Nafzâwa) et ne semble pas avoir beaucoup vécu à Tunis, mis à part le voyage qu'il y a effectué pour répondre à la commande de ce vizir.